A Lausanne, un SOLDAT qui vous déconcerte

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« Entre Denges et Denezy, un soldat qui rentre au pays… A marché, a beaucoup marché… » : ce sont les mots que proclamait Elie Gagnebin sur la scène du Théâtre Municipal de Lausanne lors de la création de L’Histoire du Soldat, le 28 septembre 1918 ; la partition d’Igor Stravinsky était dirigée par Ernest Ansermet et était présentée dans une mise en scène de Georges et Ludmilla Pitoëff et des décors et costumes dus au peintre René Auberjonois. Cent ans plus tard, jour pour jour, en ce lieu même, l’événement est commémoré par sept instrumentistes guidés par François Sochard, le violon solo de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et par une production d’Alex Ollé (de la Compagnie La Fura del Baus) dans des décors et costumes de Lluc Castells.

Le rideau se lève sur la froideur glaciale d’une chambre d’hôpital, avec un large mur de catelles blanches où s’encastrent deux portes, l’une donnant sur l’extérieur, l’autre livrant un lit où git un malade sous perfusions. L’espace scénique est surplombé par une plateforme sur laquelle les musiciens égrènent une Marche du Soldat que projette une vidéo sur la paroi. Entre le Narrateur, campé par le remarquable acteur Sébastien Dutrieux, en tenue kaki, qui s’assied au chevet du patient ; les infirmiers s’affairent autour du malheureux pour une délicate opération du cœur d’où l’on extirpera un… violon miniature. Le visiteur et lui ne seraient-ils donc qu’une seule et même créature ? Et où est donc passé le Diable qui troque le crincrin contre le livre magique porte-fortune ? Alex Ollé a la réponse : le démon, c’est la voix de l’inconscient que chacun porte en soi. En conséquence, le Narrateur personnifie le militaire qui se remémore son passé belliqueux, sans pouvoir se départir de ses mauvais penchants. Tandis qu’il repose dans une léthargie qui dure trois jours aussi pesants que trois mois, ceux qui s’en approchent, comme sa petite amie, ont une grande difficulté à le reconnaître. Puis, sur la muraille, le projecteur jette au visage des scènes de torture qu’un GI américain pourrait perpétrer aujourd’hui en Irak, avant de refaire sa vie en sacrifiant au dieu argent.

Lorsque le rideau tombe, le spectateur est encore sous le choc de cette profusion d’images insoutenables. L’acteur aux trois visages salue et est acclamé autant que l’ensemble instrumental. Et lorsque paraît le metteur en scène, le public a deux possibilités : s’offusquer d’une relecture si décapante ou crier au génie ?

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 28 septembre 2018

Crédit photographique : Alan Humerson / Opéra de Lausanne

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