A la Scala, une mémorable Soirée Stravinsky

par
Soirée Stravinsky

Sur les mélismes du basson faisant apparaître une lumière blanchâtre devant quelques peupliers épars, un jeune homme hagard foule de ses pieds nus la terre comme s’il voulait s’imprégner de ses vibrations. En de larges enjambées entrent deux de ses compagnons, puis d’autres qui volent à la recherche de celui qu’il faudra sacrifier aux divinités printanières ; ils le trouvent, le jettent en l’air puis au sol où ils l’assomment. Seul le pleure le couple qui l’a engendré. Et ce n’est à la séquence du jeu des cités rivales qu’entrent les adolescentes qui copulent aussitôt avec les mâles afin de donner naissance à un être, germe d’une existence nouvelle. Et la Danse sacrale verra le corps de l’élu être emporté dans les sphères éthérées où le mal n’a pas de prise.
Ainsi peut se résumer la conception du Sacre du Printemps que propose le chorégraphe américain Glen Tetley ; présentée d’abord à la Bayerische Staatsoper de Munich en avril 1974, elle a été affichée une première fois à la Scala de Milan le 12 avril 1981 avec Luciana Savignano (du reste présente dans la salle) dans le rôle de l’Elue ; reprise aujourd’hui par sa collaboratrice Bronwen Curry dans des décors et costumes de Nadine Baylis et des lumières de John B. Read, la production se focalise aujourd’hui sur un danseur, Antonino Sutera, que l’on applaudit ici fréquemment en Mercutio de Roméo et Juliette ou en Lescaut de L’Histoire de Manon, et qui est l’expression même de la jeunesse aux prises avec un destin implacable. Virna Toppi et Gabriele Corrado prêtent vie au couple parental face à l’ensemble du Corps de ballet, absolument remarquable. Il faut relever aussi que le théâtre milanais a joué une carte maîtresse en convainquant Zubin Mehta, qui assume actuellement les représentations de Falstaff , de diriger cette soirée Stravinsky. Et l’Orchestre répond magnifiquement à sa volonté d’innerver la partition d’une tension qui est proche de l’insoutenable.
Par contre, dans la première partie, quelques bavures d’intonation des bois et vents entachent deux ou trois pages de Petrouchka, notamment la ‘Danse russe’ du premier tableau. Mais ce n’est que péché véniel par rapport à la qualité époustouflante de la production reprenant pour la douzième fois les décors et costumes traditionnels d’Aleksandr Benois (supervisés par Irene Monti). Et la tout aussi traditionnelle chorégraphie de Mikhail Fokin est revivifiée par sa nièce isabelle Fokine. Maurizio Licitra campe un Petrouchka, émouvant jusqu’aux larmes lors du dénouement, face à la Ballerine pimpante de Nicoletta Manni et du Maure tonitruant de Mick Zeni. Et les douze rôles secondaires ont la même tenue irréprochable que la troupe qui, au rideau final, obtient un triomphe au même titre que l’orchestre et son chef, présents sur scène.
Paul-André Demierre
Milan, Teatro alla Scala, première du 11 février 2017

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