A l'ONB, création de Nu.Mu.Zu de Kancheli

par

Ghia Kancheli

Manuel de Falla : El Amor brujo (suite pour orchestre)
Giya Kancheli : Nu.Mu.Zu
Richard Strauss : Don Quixote, op.35
Mischa Maisky (violoncelle), Orchestre National de Belgique, dir. Andrey Boreyko

« Lorsqu'on fait une annonce au début d'un concert, c'est généralement pour annoncer une mauvaise nouvelle ». Par cette introduction commençait un petit discours, prononcé en français et en néerlandais, par deux des musiciens de l'Orchestre National de Belgique, en préambule de ce concert. En ce début de saison, l'ONB a en effet de sérieux motifs d'inquiétude : sa fusion avec l'Orchestre de la Monnaie, annoncée pour les années 2020, signifierait bel et bien sa disparition. Mis au pied du mur par une telle menace, les musiciens n'ont plus qu'un recours, chercher le soutien de leur public. Soulignant l'importance du patrimoine musical qu'il défendent, ils appellent à signer une pétition – qu'ils feront circuler eux-mêmes lors de l'entracte.
Après ces quelques mots qui n'ont rien de très joyeux, le concert s'ouvre sur une œuvre flamboyante : El Amor brujo (L'Amour sorcier), suite orchestrale tirée du ballet de Manuel de Falla. Si les cordes de l'ONB ne brillent pas par leur précision dans une rythmique aussi nerveuse, le vents (et surtout les cuivres) ont l'occasion de démontrer une belle virtuosité. Le chef Andrey Boreyko, qui comme à son habitude semble danser devant l'orchestre, en tire de riches contrastes. Vient ensuite la création mondiale de Nu.Mu.Zu, œuvre du compositeur géorgien installé en Belgique Giya Kancheli (voir l'interview avec Olivier Vrins). Basée sur une harmonie tonale très simple, Nu.Mu.Zu est une méditation empreinte de tristesse, entrecoupée d'épisodes plus dramatiques. Le piano et la harpe (qui jouent un grand rôle dans la pièce) exposent d'abord un thème d'inspiration baroque, qui reviendra comme une idée fixe, disloqué puis reconstruit. Après plusieurs explosions de l'orchestre fortissimo, le calme revient, puis le silence. Malgré l'atmosphère endeuillée qui s'en dégage, l’œuvre est empreinte d'un sentiment de paix, le même que l'on trouve chez un Arvo Pärt. Comme l'analyse si justement Giya Kancheli, « Si la tristesse et les regrets s’expriment dans ma musique, il en va de même de la répudiation de la violence. L’espoir y habite davantage que le bonheur et la joie. ». Quoique sa musique soit controversée du fait de son apparente simplicité, le public a choisi son camp : le compositeur est accueilli sur scène par une standing ovation.
Après l'entracte, une fois les musiciens revenus à leur place, leur pétition remplie de signatures, Andrey Boreyko s'autorise une petite entorse à l'étiquette. Prenant la parole en anglais, il annonce au public qu'il souhaite présenter l’œuvre qui suit, Don Quixote de Richard Strauss. Ayant eu lui-même l'occasion d'étudier le roman de Cervantès lors de sa scolarité, il estime nécessaire d'en rappeler brièvement le contenu. Lors de cette introduction bienvenue, Boreyko décrit les principaux épisodes de l'histoire, qui trouvent dans l'orchestre de Strauss une parfaite illustration musicale, des fameux moulins à vent au bêlement des moutons. Il en dirige quelques extraits pour illustrer son propos, comme cela se pratique lors des concerts pédagogiques ; le public semble bien accueillir une telle initiative, permettant d'apprécier d'autant plus l’œuvre qui sera jouée. Au violoncelle, instrument qui symbolise Don Quixote en personne, Mischa Maisky est l'interprète idéal : son interprétation noble et emportée rend à merveille la folie, mais aussi l'idéalisme, de ce touchant personnage de chevalier errant. Boreyko, qui semble très à l'aise avec la partition, entraîne l'ONB dans de grand élans lyriques. Même si les nuances forte ne sont pas toujours bien contrôlées, on a par moment de belles couleurs orchestrales. Avant le bis (Le Cygne de Saint-Saëns dans une version pour violoncelle et orchestre – sublime) le chef dit encore quelques mots : cette pièce représente l'espoir de l'ONB de pouvoir continuer à jouer pour nous. Puisse cet espoir se réaliser...
Quentin Mourier
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 16 octobre 2015

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