Aïda ? Pas vraiment...

par

Pour ouvrir sa saison d’opéra et de ballet, le Teatro Di San Carlo de Naples a choisi Aïda  de Verdi. Un hommage au compositeur à l’occasion de son bicentenaire et la commémoration de sa venue à Naples en mars 1873 pour la mise en scène de l'oeuvre. Cette fois, la mise en scène est confiée à Franco Dragone. Arrivé en Belgique avec ses parents à l'âge de cinq ans, il y a fait un beau chemin avant de s'envoler vers les grands spectacles imaginés pour Las Vegas, Macao ou Abu Dhabi et bientôt au Brésil et en Chine.
Travailler dans une maison d’opéra avec des chanteurs parfois rétifs, des chœurs à manier, des contraintes budgétaires, techniques et des revendications syndicales était pour lui une expérience toute neuve, avec un résultat peu convaincant. J’ai voulu créer une Aïda épurée et intemporelle, débarrassée de ses décors opulents et de ses fioritures, porteurse d’un regard différent sur le monde d’aujourd’hui… Partant de l’ombre, c’est un signal de lumière et d’espérance que j’ai voulu apporter. Un beau programme, mais difficile à traduire dans la réalisation scénique (décors de Benito Leonori, costumes de Giusi Giustino, lumières de Michel Beaulieu, video d'Olivier Simola) : un plateau quasi vide surmonté de colonnes planantes, d'une sculpture tête en bas et d'un grand disque solaire entourés de rideaux de cordes manipulés par des figures omniprésentes. Les acrobates de l’écurie de Dragone (les esclaves) rampent sur le plateau, pauvres êtres invisibles écrasés par le système et le pouvoir. Ils feront encore une brève apparition dans le ballet de l’acte de triomphe et y seront bien plus convaincants que les danseurs du corps de ballet du San Carlo qui défilent en tutu et collants dans une insipide chorégraphie classique. Virtuose dans ses grand spectacles, Dragone reste ici trop réservé pour imprimer l'élan dramatique nécessaire. Les scènes s’enchaînent sans accrocher, à l'exception des moments dramatiques créés par des protagonistes. Vêtus de costumes informes, monolythiques, les chœurs entrent et sortent, voire se campent massivement à l’avant-scène pour la scène du triomphe. La direction d’acteurs n’est pas plus convaincante et les personnages ne prennent chair que dans les interprétations individuelles des chanteurs, soutenus en cela par la direction musicale énergique de Nicola Luisotti à la tête de l’excellent Orchestre du San Carlo. Ensemble, il ont fait honneur à Verdi : une exécution pleine de couleur et de force dramatique, de nuances subtiles et de moments d'émotion. Je pense à l’Amneris vibrante et pleine d’autorité d'Ekaterina Semenchuk qui, malgré ses cheveux blancs et ses costumes impossibles, campe une impressionnante Princesse royale amoureuse et jalouse, à la voix homogène et expressive. Lucrezia Garcia prête à Aïda un soprano lumineux, Jorge De Leon (affublé lui aussi d’un costume peu flatteur) fait un Radames placide mais donne à entendre une voix de ténor au beau métal. Marco Vratogna est un Amonasro assez fruste, Ferruccio Furlanetto un Ramfis sonore, Carlo Cigni un Roi sans grande autorité et Massimiliano Chiarolla un messager à l’allure de prophète. Et les chœurs sont vocalement impressionnants.
L’hommage à Verdi était d'abord musical.
Erna Metdepenninghen
Naples, Théâtre Di San Carlo, le 14 décembre 2013

Les commentaires sont clos.