A Liège, Attila sauvé par la musicalité

par

Makvala Aspanidze (Orabella), Michele Petrusi (Attila) et Giuseppe Gipoli (Foresto)

Excellente initiative de monter, en cette année Verdi, un autre opéra de jeunesse que les sempiternels "Nabucco" ou "Macbeth". Créé en 1847 avec un succès rapide, il précède "Macbeth" dans le corpus verdien. Il n’en a pas sans doute les intuitions géniales mais représente à coup sûr les “années de galère” avec beaucoup de panache. L’intrigue est simple et efficace. Attila, fasciné par Odabella, fille d’un peuple vaincu, veut l’épouser. Elle accepte pour mieux occire celui qui a tué son père. Son histoire d’amour avec Foresto est là pour occuper le ténor. Le second rôle important est celui d’Ezio, personnage historique remarquable (le général Aetius), rempart de Rome contre la barbarie des Huns. L’Attila de Verdi n’est pas le “fléau de Dieu” honni par l’hagiographie chrétienne, ni le sage philosophe réhabilité par l’Histoire moderne. C’est avant tout un formidable personnage d’opéra, empli de sentiments passionnés et que Verdi a admirablement traité. Tout repose en effet sur lui et la belle basse Michele Pertusi en a réussi une incarnation saisissante. Autre timbre grave, l’Ezio de Giovanni Meoni, familier de l’ORW, a soulevé l’enthousiasme de la salle à l’issue de la grande scène ouvrant l’acte II, par la beauté de son timbre et son art accompli du legato. Le couple des amoureux est plutôt inégal : le joli petit ténor de Giuseppe Gipali, très stylé, est totalement dominé par la tonitruante soprano géorgienne Makvala Aspanidze, une Odabella vengeresse, de fer et d’acier. Elle fait merveille dans les finales d’actes, dominant l’imposante masse chorale, mais ses airs et ses duos en pâtissent. Félicitons Pierre Gathier : dans son unique et brève intervention, il campe un pape Léon crédible et fort, face à un Attila terrorisé par cette figure aperçue déjà en rêve. La scène finale de l’acte I est l’un des sommets de la représentation tout comme celle de l’acte II, si dramatique. Une fois encore, il faut souligner la performance des choeurs dirigés par Marcel Seminara dont la contribution est essentielle. L’âme du spectacle ? Renato Palumbo, chef énergique, passionné fou de Verdi. Il donne à cette partition juvénile toute l’énergie qu’elle demande pour intéresser un public plus connaisseur de La Traviata ou d’Otello, et défend les beautés et la force dramatique des partitions de jeunesse du Maître. Le bref prélude, par exemple, le lever de soleil, inspiré du Désert de Félicien David ou les nombreux ensembles impressionnent par la puissance de leur invention : il fut largement acclamé aux saluts finals. Seul point noir de cette production, la mise en scène de Ruggiero Raimondi, grande basse et éminent titulaire du rôle-titre, ce qui n’en fait pas un metteur en scène, hélas. Tout au plus peut-on parler de mise en place. Avec le pire à la fin de chaque air, duo ou ensemble, quand les interprètes s’avancent sur le devant de la scène pour, les bras levés, gentiment recueillir les applaudissements. Certes, l’ORW ne nous offrira jamais de “Regietheater” à l’allemande comme le Vlaamse Opera et on ne le lui demande pas non plus. Mais le public actuel accepte-t-il encore pareil retour en arrière, pareil manque d’interpellation sur un drame romantique, revu à nos yeux en 2013 ? J’ose le croire plus exigeant. De plus, le manque de direction d’acteurs fait se reposer la totalité de l’impact théâtral sur le jeu des interprètes. Aucun n’étant particulièrement doué à cet égard, hormis peut-être l’Attila de Pertusi, la force du spectacle s’en est trouvé fort diminuée. En revanche, les lumières d’Albert Faura, les décors impressionnants de Daniel Bianco (jolis fonds de scène nuageux, par exemple) et surtout les costumes fastueux de Laura Lo Surdo, ont pu un peu pallier cette carence grave. En oubliant une visualisation désuète, on retiendra une production impressionnante d’un opéra peu connu de Verdi, une belle distribution, un total engagement choral et orchestral.
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, le 22 septembre 2013

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