Anton Bruckner à Saint-Florian

par

Anton BRUCKNER (1824-1896) : Missa Solemnis en si bémol mineur-Magnificat en si bémol majeur-Tantum Ergo. Robert FÜHRER (1807-1861) : Christus factus est. Jospeh EYBLER (1765-1846) : Magna et mirabilia. Johann Baptist GÄNSBACHER (1778-1844) : Te Deum opus 45. Johanna WINKEL (soprano), Sophie HARMSEN (mezzo-soprano), Sebastian KOHLHEPP (ténor), Ludwig MITTELHAMMER (basse), RIAS Kammerchor, Akademie für Alter Musik Berlin, dir.: Lukasz BOROWICZ. 2017-DDD-47'-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Accentus Music ACC 30429

Comme le souligne la notice du présent disque, nous nous trouvons devant un paradoxe lorsque l'on prend en considération la vie et l'oeuvre d'Anton Bruckner. D'une part, on insiste sur son appartenance à la paroisse de Saint-Florian, endroit où il est né et inhumé et où l'imagerie populaire le voit forger son style à l'orgue de la paroisse. D'autre part, tant les musicologues que les artistes ont largement négligé, jusqu'à présent, toute la part de son oeuvre composée pendant la première moitié de sa vie, passée en très grande partie dans la localité autrichienne. On oublie d'ailleurs trop souvent que le legs de Bruckner consiste en 170 partitions dont onze seulement sont des symphonies. Si l'on excepte une poignée d'autres pages orchestrales et une pincée d'oeuvres de musique de chambre, pas plus d'un dizaine au total, 19 pièces pour piano et 24 pour orgue, l'écrasante majorité de son corpus est destinée à l'église, que ce soit sous forme de messes, d'ouvrages sacrés avec accompagnement orchestral ou instrumental, de motets, de choeurs accompagnés ou non, de lieder sacrés, etc.

Tout amateur de l'art d'Anton Bruckner connaît ses trois remarquables messes, écrites entre 1864 et 1868 (avec révision tardive pour deux d'entre elles), dont la splendeur n'a pas échappé à un Eugen Jochum qui en a gravé des versions de référence chez DGG. On sait moins que le compositeur a écrit, dans sa jeunesse, un Requiem en 1849 et pas moins de trois autres messes antérieures (1842 à 1844) à celle proposée aujourd'hui, cette dernière qualifiée de « solennelle » et couchée sur le papier en 1854. Que l'on ne s'attende pas à y trouver ce qui caractérise les grandes symphonies ou les trois messes de la maturité. Ce qui rendra immédiatement reconnaissable le style de Bruckner n'est encore perceptible qu'en filigrane, et à de rares moments.

Pour le reste, c'est l'influence de Haydn et Schubert qui prédomine avec toutefois, ici et là, de fugitives fulgurances plus modernes qui évoqueraient un Saint-Saëns plutôt qu'un Schumann. On admirera le délicat balancement du Kyrie ou la fugue du In gloria Dei, tout d'abord des plus conventionnels et qui, ensuite, par touches infimes, expose une sonorité, un trait qu'il nous rendra familiers bien plus tard. Certaines pages ne manquent pas de grandeur, tel le poignant Crucifixus qui, lui, loucherait plutôt vers le Requiem de Mozart: les couleurs sombres, soutenues par les trombones, et certains accents inattendus donnent à l'ensemble un indéniable attrait.

Par contre, certaines parties, tel le Et vitam qui adopte une forme fuguée, ne convainquent pas vraiment. Le début du Sanctus, quant à lui, est presque un décalque du... Sanctus de l'avant-dernière messe de Schubert, la D. 678. L'Agnus Dei montre une dernière fois un métier très sûr mais qui, par manque de confiance en soi ou par timidité peut-être, ne se démarque pratiquement à aucun moment de ses intimidants modèles. Reste une partition très agréable à entendre, surtout servie d'aussi belle manière qu'ici. Les effectifs sont assez limités et s'adaptent parfaitement aux dimensions de l'oeuvre. On notera l'insertion, après le Gloria, d'un fort beau graduale de Robert Führer, un quasi inconnu né presque une génération avant Bruckner, ainsi que d'un offertoire de Joseph Eybler après le Credo, un musicien davantage familier et contemporain de Mozart. Retour ensuite à Bruckner avec un Tantum ergo de 1852, une page juvénile accompagnée par un orchestre aux touches raffinées, et un Magnificat contemporain, en partie reconstruit. Enfin, un bref Te Deum de Johann Baptist Gänsbacher complète ce disque fort court: une pièce qu'on croirait sortie de la plume de Salieri ou de Lesueur, pleine de verve mais assez convenue, il faut bien l'avouer. Au total un disque rempli de bonnes choses fort peu connues qui ravira les amateurs  de raretés, le tout servi dans un écrin interprétatif vraiment remarquable.

Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 10 Répertoire: 9 Interprétation: 10

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