A Genève, un Cosi fan Tutte bien morose 

par
Cosi fan tutte

Un orchestre qui va de son côté, un plateau vocal qui tonitrue de l’autre, un décor qui nous fait croire que nous sommes dans La Fanciulla del West, voilà résumée en deux lignes la nouvelle production du chef-d’œuvre de Mozart à Genève. Pourtant, à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, la baguette d’Hartmut Haenchen insuffle, dès les premières mesures de l’Ouverture, une énergie débordante afin de dynamiser le premier acte ; il tire au cordeau les lignes de force du discours sans avoir réellement prise sur les solistes qui vont leur bonhomme de chemin, quoique les choses s’arrangent un peu dans la seconde partie. Quant au Choeur du Grand-Théâtre de Genève (préparé par Alan Woodbridge), il suit les injonctions du chef, sourire en coin, en jouant les estropiés de guerre face à un maréchal en chaise roulante. Sur scène, deux artistes russes campent Fiordiligi et Dorabella : avec l’une de ses consoeurs, bien plus médiatisée qu’elle, Veronika Dzhioeva partage cette expression impavide qui ne l’empêche pas de hurler pour la plupart du temps en savonnant ses vocalises, à défaut d’exhiber un semblant de ligne de chant ; l’autre, Alexandra Kadurina, livre une sonorité anguleuse, rapidement lassante, même si elle exhibe une fraîcheur plus immédiate. Le personnage de Don Alfonso, l’entremetteur, est confié à un Laurent Naouri, condamné au ‘forte’ perpétuel, car la voix paie aujourd’hui la facture de rôles lourds tels que Ruprecht de L’Ange de feu. Le jeune Vittorio Prato qui vient de faire applaudir son Marcello de La Bohème à Lausanne, campe un Guglielmo insouciant qui ne se préoccupe guère du style mozartien, style que possèdent au moins le Ferrando de Steve Davislim et la Despina de Monica Bacelli : annoncé malade, le premier fait valoir un phrasé et un contraste de coloris qui irradient tant « Un aura amorosa » que sa deuxième aria, « Tradito, schernito » ; la seconde dessine une Despina, femme mûre, qui manipule la cocasserie tout en négociant naturellement l’art du declamato dans les récitatifs et dans ses deux airs strophiques. Profitant du plateau tournant, le décor de Falko Herold consiste en un intérieur de café, style «Un bar aux Folies-Bergère » selon Manet, affublé d’un juke-box, d’un distributeur de cigarettes et d’un billard électrique ; et le revers de paroi nous confronte à une chambre de pimbêches, bordélique à souhait. Les costumes de Bettina Walter se réfèrent à notre époque avec tablier de bistrotier, bibi et robe noire pour les meneurs de jeu, nuisette et robe évasée pour ces dames, tenues kaki pour ces messieurs partant à la guerre ; ici pas d’Albanais enturbannés mais apparition inopinée de deux rockers ‘fashion’ Elton John et M.Pokora. Et la mise en scène de David Bösch, mettant lourdement les doigts sur les connotations sexuelles du propos, est totalement cohérente avec la modernité de la transposition. Mais au rideau final, posons-nous la question : où donc, dans ce fatras, se cachait Mozart ?
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 30 avril 2017

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