Ashkenazy et Bach: une association pas tout à fait convaincante

par
Ashkenazy

Jean Sébastien BACH
(1685 - 1750)
Six suites françaises
Vladimir ASHKENAZY (piano)
2016-2017-DDD-82'52-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Decca 483 2150

On n'associe pas naturellement le nom de Vladimir Ashkenazy à celui de Bach. Et pourtant, sa contribution à l'oeuvre du cantor, entièrement chez Decca, est fort respectable encore qu'assez tardive dans sa carrière: le Clavier bien tempéré publié en 2006, les Partitas en 2010 ainsi qu'un disque rassemblant diverses pièces autour du Concerto italien en 2014. Et l'on ne compte pas l'un ou l'autre concerto capté bien plus tôt dans carrière. D'où vient dès lors que ces gravures ne semblent pas avoir marqué les esprits? L'écoute de ces toutes nouvelles Suites françaises apporte sans doute un élément de réponse. Dès le début, on ressent une curieuse sensation, comme celle d'une association contre nature. Le geste est assez guindé et étriqué, la ligne ne respire guère, le discours reste univoque et peu habité. Et, sur le plan technique, on surprendra quelques inconforts dans certains traits virtuoses qui viennent renforcer l'impression de crispation, laquelle perdure tout au long de l'audition. Avouons que nous n'avons pu résister à l'envie de comparer cette parution avec le témoignage de Murray Perahia paru l'année dernière chez DG. Le constat est sans appel: ce dernier, très familier de Bach depuis toujours, se meut dans ces oeuvres avec une aisance, une liberté de ton et une imagination tout simplement magiques. Les allemandes, courantes, sarabandes et autres gigues s'envolent et nous font instantanément rêver. Un petit signe devrait nous mettre la puce à l'oreille: Ashkenazy ne prend qu'un disque et moins de 83' pour boucler son voyage. Il en faut deux et près de 92' chez son collègue. Même si l'on tient compte de quelques différences (très mineures) dans les partitions retenues pour les deuxième et troisième suites et que l'un n'est pas systématiquement plus rapide que l'autre, on ne pourra qu'être frappé par cette différence de timing, en sachant que Perahia adopte des tempos proches de l'idéal, au piano tout au moins. On est presque gêné de poursuivre longtemps cette comparaison, surtout lorsqu'elle met « en difficulté » un artiste que, par ailleurs, on admire depuis tant d'années et qui nous a apporté tant de joies musicales. Oserions-nous affirmer qu'Ashkenazy se fourvoie quelque peu dans ce monde qu'il semble ne pas apprivoiser avec autant d'évidence que ceux où il s'est illustré avec bien plus de conviction: Rachmaninov, Scriabine, voire Mozart, Beethoven et Chopin? Ce disque n'est nullement indigne; il s'agit de beau piano malgré tout. Mais la concurrence est cruelle et, dans un répertoire si fréquenté déjà, il est devenu difficile de se démarquer par une vision novatrice ou un engagement qui ne peut que forcer l'admiration. Une déception, donc, mais qui ne remet pas en cause les mannes de trésors accumulés au cours des années que son éditeur de – presque – toujours regroupe ces derniers temps en volumineux coffrets bien présentés.
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 6

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