Anniversaire Strauss à l’Orchestre National de Lille, suite !

par

Nicolas Alstaedt © Ugo Ponte

Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Suite en do majeur pour alto seul, BWV1009
Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour alto et orchestre
Richard Strauss (1864-1949) : Don Quichotte, variations fantastiques sur un thème de caractère chevaleresque, op. 35

Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus, direction – Antoine Tamestit, alto – Nicolas Alstaedt, violoncelle – Fernand Iacu, violon solo

Un Viva Strauss riche en couleurs pour ce début d’année 2014 à l’Orchestre National de Lille. Pour le 150ème anniversaire de la mort de Richard Strauss, nous avions déjà pu entendre une lecture saisissante de Till Eulenspiegel dirigée par Roberto Minczuk en novembre dernier. Jean-Claude Casadesus (qui a dirigé Ein Heldenleben en 2011 pour les 35 ans de l’orchestre) décide de s’aventurer dans les terres de Cervantès avec son célèbre Don Quichotte. En introduction, c’est Antoine Tamestit (ancien étudiant de Tabea Zimmermann à Berlin, Révélation instrumentale aux Victoires de la musique de 2007 et autres grandes récompenses) qui débute la soirée avec trois mouvements extraits de la Suite en do majeur pour alto seul de Jean-Sébastien Bach (BWV 1009). Avec humilité, il débute le Prélude avec aisance franchise. Jouant d’un Stradivarius de 1672, il déploie une pâte sonore des plus convaincante. Aidé par une salle à l’acoustique exceptionnelle (pour rappel, l’Auditorium du Nouveau Siècle a subit l’année dernière une grande rénovation, passant d’un endroit peu disposé à la musique classique à un lieu incontournable), Tamestit construit la forme du Prélude avec discernement et modèle son phrasé sur de longues périodes. Avec un do majeur très éclairé, l’alto est vu sous un autre jour dans cette suite : instrument soliste aux capacités virtuoses et d’une richesse harmonique rare, permettant un travail consistant sur la polyphonie, doté d’un jeu expressif proche du violoncelle, dédicataire de ces Six suites. La Sarabande, danse lente (la suite traditionnelle chez Bach associe et alterne quatre danses, l’Allemande, la Courante, la Sarabande et la Gigue à un Prélude et une Bourrée) présente très justement ce dernier point. Tamestit n’hésite pas à accentuer certains contours mélodiques, aidé par des accords subtilement arpégés. Comme une improvisation, le caractère très naturel et intime du soliste se marie merveilleusement avec l’ambiance chaude que dégage le public, particulièrement attentif. La Gigue conclut cette introduction avec brio et détermination. Davantage virtuose, on se laisse surprendre par des harmonies audacieuses au sein d’une structure harmonique qui semble pourtant évidente. Tamestit conclut l’œuvre avec un impact considérable sur certains accents de la rythmique, rendant l’œuvre passionnante.
Après des vœux exprimés par Jean-Claude Casadesus, Tamestit poursuit la soirée avec le Concerto pour alto et orchestre de Bartók. Œuvre magnifiée par Tabea Zimmermann, Bartók écrit ce concerto alors qu’il est touché par la maladie. Alors que la mort l’empêche de terminer l’écriture de l’œuvre, Tibor Serly, un ami proche du compositeur, tente de l’achever. La tâche est rude pour le compositeur, très peu d’informations sont données par Bartók et les parties, tant d’alto que d’orchestre ne sont pas toujours complètes. Notamment révisée par Péter Bartók (fils du compositeur), l’œuvre jouit malgré tout d’une reconnaissance internationale. Si l’on ne saura jamais qu’elles étaient réellement les intentions de Bartók père, l’interprétation à l’ONL se laisse savourer avec attention. D’une précision frappante, Jean-Claude Casadesus modèle chaque ligne avec sensibilité. Aucun mystère pour le chef qui transmet à son orchestre ses intentions et ses attentes dans cette musique complexe. Sans véritables coupures, les trois mouvements s’enchaînent grâce à des interludes donnant un sens à chaque partie. Attentif aux sonorités de l’orchestre, Tamestit s’investit pleinement dans cette œuvre. Jeu expressif qui tend à mettre en exergue les motifs prioritaires de l’œuvre. La « seconde partie » est d’une richesse mélodique et harmonique sublime. Le dialogue entre l’orchestre et le soliste est naturel tandis que chaque pupitre idéalise sa partie avec beaucoup de sérieux. Après ce mouvement finalement assez minimaliste, le troisième entame une succession de motifs populaires roumains, chers à Bartók. Avec la même précision que pour les deux premiers mouvements, le soliste et l’orchestre occasionnent un bouleversement dans la salle. Si la virtuosité de Tamestit est impressionnante, le jeu de l’orchestre qui l’accompagne est tout aussi déconcertant. Casadesus maîtrise cette partition à merveille et lui donne ses lettres de noblesse.
Après la pause, autre bouleversement avec une lecture saisissante de Don Quichotte de Strauss. Avant dernier poème symphonique, il se décèle déjà quelques motifs que Strauss reprendra pour Ein Heldeleben. Si le travail sur l’harmonie, très proche de Wagner, est fulgurant, c’est davantage les parties plus lyriques qui frappent l’auditeur. Les cordes de l’ONL explorent toutes les couleurs chaudes exploitables, offrant ainsi une sensation de plénitude. Face aux tutti magistraux, le soliste principal, Nicolas Alstaedt, s’embarque dans un jeu bouillonnant et d’une précision exemplaire. Avec Antoine Tamestit (alto) et Fernand Iacu (violon solo), il développe une homogénéité entre l’orchestre et les parties solistes. Si par moment l’orchestre dépasse très légèrement les solistes, Casadesus, d’une main ferme, rectifie le tir et apaise certains pupitres dominants. Chaque variation (dix au total) est réfléchie et pensée alors que l’on assiste avec bonheur aux aventures du « Chevalier à la Triste figure » (violoncelle) et son écuyer, Sancho Pança (alto). Beaucoup d’humour, d’espièglerie et de passion dans cette œuvre, interprétée avec passion ce soir.
Succès bien mérité pour l’ONL et Jean-Claude Casadesus qui entame l’année 2014 avec bravoure. Un programme particulièrement difficile qui pourra être réécouté sur France Musique jusqu’au 06 février 2014. (http://www.francemusique.fr/emission/le-concert-du-soir/2013-2014/l-orchestre-national-de-lille-jouent-bach-bartok-et-strauss-01-07-2014-00-00). La saison se poursuit à Lille avec un anniversaire Wagner en février, les orchestres de Liège (janvier) et Belgique (février), un programme cordes sous la direction de Fernand Iacu et divers ciné-concerts tout aussi passionnants. A découvrir !
Ayrton Desimpelaere
Lille, Nouveau-Siècle, le 9 janvier 2014

 

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