A chef-d'oeuvre immortel, baryton immortel

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Leo Nucci, un des plus talenteux si ce n'est le plus talentueux Rigoletto de notre époque © Jacky Croisier

Rigoletto à l'ORW
Leo Nucci ! Avec un atout pareil, la salle de l'Opéra Royal de Wallonie se devait d'être comble ! Elle l'était. Né en 1942, l'illustre baryton aurait chanté le rôle de Rigoletto plus de 500 fois ! Mythe ou vérité, il a incarné le bossu à Liège avec une maîtrise souveraine, qui a déchaîné l'enthousiasme du public. Maîtrise d'acteur d'abord : il est grand, pas trop difforme, non, mais très bien maquillé, et ses cheveux gris pendants lui donnaient un air machiavélique. Voilà un Rigoletto tragique. Il fallait voir son "Mia figlia" suivi du célèbre "Cortigiani, vil razza dannata" : instant hallucinant ! Maîtrise vocale aussi : à part un léger vibrato, pas du tout gênant, il a une fois encore démontré son art merveilleux du legato, éprouvé dans tous les grands rôles verdiens, et particulièrement admirable dans les trois duos avec Gilda. L'aigu, même forte, est toujours aussi impressionnant. La personnalité assez écrasante du vétéran de Bologne portait un peu ombrage aux autres solistes, qui, pourtant, ne déméritaient pas. Le Duc de Mantoue de Gianluca Terranova, par exemple, sans être  exemplaire , était bien enlevé et toutes les notes hautes de ses trois airs célèbres bien tenues. Il manquait un peu de charisme, toutefois, pour un rôle qui en demande ("Possente amor" chanté bien en face du public). Quant à Désirée Roncatore, sa Gilda reprenait la tradition de la soprano colorature, tant de fois illustrée par le passé. On est loin d'Anne-Catherine Gillet. La voix est piquante - comme la comédienne, par ailleurs, avec un petit côté cabotin - très juste, malgré une légère tendance à ralentir avant chaque aigu. A propos de cabotinage, Nucci, coutumier du fait semble-t-il, a bissé son duo avec Gilda à la fin du II ("Si, la vendetta"). Le Sparafucile de Luciano Montanero possédait les graves exigés, le Monterone de Roger Joakim la fureur concentrée  du condamné, et le Marullo de Patrick Delcour la gouaille d'un courtisan plus sympathique que d'habitude. Seule Carla Dirlikov a un petit peu déçu en Maddalena, physiquement idéale sans doute, mais son beau mezzo était totalement couvert dans le quatuor du IIIème acte. Si Leo Nucci était sans conteste la vedette du spectacle, Ramon Palumbo l'a suivi de près. Sous sa direction, l'orchestre de l'ORW a livré une exécution extraordinaire d'une partition très riche en effets instrumentaux. En grande forme, il a soutenu les chanteurs à un tempo d'enfer tout en témoignant d'une rare précision. La performance est à souligner. Que dire enfin de la mise en scène du directeur Stefano Mazzonis di Pralafera ? Jouant le jeu de la lisibilité avant tout, elle repose sur la beauté des décors et des costumes rutilants, pour le plus grand bonheur de beaucoup. Nous sommes dans une Renaissance très idéalisée, mythique. Les deux décors récupèrent d'anciennes reproductions de toiles peintes, l'une représentant un somptueux palais seigneurial baroquisant, l'autre une sombre ruelle, tour à tour maison de Rigoletto puis de Sparafucile. Ce dernier est très réussi, et renoue avec l'ambiance fantastique du Grand Opéra à l'époque de Ciceri. Une fois encore, il faut applaudir le "style" de l'ORW quand il produit les chefs-d'oeuvre verdiens : la réussite est toujours assurée. Et si, en plus, on présente une vedette mondiale comme Leo Nucci, on est assuré d'un moment de bonheur musical et théâtral exceptionnel.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 15 mars 2015

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