A Marseille deux voix sublimes pour Bellini 

par
BELLINI

© Christian Dresse

Pour rendre justice à I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini, il faut deux voix féminines d’exception. L’Opéra de Marseille et son directeur artistique, Maurice Xiberras, ont relevé magistralement le défi en réunissant Patrizia Ciofi et Karine Deshayes.La première s’illustre depuis plus de vingt ans dans les rôles de soprano lyrique du répertoire romantique. Avec émotion, je me souviens de sa Giulietta à l’Opéra Bastille en juin 2008 ; la retrouver aujourd’hui à tantôt cinquante ans pourrait constituer un moment d’appréhension. Mais dès le ‘recitativo’ « Eccomi in lieta vesta » et la cavatina « Oh ! quante volte, oh quante », la voix a conservé son coloris lunaire si suave, même si, en début de représentation, la tessiture aiguë révèle quelques tensions ; et le phrasé possède toujours cette myriade de nuances et cette intelligence du texte qui montrent une totale adéquation au style bellinien. Quant à la jeune mezzo française Karine Deshayes, elle dessine un Romeo tout aussi remarquable en lui prêtant une intrépidité et un brio tout masculins et d’impressionnants moyens vocaux, quoique, pour l’instant, le grave manque de consistance. Face à elles, le ténor bordelais Julien Dran a lui aussi l’atout de la jeunesse et un timbre clair qui font de Tebaldo un antagoniste batailleur. En tons mineurs, les deux basses Nicolas Courjal, Capellio au grain rocailleux et Antoine Garcin, Lorenzo trop effacé. Confrontée aux Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille, la baguette de Fabrizio Maria Carminati exhibe une compréhension et une maîtrise de l’esthétique belcantiste, en allégeant les textures pour accompagner le chant et en sollicitant les qualités expressives des instruments concertants.
Sur un arrière-plan en toiles peintes rappelant les cartons de Chaperon pour le Faust de Gounod, le décor d’Emmanuelle Favre est d’une extrême sobriété, en laissant place à un espace de jeu à l’avant-scène. Sous de suggestifs éclairages conçus par Philippe Grosperrin, les costumes de Katia Dufflot ont un caractère historicisant dans une palette de coloris plutôt sombres. Par rapport aux inepties telles qu’une Mimì poubelle happée par le sol ou une Micaëla guidant le bras de Don José pour assassiner Carmen, inepties dont Orange garde le souvenir, la mise en scène de Nadine Duffaut a, elle aussi, le mérite d’être simple en se contentant de narrer l’action. Même si la séquence chorégraphiée annonçant les noces de Tebaldo et de Giulietta paraît peu appropriée dans son besoin atavique de bouger, un long escalier traversant le plateau de bout en bout occasionne nombre scènes de duels qui mettent continuellement aux prises les factions rivales dans un climat de haine judicieusement suggéré. Et finalement, deux voix exceptionnelles et un chef font le succès incontestable d’un spectacle qui entrera dans les annales de ce théâtre.
Paul-André Demierre
Marseille, Opéra, le 1er avril 2017

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