A Turin, un chef et une soprano pour ‘I Lombardi’

par
I Lombardi

Angela Meade, Giselda - © Ramella & Giannese | Teatro Regio Torino

« O Signore, dal tetto natio », ce seul chœur avec son début à l’unisson, autrefois aussi célèbre que le « Va pensiero » de ‘Nabucco’, rappelle au grand public italien l’existence d’ ‘I Lombardi alla Prima Crociata’, le quatrième ouvrage d’un Verdi trentenaire créé triomphalement à la Scala de Milan le 11 février 1843. Curieusement, il n’a été représenté que trois fois au Teatro Regio de Turin, en décembre 1843, en mars 1873 et en décembre 1926.

La raison en est peut-être le morcellement de la trame en quatre actes et onze tableaux nécessitant à chaque fois un changement de décor. Pour cette coproduction avec l’Opéra Royal de Wallonie, Stefano Mazzonis di Pralafera se contente de réaliser une succession de scènes animées ; mais que peut-on faire d’autre avec une telle oeuvre ? Le décor de Jean-Guy Lecat stylise le parvis de la Basilique Saint-Ambroise à Milan, les cours de palais, les patios à l’orientale ; mais il se casse les dents sur les anfractuosités rocheuses de l’ermitage de Pagano laissant en équilibre instable de larges poutres violacées d’une rare laideur. Par contre, sous les lumières de Franco Marri, les costumes somptueux de Fernand Ruiz jouent de coloris plutôt sombres pour donner une harmonie à chaque scène. Et ce beau livre d’images d’Epinal se referme sur une idéalisation paradisiaque où réapparaissent les défunts Oronte, Viclinda et Sofia.
Mais l’intérêt de cette reprise est constitué par la musique. Le jeune Michele Mariotti insuffle une énergie débordante à une partition composite qui pourrait rapidement tomber à plat. Et l’Orchestrte du Teatro Regio répond admirablement à chacune de ses injonctions en produisant de fascinantes couleurs ; et dans ce concerto en miniature qu’est l’introduction au terzetto de l’acte trois, « Qual voluttà trascorrere », s’impose le violon de Stefano Vagnarelli par sa sonorité onctueuse et sa maîtrise technique qui lui permet de déjouer tous les traquenards d’un solo à la Paganini. L’imposant effectif choral, admirablement préparé par Andrea Secchi, est le second atout majeur, car, à chaque intervention, il sait faire naître une émotion immédiate.
Le plateau vocal est dominé par la soprano américaine Angela Meade que l’on vient de voir au Met incarner Semiramide en produisant une impression mitigée. Mais l’écriture belcantiste du premier Verdi convient mieux à ses moyens de ‘coloratura drammatica’ : dès le finale de l’acte II, ses imprécations, « No ! Giusta causa non è d’Iddio », confèrent à sa Giselda une noblesse de ligne et une stature tragique qui culmineront dans la cabaletta de la vision « Non fu sogno ! ». Face à elle, l’Oronte de Francesco Meli ouvre délibérément le son en une émission « forte » qui finit par lui donner une assise dans le terzetto, où le phrasé est assoupli par quelques nuances. Alex Esposito aborde le noir Pagano avec la jeunesse d’un baryton trop clair, alors que le rôle supposerait plutôt une basse ; mais l’attention constante portée à l’énonciation du texte palie largement cette carence en lui prêtant une véritable consistance théâtrale. Le second ténor, Gabriele Mangione, dessine Arvino, son ‘frère ennemi’, avec un timbre clair empreint de légitime fierté, alors que Lavinia Bini est tout aussi convaincante dans le personnage de Viclinda, son épouse, ce que l’on peut dire aussi de la Sofia d’Alexandra Zabala, du Pirro d’Antonio Di Matteo ou de l’Acciano de Giuseppe Capoferri. Et lorsque descend le rideau final, le public conquis manifeste bruyamment son enthousiasme.
Paul-André Demierre
Turin, Teatro Regio, le 19 avril 2018

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