A Genève, d’admirables Szenen aus Goethes Faust

par

Ira Levin

Après le succès mitigé remporté par le Faust de Gounod à l’Opéra des Nations, le Grand-Théâtre de Genève présente, en concert au Victoria Hall, les Szenen aus Goethes Faust de Robert Schumann ; et là, le résultat est remarquable. 

Curieuse et fascinante œuvre que cette monumentale partition dont la genèse est singulière : le compositeur élabora d’abord, de 1844 à 1848, la troisième partie, la Transfiguration de Faust (d’après le second ‘Faust’ de Goethe) ; puis en 1849, il se tourna vers les épisodes narratifs (la scène du jardin, Marguerite au pied de la Mater Dolorosa puis dans la cathédrale) constituant la première partie, alors qu’en 1850, il réunit, dans la deuxième, l’apparition d’Ariel, le tableau de minuit et la mort du protagoniste ; et l’ouverture ne fut rédigée qu’en 1853.
Pour donner vie à un ouvrage aussi composite, il est besoin d’un chef d’orchestre ; et à cet égard, la direction du Grand-Théâtre a eu la main heureuse en faisant appel au chef américain Ira Levin qui, dès les premières mesures de l’ouverture, empoigne une orchestration touffue pour aller vers un but précis, celui d’en extirper le lyrisme passionné ; il ménage habilement les oppositions de coloris en suscitant de sombres mouvances qui deviendront terrifiantes lors de l’évocation du Jugement dernier, avant d’iriser le propos de teintes éthérées pour la catharsis finale. En cela, il est secondé par le Chœur du Grand-Théâtre, remarquablement préparé par Alan Woodbridge, la Maîtrise du Conservatoire Populaire dirigée par Magali Dami et Fruszina Suromi, ainsi que par l’Orchestre de la Suisse Romande qui, d’abord, cherche un peu ses marques puis répond avec cohérence aux sollicitations constantes de cette direction énergique.
Au niveau des solistes, il faut saluer en premier lieu deux prestations de qualité, celle du baryton autrichien Markus Werba, Faust au timbre clair puis Dr Marianus et Pater Seraphicus à l’expression narrative intense, qualificatifs que l’on attribuera aussi à l’indestructible Albert Dohmen qui a la noirceur saisissante d’un Méphistophélès de haute stature. La Gretchen de Genia Kühmeier compense un medium opaque par un aigu beaucoup plus sûr qui finit par rendre convaincant son chant, tandis qu’elle implore la Vierge de douleur. Par la qualité d’un timbre de grand lyrique aux inflexions radieuses, le ténor Bernard Richter dessine un Ariel et un Pater Ecstaticus fin diseur ; mais quel dommage que tout aigu ‘forte’ rigidifie la ligne en rendant le son douloureux. Le Pater Profundus de Sami Luttinen semble souvent pataud, ce que l’on peut dire aussi de la Maria Aegyptiaca et de l’allégorie de la Faute campée par Nadine Weissmann. Plus intéressante par son sens dramatique, la triple composition que Katija Dragojevic livre de la Mulier Samaritana, de la Mater gloriosa et de la figure du Manque. Mais la plus remarquable des seconds plans est Bernarda Bobro, radieuse de jeune pour personnifier Dame Marthe, la Magna Peccatrix et l’emblème du Souci.
Donc, dans l’ensemble, une exécution de qualité d’une œuvre ô combien fascinante !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 27 février 2018

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