A Varsovie, Dutoit séduit, Nézet-Séguin déçoit..

par

© Bruno Fridrych

En prélude à la soirée dédiée à la foi, l'amour et la justice avec le Fidelio de Beethoven, Radoslaw Sikorski, ministre des affaires étrangères de la république de Pologne, a tenu à rendre hommage à Jan Karski, résistant polonais qui dévoila aux Alliés -dont Roosevelt- la réalité du génocide des Juifs dès 1943 et à qui la Pologne dédie cette année 2014, année de la naissance du héros de la seconde guerre mondiale. Il n'est pas évident de donner Fidelio en version de concert. Outre la difficulté de la partition, les vêtements de soirée traditionnelle qui habillent les protagonistes invitent peu à pénétrer le monde d'une geôle humide et poussiéreuse. Il reste à la partie musicale d'assurer, ce qui n'eut malheureusement pas lieu. 
Toute autre était la soirée du lendemain avec Charles Dutoit dirigeant le Royal Philharmonic Orchestra. Dutoit possède cette faculté de faire de chaque pupitre une musique peaufinée et ciselée à l'instar d'un puzzle dont il assemble ensuite les pièces en un grand tout, une grande polyphonie dont il fait une symphonie, et "ça roule" en mode Rolls Royce. Ajoutez à cela le charisme et la pulsation rythmique, cette unité organique de tempo qu'il imprime aux partitions qu'il touche, et vous participez à de grands moments de beauté musicale. C'est ainsi que furent données l'Ouverture des Créatures de Prométhée de Beethoven et la Troisième Symphonie avec orgue de Saint-Saëns. Le public est captivé, l'énergie passe de la scène au public et du public à la scène. Une standing ovation en redemande, ce qui donne lieu à une Valse Triste de Sibelius et à Nimrod des Enigma Variations d'Elgar. En soliste, la violoniste Arabella Steinbacher n'était toutefois pas arrivée à imposer le 2e Concerto de Prokofiev dont elle donnait une sage vision monocorde qui sied peu à cette musique.

Dimanche, on attendait beaucoup de la soirée avec le Rotterdam Philharmonic Orchestra dirigé par la jeune gloire montante canadienne, Yannick Nézet-Séguin qui succède à Valery Gergiev à la tête de la phalange néerlandaise. La déception ne se fit pas attendre : après une belle entrée des timbales dans le Concerto pour violon de Beethoven avec, en soliste, Lisa Batiashvili, on se rendit compte très vite que Nézet-Séguin visait une "originalité" interprétative: choix des tempi et des rubati inadéquats, mise en avant des cadences à tout prix -quelque soient les pupitres où elles se déclinent, déséquilibre de l'ensemble accordant priorité aux voix basses au point de briser toute cohérence. Quant à la soliste, elle fit avant tout une démonstration de "beau violon" avec une superbe sonorité; mais où est resté Beethoven dans ce cheminement sophistiqué. Le plus intéressant de sa prestation résidait sans nul doute dans les eu courantes cadences de Schnittke qu'elle adopta. Moment d'émotion lorsqu'elle annonça son bis en hommage aux liens qu'entretient sa famille géorgienne avec la Pologne où elle jouait pour la première fois: une courte pièce populaire géorgienne pour violon et orchestre.
Peut-être Nézet Séguin serait-il plus à l'aise dans le répertoire symphonique et on espérait une Sixième Symphonie de Tchaikovsky convaincante. Il n'en fut rien ; on eut droit à un sombre magma sonore que Nézet-Séguin ne semblait pas en mesure de maîtriser. Le public semblait toutefois ravi et reçut en "bis" un extrait de La Khovantchina de Moussorgsky.
Bernadette Beyne
Varsovie, Salle Philharmonique, les 11 et 13 avril 2014

Les commentaires sont clos.