Une grande création et une grande symphonie

par

Benoît Mernier

Benoît Mernier : Concerto pour violon et orchestre (création) Dmitri Chostakovitch : Symphonie n°7, en ut majeur, « Leningrad », op.60 Orchestre National de Belgique, Andrey Boreyko, direction – Lorenzo Gatto, violon Quelques jours après la cérémonie des Victoires de la musique, l’auditorium du Nouveau-Siècle accueillait samedi l’Orchestre National de Belgique dans un programme historique et attendu. Attendu puisque figurait en première partie la création, française cette fois, du Concerto pour violon et orchestre de Benoît Mernier, dans le cadre d’un ensemble de commandes effectuées par l’ONB à dix compositeurs de dix pays différents commémorant le centième anniversaire de la Grande Guerre. Inspiré par des photos de « soldats au front ou de paysages dévastés », ainsi que de textes de Laurent Gaudel, Zweig, Apollinaire,…  Mernier développe deux idées paradoxales : la représentation des atrocités, d’un monde détruit (photos), face à la beauté de l’humanité en quête d’espoir, de liberté (textes). Deux mouvements de durées égales, 30 minutes de richesses sonores et d’audace en tous points. L’orchestration, pas excessive, est remarquable, le tapis sonore d’une grande souplesse et le rapport violon/orchestre abouti. Ce conflit permanent entre un soliste apeuré et/ou virtuose et la masse orchestrale écrasante est exposé de manière bouleversante dans le premier mouvement. Intitulée Entends la terre véhémente… la première partie installe un violon solo au jeu strident, violent et sauvage d’où émanent coups d’archet vifs et rapides. D’autres motifs plus linéaires, plus proches du second mouvement, viennent ponctuer le discours avec fougue et réflexion. Quant à l’orchestre, un travail continu de recherche sur le matériau instrumental est mené, profitant ainsi de toute l’étendue instrumentale. Derrière un aspect sinistre se dégage en réalité un tissu sonore menaçant, grondant. Le second mouvement, La grâce exilée, est aux antipodes du premier. Ton plus réfléchi, recueilli et nostalgique d’un monde disparu. Caractère davantage linéaire, pâte sonore poignante, plus légère grâce à un travail sur le silence et sur la respiration. Comme précédemment, l’atmosphère grondante englobe le mouvement, captivant ainsi l’auditeur d’un bout à l’autre mais se termine sur une ouverture à la lumière, une fin bienveillante et d’espoir. Cette idée de menace, de tristesse, de désolation, mêlée à une humanité en quête de liberté, est magnifiquement bien véhiculée par Mernier. Quoi de plus logique que d’inviter Lorenzo Gatto pour la création de cette œuvre ? Le violoniste -qui vient de signer un CD Beethoven et qui s’intéresse aux musiques plus actuelles, saisit l’œuvre avec tout le dramatisme qui lui est dû. Le travail effectué en amont aura permis un dialogue efficace et solide avec le chef dont la battue claire et expressive a parfaitement saisi l’œuvre. L’ONB traverse l’œuvre avec facilité, s’imprègne de ces images et offre un résultat sonore plus qu’honorable. Cette création est une réussite, chaleureusement accueillie par le public. En seconde partie, Andrey Boreyko poursuit avec une lecture très inspirée de la Symphonie n°7, « Leningrad » de Chostakovitch. Choix thématique judicieux puisque l’œuvre narre, à l’aide d’une longue marche et de motifs caractéristiques, l’invasion allemande en route vers Leningrad tout en décriant la destruction interne du pays. Comme pour les symphonies de Bruckner et Mahler, la difficulté réside dans la compréhension du nombre incalculable d’idées et dans la longueur de la forme. Excellente technique de la progression dramatique dans le premier mouvement, pianissimos remarquables pour chaque pupitre et une volonté accrue de développer un son et de le magnifier. La performance des vents et des percussions s’impose par une approche attentive, transmise de fait aux cordes qui répondent avec justesse. Le son ne sature pas, le crescendo général s’intensifie et la construction de chaque phrase est intelligemment menée. Le second mouvement, plus dansant et léger, embrasse une battue plus souple. La rigidité du premier laisse place à une linéarité et un langage plus fluide. Le troisième rompt avec ce qui précède et offre une grande maturité du discours, tant le matériau thématique que dans les transitions. La battue de Boreyko, beaucoup plus sobre et petite que d’habitude, modèle chaque cellule et ne laisse de côté aucune note. Le dernier mouvement achève le concert avec assurance, vigueur et construction. L’ONB est en pleine forme à Lille, et pour un orchestre qui subit des pressions insupportables depuis quelques semaines, ça fait plaisir !
Ayrton Desimpelaere
Lille, Nouveau-Siècle, le 14 février 2015

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