A musique réjouissante, mise en scène plus réjouissante encore !

par

Werner Van Mechelen et Anneke Luyten

Die Lustigen Weiber von Windsor de Otto Nicolai
Coup de chapeau à l'Opéra Royal de Wallonie : il fallait oser programmer ces Joyeuses Commères de Windsor, oeuvre fort peu connue chez nous, hormis sa pétillante ouverture. Dans le monde germanique, elle se hisse au premier rang, aux côtés des oeuvres de Lortzing, Flotow, ou Cornelius, pour attester de la vigueur du Singspiel, équivalent de notre opéra-comique, et alternant donc chant et dialogues parlés. Rappelons que Otto Nicolai (1810-1849) connut de beaux succès en Italie, fonda l'orchestre philharmonique de Vienne et créa ces Joyeuses Commères l'année même de sa mort. Le succès ne se démentit jamais. L'intrigue est plaisante, et très proche de celle du Falstaff de Verdi, à part quelques personnages en plus ou en moins. L'action se concentre sur les deux couples Fluth et Reich, et sur les amours de Fenton et d'Anna. Falstaff lui-même n'est qu'un catalyseur de leurs pulsions à tous. C'est ce qu'a parfaitement compris le brillant metteur en scène, David Hermann, dont nous avions déjà pu admirer l'inventivité dans sa Iolanta SF à Metz, et sa Flûte enchantée western et déjantée à Anvers. La lettre envoyée aux deux dames par le chevalier, qui n'est ici ni gros ni ivrogne, sert de détonateur aux fantasmes de tous : les désirs enfouis vont apparaître. Pour les canaliser, Hermann fait appel à un psychiatre, rôle parlé (en français), qui couche les personnages l'un après l'autre sur son divan. Au détour des différentes péripéties, situées dans des décors design années 1970 (Rifail Ajdarpasic), les pulsions vont croître. Essentiellement la jalousie de Herr Fluth (le Ford de Verdi), qui confine à l'hystérie, puis, petit à petit chez les deux dames, qui font plus que se prêter au jeu. Et ce d'autant plus que Falstaff ne se montre pas, ou plutôt, se montre toujours derrière un baldaquin, ou voilé : jamais on ne voit son visage. Seuls dans leur bulle (de luxe) s'aiment les petits jeunes, Fenton en costume de Jimmy Hendrix, et Anna en... bikini. Ils finiront, comme tous, à révéler leur libido lors de la bacchanale de la forêt de Windsor. La scène finale est plutôt exceptionnelle : réunis dans ce bois mythique, tous les protagonistes laissent tomber la mascarade prévue pour berner Falstaff. Au contraire, ils se lancent dans une frénésie érotico-violente, sorte de danse effrénée, sans tabous. On ne pense plus qu'à se battre joyeusement (?) ou surtout à s'étreindre (et même pire). Le tout sous l'égide d'un Falstaff triomphant (Frans Hawlata, en très bonne voix) enfin visible, arborant un maillot d'une éclatante virilité ! Je ne sais ce que Shakespeare ou Nicolai en auraient pensé, mais c'était diablement efficace. Le bon peuple liégeois, peut-être secoué, a bien applaudi, par ailleurs. Pilier du spectacle, Anneke Luyten a confirmé, par son rôle de premier plan (Frau Fluth) qu'elle est plus que l'étoile montante du chant belge. Abattage, charme, timbre charnu : nous avons là une vraie grande voix lyrique. Le personnage de son hystérique époux allait comme un gant à Werner Van Mechelen, qui peut passer du tragique poignant (son Amfortas à Anvers) au comique le plus débridé, c'est le propre du grand artiste. Sabine Willeit incarnait une Frau Reich complice mais non dupe, et son soprano aigu se liait joliment au grave de Luyten dans leurs nombreux duos. Son pauvre mari n'est pas bien gâté par le compositeur, au grand dam de Laurent Kubla, que l'on vit plus que l'on ne l'entendit. Excellent couple d'amoureux de Davide Giusti (un "Horch ! Die Lerche singt im Hain" splendide) et de Sophie Junker, dont la prière à Titania dans la forêt a beaucoup ému. Voilà une jeune fille parfaitement à l'aise sur les planches. Citons enfin le psy parlé de Sébastien Dutrieux, qui a bien fait rire. Christian Zacharias dirigeait un orchestre de l'ORW manifestement content de jouer autre chose : l'enthousiasme s'entendait. Un beau moment encore ? Le choeur "O süsser Mond, o holde Nacht" à Windsor, féérique.
Des découvertes pareilles, on en redemande !
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, Liège, le 1er février 2015

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