A Lausanne, une pimpante Fille du Régiment

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© Marc Vanappelghem

Pour la première fois en dix ans de carrière à l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié, son directeur, affiche l’un des ouvrages français de Donizetti, La Fille du Régiment. Et au moins, après tant de prononciations ‘exotiques’ immortalisées par le disque, l’on comprend ce que disent les chanteurs. Outre leur élocution propre, le mérite en revient à la production de Vincent Vittoz qui a été lui-même acteur avant de se tourner vers la régie théâtrale et lyrique. Avec l’aide de son assistante Mylène Lormier, il a élagué une bonne partie des dialogues parlés pour laisser la primauté à la musique. Peu intéressé par les guerres napoléoniennes, il transpose l’action aux années suivant la guerre de 14-18. Le 21e régiment n’est constitué que par quelques dizaines de ‘gueules cassées’ devenues mercenaires ou bêtes de foire dans le Tyrol. Réchauffant leurs oripeaux auprès de Marie la cantinière, ils n’ont plus d’expression, ce que révèlent les masques de toile cirée accrochés à leur képi : est-il pour autant judicieux de les leur imposer jusqu’à la fin, même si l’émotion est en passe de les submerger ? Sous de sombres éclairages conçus par Caroline Vandamme, les costumes de Dominique Burté accusent la misère de leur état, alors que les décors d’Amélie Kiritzé-Topor souscrivent à la froideur d’un modernisme ‘Belle Epoque’ avec un clin d’œil au salon d’Anna de Noailles. Dans l’esprit d’une Ciboulette qui a fait sa gloire à l’Opéra-Comique, Julie Fuchs aborde le personnage de Marie avec l’aplomb d’une technique de belcanto aguerrie et une tendresse qui la rend si touchante. Frédéric Antoun incarne un Tonio sûr de son bon droit, négociant avec aisance la série de ‘contre-ut’ de « Pour mon âme », quand, curieusement, d’autres aigus, mal émis, taxent ses moyens. Le Sulpice de Pierre-Yves Pruvot a la faconde bougonne du vieux soudard qui ne peut qu’écraser une larme face à la tournure des événements. Efflanquée de l’Hortensius hilarant d’Alexandre Diakoff, Anna Steiger se met au diapason en dessinant une Marquise de Berkenfield obnubilée par la légitimité de ses intentions mais vite reconquise par son bon coeur. C’est ce que dégagent aussi le Caporal de Jean-Raphaël Lavandier et les militaires du régiment fournis par le Chœur de l’Opéra de Lausanne adroitement préparé par Jacques Blanc. Et l’Orchestre de Chambre de Lausanne tonifie le propos sous la direction alerte de Roberto Rizzi Brignoli, l’un des invités réguliers de ce théâtre.
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, le 11 mars 2016

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