A Lausanne, un Don Giovanni "baroque" ! 

par
Don Giovanni

© M. Vanappelghem

De gigantesques pans de mur noir, des fumées toxiques émanant de la terre, de visqueuses créatures saisissant un corps pour l’attirer dans les profondeurs, telles sont les premières images que nous livre ce Don Giovanni dont Eric Vigié a assuré la mise en scène et les costumes, Emmanuelle Favre, les décors, Henri Merzeau, les éclairages.

Se référant au texte de Tirso de Molina, la production nous plonge dans une Espagne âpre où le travestissement permet de se moquer de la condition sociale en érigeant des barrières ou en les faisant tomber au gré de la fantaisie d’un meneur de jeu sadique. Comme un autel de sacrifice s’érige le lit où le burlador viole Donna Anna, quand un parterre de verdure entouré de colonnes de marbre accueillera la scène où il tente de séduire Zerlina. Vêtue d’une robe à volants et d’une mantille blanche, Elvira ne peut cacher sa grossesse avancée ; et elle se réfugiera dans un tabernacle pour une Mater dolorosa descendant des cintres afin d’accueillir les preuves du repentir de son pseudo-époux, tandis que celui-ci fait sérénade à sa boniche noire qu’il finira par posséder devant la table de son dernier festin. Echappé des ‘Ménines’ de Velasquez, un nain s’enhardit à représenter cet univers baroque où l’interdit se profilera sous le rouge sang d’un trio des masques arborant voiles et banderilles pour un Ottavio matador qui songe à la mise à mort. Des yeux d’un Commandeur qui a été étranglé lors du premier tableau sera décrété l’arrêt final ; et sa stèle funéraire avançant lentement laissera apparaître le Convive de marbre et les Erinyes entrainant l’être corrompu aux enfers.
La baguette du jeune chef allemand Michael Güttler a la précision du geste et la dynamique pour emporter tant l’Orchestre de Chambre de Lausanne que le Chœur de l’Opéra de Lausanne remarquablement préparé par Pascal Mayer. Sur le plateau s’impose d’abord le couple Don Juan-Leporello : le maître est campé par le baryton-basse lituanien Kostas Smoraginas qui a l’insolence des moyens et la morgue hautaine du machiavélique seigneur devant qui tout doit céder ; le second est assumé par la basse Riccardo Novaro qui en est la parfaite contrefaçon par la bonhommie sereine avec laquelle il tente d’avoir prise sur les événements. Le trio des adversaires est dominé par l’Ottavio du ténor florentin Anicio Zorzi Giustiniani s’ingéniant à iriser son phrasé d’effets de clair-obscur et à délivrer une ornementation fluide dans sa seconde aria « Il mio tesoro intanto ». Anne-Catherine Gillet, dont on avait admiré ici l’incarnation de Manon, est dépassée par le rôle de Donna Anna qu’elle doit chanter ‘forte’ d’un bout à l’autre en touchant le bord du précipice au terme d’ « Or sai chi l’onore » ; face à elle, Lucia Cirillo se glisse mieux dans le personnage d’Elvira dont elle gomme le côté virago pour se montrer épouse légitime trahie par son conjoint. Au sein de la ‘cour des miracles’ que représentent les villageois, le tandem Zerlina-Masetto touche par l’apparente faiblesse que dégage la composition de Catherine Trottmann, beaucoup plus futée qu’il n’y paraît, tandis que son soupirant dessiné par Leon Kosavic exsude la franchise. Et Ruben Amoretti est un Commandeur impressionnant lors de ses deux apparitions d’outre-tombe. Au rideau final, le public applaudit à tout rompre cette production convaincante d’un indéniable chef-d’œuvre.
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, le 4 juin 2017

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