A la Scala, une Gazza ladra de référence 

par
La Gazza Ladra

© Marco Brescia and Rudy Amisano

Pour la plupart des mélomanes, La Gazza ladra se limite à une ouverture, l’une des plus célèbres de Rossini avec son double roulement de tambour amenant le ‘tutti’. Quelques-uns, plus avisés, citeront la ’cavatina’ d’entrée de Ninetta, « Di piacer mi balza il cor » que chantaient une Lina Pagliughi ou une Mady Mesplé. Mais l’ensemble de cette longue partition, comportant un premier acte de 100 minutes, un second de 90 minutes, demeure méconnu.
Créé triomphalement à la Scala de Milan le 31 mai 1817 avec Teresa Giorgi Belloc dans le rôle de Ninetta et les basses Filippo Galli et Antonio Ambrosi dans ceux de Fernando Villabella et de Gottardo, le Podestat, ce ‘melodramma’ s’imposa rapidement sur toutes les scènes italiennes puis à l’étranger, notamment au Théâtre-Italien de Paris et au Kärnthertortheater de Vienne. Sur la scène milanaise, il totalisa 159 représentations en huit saisons jusqu’à mai 1841 puis disparut jusqu’à nos jours. Au XXe siècle, Riccardo Zandonai présenta à Pesaro en 1941, à l’Opéra de Rome en mai 1942, une édition révisée par ses soins, reprise ensuite au Mai Musical Florentin de 1965 par Bruno Bartoletti. Puis le Sadler’s Wells de Londres l’afficha en 1966, l’Opéra de Rome, en novembre 1973, celui de Cologne, en mai 1984, alors que le Festival de Pesaro proposa trois éditions en cinq saisons à partir d’août 1980.
Basé sur un fait réel, l’exécution d’une servante accusée d’avoir dérobé une cuillère en argent alors que l’auteur du larcin est une pie, le libretto de Giovanni Gherardini utilise pour canevas une pièce jouée au Théâtre de la Porte Saint Martin en 1815, La Pie voleuse ou la Servante de Palaiseau, et s’inscrit dans le genre ‘semiserio’ en accentuant le tragique au détriment du comique. Que l’on en juge ! Le fermier Fabrizio Vingradito et sa femme, Lucia, attendent le retour de leur fils, Giannetto, parti à la guerre ; il est aimé de Ninetta, la servante, orpheline de mère. A la suite d’émouvantes retrouvailles, mal jugées par Lucia qui songe à plus beau parti pour son garçon et qui la soupçonne d’avoir dérobé une fourchette, la jeune fille voit surgir son père, Fernando Villabella, qui vient de s’échapper de la prison. Il lui remet son seul bien, une cuillère en argent, qu’elle devra monnayer auprès d’Isacco, le marchand ambulant, puis cacher la somme dans un tronc d’arbre. Paraît le Podestat qui voudrait séduire Ninetta mais qui est remis en place par le fugitif, tandis que, sortie de sa cage, la pie vole l’un des couverts. Apeurée, la malheureuse laisse tomber les pièces données par Isacco qui évoque la récente transaction ; mais ne voulant pas trahir son père, elle est arrêtée et conduite au cachot. Refusant à nouveau les avances du Podestat, elle accepte l’aide de Pippo, le valet de ferme, qui pourrait cacher l’argent ; mais elle est condamnée à mort par les juges, tandis que la situation ne fait que se compliquer par l’apparition du père qui voudrait sauver sa fille. Pendant ce temps, Pippo qui compte les pièces d’or s’en voit dérober une par la pie qui, poursuivie dans le clocher, laisse découvrir un nid où brillent les objets volés. Au moment de l’exécution, éclate un coup de feu qui électrise l’assistance : Fernando est gracié par le roi et Ninetta pourra épouser Giannetto.
Autant la production de Damiano Michieletto à Pesaro m’a toujours semblé ridicule par sa disproportion et ses outrances, autant celle qu’a conçue Gabriele Salvatores pour La Scala est d’une parfaite lisibilité avec l’intervention de marionnettes de la Compagnie Carlo Colla anticipant les temps forts de l’action. Sous de judicieux éclairages conçus par Marco Filibeck, le décor de Gian Maurizio Fercioni consiste, côté cour, en une paroi de loges où se succéderont paysans endimanchés, prisonniers et juges, alors que le mur de fond s’ouvrira vers la lumière de l’extérieur ; et ses costumes aux vives couleurs recréent un milieu campagnard XIXe qu’assombriront les redingotes du Podestat et des juges. Descendra des cintres une cage gigantesque où Ninetta sera prise au piège comme la pie équilibriste (Francesca Alberti) qui se juchera partout grâce à une corde.
Dans la fosse d’orchestre, Riccardo Chailly porte à bout de bras, pendant plus de trois heures, un ouvrage auquel il croit et dont il est le premier à nous révéler les constantes beautés, notamment toute la scène du tribunal à l’orchestration pesante rappelant tant Beethoven que Cherubini. Et les forces de La Scala répondent magnifiquement à ses injonctions.
Quant à la distribution vocale, elle ne contient aucune faille majeure, à commencer par la Ninetta de Rosa Feola, jeune soprano de Caserta qui joue la carte de l’émotion tout en négociant les quelques ‘passaggi’ brillants qui émaillent son rôle. Face à elle, le ténor uruguayen Edgardo Rocha lui répond avec l’aigu clair d’un demi-caractère, qu’affichera aussi le Pippo primesautier de la mezzo Serena Malfi. Du côté des basses, Alex Esposito a la dimension tragique du réprouvé Fernando Villabella, Michele Pertusi, le machiavélisme sordide du Podestat même si, aujourd’hui, la voix paie la facture d’emplois verdiens trop lourds. Paolo Bordogna exhibe la bonté magnanime de Fabrizio Vingradito, alors que Teresa Iervolino campe une Lucia acariâtre qui devient touchante dans le repentir. Matteo Macchioni dessine un Isacco haut en couleur, qualité que démontrent aussi le geôlier Antonio de Matteo Mezzaro, le fidèle Ernesto de Giovanni Romeo et le greffier Giorgio de Claudio Levantino.
Après une première mouvementée où une horde de contestataires s’en est prise autant au surintendant qu’au chef d’orchestre et à l’interprète de Pippo, la seconde représentation (à laquelle j’assistais) a été marquée par l’état de grâce qui révèle un chef-d’œuvre méconnu.
Paul-André Demierre
Milano, Teatro alla Scala, le 15 avril 2017

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