A la Scala, une mezzo à la rescousse de "La Fiancée du Tsar"

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En collaboration avec la Staatsoper ‘Unter den Linden’ de Berlin où la production a été présentée en octobre 2013, la Scala affiche le neuvième ouvrage de Nikolai Rimsky-Korsakov, ‘La Fiancée du Tsar’. Les costumes ont été conçus par Elena Zaytseva, la mise en scène et les décors, par l’enfant terrible du moment, Dmitri Tcherniakov. Sur écran est d’abord projetée une image animée de la Russie de l’époque d’Ivan le Terrible, que l’éclairage creuse pour nous révéler deux ou trois figurants en tenues historiques sous les projecteurs d’un studio de cinéma. L’idée pourrait faire mouche, mais elle ne se réitère qu’une seule fois ; et elle laisse la place à un prosaïsme vulgaire qui a tôt fait d’annihiler le propos de base pour se complaire dans un monde clos dont une nomenklatura oppressante actionne les mécanismes. Et ce n’est pas une salle à manger aux papiers peints délavés, aperçue par une fenêtre ouverte, qui pourrait lui donner un quelconque caractère d’authenticité. Il est vrai que la direction bruyante de Daniel Barenboim, cultivant la boursouflure, ne comprend rien au génie d’orchestrateur d’un Rimsky-Korsakov en quête d’un réalisme campagnard à la Moussorgsky. Sur scène, il faut en arriver à l’entrée de Lyubasha et à sa romance ‘a capella’ pour qu’une indicible émotion s’empare du spectateur : Marina Prudenskaya en a le coloris envoûtant ; et c’est par ce biais que ce personnage d’amante trompée se met à exister. Face à elle, Olga Peretyatko joue Marfa, la fiancée involontaire du tsar avec ses moyens juvéniles que le discours orchestral met continuellement sous tension : une scène de folie, au dernier tableau, justifie-t-elle un investissement dans un rôle manifestement à contre-emploi dans son répertoire habituel ? Johannes Martin Kränzle pousse son Gryaznoi jusqu’aux derniers retranchements du machiavélisme pour justifier la passion dévorante. Le jeune ténor Pavel Cernoch affiche l’aplomb du fiancé légitime Ivan Lykov, quand Stephan Rügamer dessine le charlatan Bomélius avec des inflexions nasales qui laissent sourdre l’angoisse. Anatoly Kotcherga incarne Ivan Sobakin, le père de Marfa, avec ce qui lui reste de sa voix, tandis que la Domna Saburova d’Anna Tomova Sintow doit passer les premières minutes de sa narration pour retrouver une assurance et une couleur qui lui ont valu la gloire.
Paul-André Demierre
Milano, Teatro alla Scala, le 8 mars 2014

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