A Genève, un Muti coloriste de talent !

par
Muti

Dans le cadre de ses "Concerts exceptionnels", le Grand-Théâtre de Genève invite pour la première fois l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini et le chef qui l’a fondé en 2004, Riccardo Muti. Basée à Piacenza et à Ravenna, la formation ne comporte que de jeunes musiciens de moins de trente ans, à peine sortis de leur conservatoire, et engagés pour une période de trois ans, ce qui assure en permanence un renouvellement des effectifs.Entièrement dédié à la musique italienne de la fin du XIXe-début du XXe siècle, le programme s’articule en deux parties, dont la première se focalise sur une forme brève, celle de l’intermezzo. Est proposée d’abord ‘Contemplazione’ datant de 1878, une page de l’auteur de ‘La Wally’, Alfredo Catalani. Riccardo Muti en développe le large cantabile avec un rubato naturel qui rend le coloris soyeux ; par les soli des bois, le discours devient pathétique puis s’irise graduellement jusqu’au pianissimo le plus infime. Sont juxtaposés ensuite les deux intermezzi les plus célèbres du vérisme : celui de ‘Cavalleria rusticana’ s’assouplit grâce à un ritenuto sur chaque fin de segment, tout en révélant une attention au moindre signe d’expression, quand celui d’ ‘I Pagliacci’ acquiert une dimension tragique par la véhémence de tutti qui s’entrouvrent pour donner libre cours à une effusion mélodique chargée de douleur. Un magnifique violoncelle solo évoque ensuite une Manon Lescaut selon Puccini, tombée dans la déchéance la plus abjecte, se débattant contre la fatalité avec l’énergie du désespoir, atteignant le paroxysme du tragique par une percussion virulente comme une pulsation cardiaque qui s’emballe, puis retombant sur un pianissimo en points de suspension. L’on passe ensuite à une tonalité crépusculaire avec Giuseppe Martucci et son ‘Notturno op.70 n.1’, conçu d’abord pour piano en 1891 et orchestré dix ans plus tard ; le maestro fait chanter les cordes sous un sentimentalisme décadent, ce que l’on pourra dire aussi du lyrisme à fleur de peau préludant au deuxième acte de la ‘Fedora’ d’Umberto Giordano.
La seconde partie du concert est consacrée à Giuseppe Verdi et à un seul de ses ouvrages, Les Vêpres Siciliennes créé à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier, le 13 juin 1855. Le compositeur en respecta les conventions en insérant, à l’acte III, un ballet de près de trente minutes intitulée ‘Les Quatre Saisons’. Avec la volonté péremptoire de faire avancer le discours, Riccardo Muti enchaîne les séquences afin de dépeindre les rigueurs de l’hiver, l’éveil du printemps, les moissons de l’été et les vendanges bachiques de l’automne. En fin coloriste, il s’attarde sur une clarinette maniant le rubato avec la liberté d’un ténor d’opéra, sur un violoncelle aux inflexions plaintives ou sur un hautbois lancinant sous ses demi-teintes nostalgiques. Pour achever le programme, l’Ouverture est abordée en un véritable largo qui permet de dessiner précisément toute triple croche  sur fond de timbales en pianissimo. La baguette creuse les basses, impose un legato ample aux bois avant de concentrer en une seule ligne les cordes graves que menaceront de féroces tutti. Et le dernier accord arrachera à une salle comble d’interminables clameurs d’enthousiasme.
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 27 mai 2018

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