A Pesaro : une 'Nonna del Lago', un Turc burlesque racheté par Cyrus et la fête à Florez

par

Ciro in Babilonia. Eva Podles et Antonino Siragusa

Le programme de la 37ie édition du Rossini Opera Festival dans la ville natale du compositeur proposait trois productions d’opéra : La Donna del lago, Il Turco in Italia et Ciro in Babilonia puis la déjà traditionnelle présentation des jeunes artistes de l’Accademia Rossiniana dans Il Viaggio a Reims et plusieurs concerts dont un gala en honneur de Juan Diego Florez à l’occasion du 20e anniversaire de ses débuts à Pesaro.

La Donna del lago est une coproduction avec l’Opéra Royal de Wallonie (qui présentera l’œuvre durant la saison 2017-18) dans une mise en scène de Damiano Michieletto, dans les décors de Paolo Fantin, les costumes de Klaus Bruns et les lumières d’Alessandro Carletti. Comme dans ses précédentes mises en scène (dont L’Elisir d’amore à la Monnaie, La Scala di seta à Liège ou Guillaume Tell à Covent Garden) Michieletto ne se contente pas du livret original et il y ajoute toujours une interprétation bien personnelle, souvent controversée. Il trouvait sans doute l’histoire romantique des amours d’Elena et Malcolm dans l’Ecosse du 16e siècle, trop simple et ne croyait pas au happy end. Il nous montre donc Elena et Malcolm en couple âgé contemporain qui ne vit plus du tout en harmonie. Elle s’occupe surtout du portrait de Giacomo Stuart, le roi qui jadis lui a fait la cour, et semble regretter de lui avoir préféré Malcolm qui souffre visiblement de la situation. Et ce prologue ne suffit pas encore à Michieletto qui implique les vieillards, surtout Elena, dans l’action de l’opéra – agaçant ! - pour terminer sur un épilogue où le couple retrouve une certaine tendresse. A Pesaro, on parlait de la Nonna del lago (La grand-mère du lac) ! Si pro- et épilogue se passent dans un salon moderne, l’opéra se joue dans un beau décor dont la signification n’est pas très claire : une grande maison délabrée, envahie par la nature et, finalement, un paysage ensoleillé de joncs et de feuillages. Les costumes sont d’époque sauf pour le couple âgé, et les tartans ne manquent pas. Dans cette mise en scène plutôt confuse, les chanteurs font de leur mieux pour poser leurs personnages. Heureusement, ils sont musicalement très bien soutenus par Michele Mariotti qui dirige « son » orchestre du Teatro Communale di Bologna avec une grande souplesse et des affinités pour les subtilités de la partition qu’il détaille avec amour et sensibilité, obtenant de belles couleurs et donnant au spectacle l’élan dramatique nécessaire. Salome Jicia, soprano géorgienne, qui participait en 2015 à l’Accademia Rossiniana, est une Elena sans grande personnalité (faute de la mise en scène ?) mais chante avec style d’une voix de souple et assez virtuose. Pour le feu d‘artifice vocal, il y a les deux ténors : Juan Diego Florez (Giacomo) et Michael Spyres (Rodrigo) défendent leurs rôles avec ardeur et beaucoup de présence scénique et vocale. La mezzo-soprano arménienne Varduhi Abrahamyan campe un Malcolm tout à fait crédible mais, surtout, elle chante admirablement, d’une belle voix ronde et chaude de riche couleur. La voix de basse assez caverneuse de Marko Mimica (Duglas) est moins agréable à écouter. Ruth Iniesta (Albina) et Francisco Brito (Serano/Bertram) remplissent pargaitement leurs rôles, tout comme les chœurs du Teatro Communale di Bologna.

Pour sa mise en scène d’Il Turco in Italia, Davide Livermore -qui a aussi conçu le décor- s’est inspiré du monde de Federico Fellini. Prosdocimo, le poète à la recherche d’histoires vécues, ressemble à Marcello Mastroiani dans Otto e mezzo et le Turc rappelle un des premiers films de Fellini, Lo Sciecco bianco (Le cheik blanc). De plus, il situe l’action dans un studio de cinéma et fait apparaitre régulièrement des personnages qui ont figuré dans les films de Fellini. Il y a -bien sûr !- des clowns, Zaida, l’ex de Selim, est devenue une femme à barbe et Narciso, le soupirant de Fiorilla, porte un habit de prêtre. Avec tout ce monde, Livermore propose un spectacle souvent confus, divertissant dans la première partie mais finalement fatigant et superficiel (costumes de Gianluca Falaschi, videodesign D-Wok). Les chanteurs s’engagent vaillamment dans cette mise en scène burlesque dominée par le Prosdocimo de Pietro Spagnoli, acteur élégant et plein d’autorité et chanteur cultivé à la projection exemplaire. Olga Peretyatko souffre d’une allergie mais campe à nouveau une Fiorilla excitante, séduisante et belle, virtuose bien que son soprano homogène et souple sonne un peu moins brillant que d’habitude. Erwin Schrott (Selim) se plaît visiblement dans son personnage de macho séducteur et fait sonner sa basse avec plus de force que de nuance. Nicola Alaimo interprète Geronio avec humour et une forte présence mais il fait preuve de plus de vélocité que de volume vocal. Narciso a la voix souple aux aigus brillants de René Barbera qui campe un personnage assez comique. Bonne prestations de Cecilia Molinari (Zaida) et Pietro Adaini (Albazar) et du chœur du Teatro Della Fortuna M.Agostini. Speranza Scappucci (qui dirigera Jérusalem à l’Opéra Royal de Wallonie en mars prochain) conduit le spectacle d’une main ferme et la Filarmonica Gioachino Rossini offre son entrain et une belle sonorité.

Si je n’ai pas vraiment goûté le travail de Davide Livermore dans Il Turco in Italia, c’est par contre avec plaisir que j’ai revu sa mise en scène de Ciro in Babilonia déjà présenté ici en 2012. Pour ce « dramma con cori », en fait le premier opera seria du jeune Rossini, Livermore choisit de présenter le spectacle comme un film muet en noir et blanc des années 1910. D’une part, un public vêtu de costumes d’époque assiste à la projection du film et s’intègre petit à petit à l’action du drame biblique (le banquet sacrilège de Belshazzar, la conquête de Babylone par le jeune Cyrus et l’amour de Belshazzar pour Amira, la femme de Cyrus) et d’autre part, Babylone est évoquée sur le mode des films d’antan, avec les costumes, tiares, perruques, barbes et décorations « authentiques », une touche 1910 et un jeu d’acteurs adapté à l’esthétique de l’époque (décors et lumières de Nicolas Bovey, videodesign D-Wok, et costumes de Gianluca Falaschi. Cette formule originale marche encore toujours et elle offre pleinement aux chanteurs l’occasion de donner vie à leurs personnages et de défendre leurs parties vocales exigeantes. La grande contralto polonaise Eva Podles est de retour pour assumer le lourd rôle de Ciro qu’elle chante encore avec une grande assurance, sa voix de bronze et sa virtuosité vocale. Le public l’acclame longuement, indifférent au fait qu’elle ne puisse plus, physiquement, faire croire au vaillant guerrier. Amira a l’allure royale, la beauté, l’émotion, la voix homogène et expressive aux coloratures étincelantes de Pretty Yende. Antonino Siragusa offre à Baldassare (Belshazzar) une voix de ténor plutôt serrée, au timbre assez monochrome, mais souple et capable de grande virtuosité. Bonne prestations aussi d’Isabella Gaudi (Argene) et Alessandro Luciano (Arbace). Jader Bignamini dirige les chœurs et l’orchestre de Teatro Communale di Bologna dans une exécution plein de dynamisme, soutient les chanteurs et donne à la partition la possibilité de révéler ses multiples facettes.

En août 1996, Juan Diego Florez, jeune ténor péruvien encore inconnu, débutait en remplaçant un collègue ici même, dans Matilde di Shabran. C’était le début d’une carrière internationale qui, depuis, l’a conduit dans les plus grands théâtres du monde. Mais il est resté fidèle à Pesaro et, pour fêter ses vingt ans de collaboration, un concert anniversaire était organisé avec des extraits des différents opéras que Florez y a interprétés. La salle de la vaste Adriatic Arena était pleine et grand l’enthousiasme pour Florez et ses collègues Chiara Amaru, Ruth Iniesta, Salome Jicia, Cecilia Molinari, Marina Monzo, Pretty Yende, Nicola Alaimo, Marko Mimica, Pietro Spagnoli et Michael Spyres, accompagnés des chœurs et de l’orchestre du Teatro Communale di Bologna dirigé par Christopher Franklin dans des ouvertures et scènes de Il signor Bruschino, Otello, Le Comte Ory, Zelmira, Il Barbiere di Siviglia, La Donna del lago, La Cenerentola, Il Viaggio a Reims, Matilde di Shabran et Guillaume Tell. Un des meilleurs moments, la scène de La Cenerentola avec l’exquise Chiara Amaru en Angelina. Juan Diego Florez dont la voix s’est élargie mais aussi un peu durcie au fil du temps n’a pas craint la confrontation avec l’excellent Michael Spyres, l’autre ténor vedette de Pesaro, dans le duo Rodrigo-Jago extrait d’Otello. Pour satisfaire son public déchainé, Florez a donné en bis une seconde exécution virtuose de « Cessa di piu resistere » du Conte Almaviva.

Et cet autre ténor, l’Américain Michael Spyres, bien connu en Belgique pour ses prestations à l’Opera Vlaanderen et la Monnaie, qui a débuté à Pesaro en 2012 en Baldassare dans Ciro in Babilonia, a régalé le public dans un concert « Hommage à Nourrit ». Du répertoire d’Adolphe Nourrit, le grand ténor français (1802-1839) qui brillait dans le Guillaume Tell de Rossini, les opéras de Meyerbeer, Auber et Halévy et qui était « professeur de déclamation » au Conservatoire de Paris, il a interprété une dizaine d’airs, les uns plus connus que les autres, de Cherubini, Rossini, Auber, Halévy, Donizetti et Niedermeyer. Accompagné par l’Orchestra Sinfonica G. Rossini habilement dirigé par David Parry, il a ravi le public avec sa belle voix au medium et au grave substantiels et de chaude couleur, ses aigus triomphants de métal précieux, sa projection des textes, sa prononciation remarquable dans les différentes langues (français impeccable !), son style, ses nuances et sa musicalité. Un grand artiste !
Erna Metdepenninghen
Pesaro, Festival Rossini, les 16, 17, 18 et 19 août 2016

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