A Genève un "Viol de Lucrèce" ahurissant

par
Lucrece

 A Genève, le Théâtre du Grütli, à proximité du Victoria Hall et du Grand-Théâtre, consacre sa saison à nombre de pièces de théâtre provenant de tous les horizons et de toutes les époques. Depuis 2012, son directeur, Frédéric Polier, acteur et metteur en scène, décide d’aller plus loin en faisant avoisiner Shakespeare et la création contemporaine. Et pour la première fois, en tant que musicien autodidacte, il réalise un vieux rêve en montant un opéra, et quel opéra, The Rape of Lucretia de Benjamin Britten dans la langue originale, l’anglais. Et vraisemblablement ce ne sera pas la dernière fois, tant le bouche à oreille a bien fonctionné pour remplir la salle de cent-quarante-cinq places et le succès a été délirant.

Le décor de Claire Peverelli est simple avec, en fond, un terre –plein sablonneux d’où se dégage une rampe de béton aboutissant à une plateforme. Les costumes de Nathalie Egea, tout aussi sobres, se réfèrent à la Rome antique. Et les jeux de lumière imaginés par Loïc Rivoalan créent une atmosphère aussi étouffante que saisissante. Avec l’aide de ses collaborateurs Rémy Walter et Anne Ottiger, la régie de Frédéric Polier est efficace car elle fait se dérouler la trame avec naturel. Au lever de rideau, deux archéologues effectuent divers prélèvements sur un site ; dès que débute l’action, ils deviendront les incarnations du Chœur masculin et du Chœur féminin commentant les faits. Puis la beuverie des officiers débouchera sur le calme angoissant qui règne dans les appartements de Lucrèce où se glissera Tarquinius, le Prince de Rome ; son hébergement pour une nuit entraînera la scène violente où il finira par violer l’épouse de son ami. Et le dégradé des éclairages rendra insoutenable le suicide de Lucrèce et la longue déploration qui s’en suivra.
Respectant scrupuleusement la formation de chambre prévue pour la création au Festival de Glyndebourne de 1946, l’effectif réuni ici ne comporte que treize instrumentistes excellents, notamment Sarah Gauthier-Pichette au basson et Anne Briset à la percussion. Et le jeune chef Guillaume Berney la dirige avec une louable précision et un sens du coloris qui ne submerge jamais son plateau.
Sur scène, il faut d’abord louer la prestation exemplaire de Stuart Patterson et de Laurence Guillod qui donnent un relief saisissant au Chœur masculin et au Chœur féminin dans un dialogue mené de main de maître. Annina Haug donne de Lucrèce une image de pondération que corrodent une indicible angoisse puis un remords mêlé de honte aux limites de l’intolérable. Tout aussi convaincantes s’avèrent la nourrice Bianca d’Anouk Molendijk et la servante Lucia d’Alexandra Hewson. A un niveau inférieur (comme souvent), les hommes. Face à un Francesco Biamonte conférant une indéniable présence à Collatinus, le mari ‘trompé’, Sacha Michon s’investit totalement dans le rôle de Tarquinius dont il peine à traduire la sournoiserie méchante. Et finalement, le plus adéquat est le Junius bougonnant de Pierre Héritier.
Lorsque s’éteignent les lumières du plateau, quelques secondes de silence traduisent l’impact que le spectacle a exercé sur le public qui produit ensuite un hourra ô combien explicite !
Paul-André Demierre
Genève, Théâtre du Grütli, le 6 octobre 2017

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