A la Scala, une Anna Bolena mi-figue mi-raisin

par
Anna Bolena

Le 14 avril 1957, Anna Bolena était affichée à la Scala de Milan dans une mise en scène de Luchino Visconti, des décors et costumes de Nicolas Benois ; sur scène triomphaient Maria Callas et Giulietta Simionato sous la direction de Gianandrea Gavazzeni. Ce spectacle aujourd’hui mythique a marqué le début de la ‘Donizetti Renaissance’ ; et il a fallu attendre février 1982 pour voir la reprise de cette production par Sandro Sequi et une Caballé mal préparée invoquant un état de santé précaire mais qui, lourdement contestée par un public en furie, ne chanta qu’un seul soir et fut remplacée par une débutante, Cecilia Gasdia.

Trente-cinq ans plus tard, Alexander Pereira, le surintendant actuel, emprunte la production de l’Opéra National de Bordeaux. Le décor d’Eric Wonder, d’une rare laideur, consiste en une série de parois ternes avec une large échancrure médiane contenant un écran où sont projetés façades de palais, nuages menaçants ou nuées d’oiseaux. Par contre, sous les lumières de Bertrand Couderc, les costumes de Kaspar Glarner ont un caractère historique véritable : courtisans et dames d’honneur revêtent redingotes et robes bleu sombre, quand le rouge symbolisera le pouvoir royal. Et la mise en scène de Marie-Louise Bischofberger développe la trame comme un récit médiéval en faisant intervenir continuellement une enfant, la future Elisabeth Ière, qui suscite un sentiment de compassion pour le destin de sa mère infortunée. Sous le signe de la démence, cette victime sacrificielle, arborant le blanc, s’enveloppera dans un interminable voile noir pour affronter le supplice.
A la tête des Chœurs et Orchestre de la Scala, le chef roumain Ion Marin, ex-collaborateur de Claudio Abbado à la Staatsoper de Vienne, restitue intégralement la partition de Donizetti en l’emportant dans un souffle dramatique constant. Sur scène, tous les regards se portent sur celle qui soutient la gageure de succéder à Maria Callas, la soprano russe Hibla Gerzmava ; du ‘soprano drammatico di agilità’ elle a indéniablement la couleur, alliée à une maîtrise technique et une présence théâtrale certaines ; mais lui manquent l’intelligence du phrasé et cet art de mettre en valeur le moindre mot, qualités qui constitueront à jamais la suprématie de sa devancière. Face à elle, Sonia Ganassi doit d’abord dominer un vibrato envahissant pour dessiner une Giovanna  Seymour mêlant l’ambition au repentir dans un style belcantiste irréprochable. Mais le meilleur élément de la distribution est assurément le ténor Piero Pretti qui réussit à faire ‘exister’ le rôle souvent marginalisé de Riccardo Percy par l’insolence de l’aigu et la tenue de sa ligne de chant. Par contre, Carlo Colombara n’a plus qu’un chant monochrome à prêter à un Henry VIII toujours renfrogné, alors que l’autre basse, Mattia Denti, dessine Lord Rochefort par de douloureuses inflexions. Et la jeune Martina Belli a la témérité du page Smeton quand un débutant, Giovanni Sebastiano Sala, révèle, sous les traits d’Hervey, les moyens d’un futur ténor lyrique.
Paul-André Demierre
Milano, Teatro alla Scala, le 14 avril 2017

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