Au coeur de l'imaginaire schumannien

par

Robert SCHUMANN (1810-1856) : Fantaisie opus 17-Trois romances opus 28-Scènes de la forêt opus 82. Claire DESERT (piano). 2018-DDD-70'-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Mirare MIR 408


25 ans après un premier récital Schumann très remarqué où elle dévoilait d'évidentes affinités avec les Novelettes opus 21 et les Phantasiestücke opus 111, Claire Désert revient aujourd'hui à ce monde dont elle continue à être une interprète privilégiée. On se rend d'ailleurs vite compte que sa proximité avec l'univers du Rhénan ne s'est pas estompée, bien au contraire: dès les premiers accords de la Fantaisie opus 17, on réalise qu'on vit un petit événement. Dans le premier mouvement, les alternances entre mélancolie, abattement et sursauts de passion et d'agitation, signes de la dépression du compositeur, ont rarement été négociés avec autant d'intelligence et de compréhension du texte : l'impression ressentie que l'interprète se glisse littéralement dans la peau du compositeur et vit avec lui tous les tourments et démons qui l'habitent est proprement saisissante. Le deuxième mouvement reste mesuré et perd son aspect « grand spectacle » que certains croient y voir. Tout au contraire, la pianiste nous plonge dans cet univers étrange et, à vrai dire, bien inquiétant, de cet homme dont elle a probablement saisi comme personne toute la détresse morale malgré le soutien indéfectible de sa chère Clara. La dernière partie, très intériorisée, n'est pas une libération mais plutôt une renonciation, rendue avec infiniment de douceur et de délicatesse. Dans les Trois romances opus 28, nous sommes une fois encore très loin des effets de manche souvent entendus. Ici, la virtuosité, redoutablement réelle, est presque gommée par une musicienne qui met au contraire en avant l'angoisse inextinguible de cette âme tourmentée et sans repos. Je ne pense pas que quiconque, pas même Claudio Arrau, ait jamais abordé ces célèbres pièces de telle manière et, pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que c'est bien elle qui a raison et tous les autres qui ont tort. Même dans la deuxième, cette berceuse qui ne dit pas son nom, le repos ne vient pas, l'esprit reste tout au long sur le qui-vive, aucun apaisement ne paraît à l'horizon, même si le ton y est trompeusement calme. Dans la dernière, la pensée se fait plus obsessionnelle, que ce soit dans le premier thème, marcato, ou dans le second, plus liant. Enfin les sublimes Waldszenen opus 82 sont magnifiées comme jamais sous les doigts de Claire Désert qui les aborde avec une désarmante simplicité. Le raffinement des Fleurs solitaires, l'étrangeté du Lieu maudit, celle encore plus marquée de L'oiseau-prophète, la gaîté un peu forcée du Paysage souriant, la quiétude enfin revenue in extremis dans L'adieu sont rendus avec une incroyable justesse par cette splendide artiste, depuis toujours si discrète. On peut se poser la question du pourquoi de cette discrétion, mais il est vrai qu'on la voit mal courant le monde sous les feux des projecteurs dans de grandes salles pleines à craquer car son monde à elle demande l'intimité, le tête-à-tête, le ton de la confidence. Une grande dame du piano et un disque pour l'île déserte.

Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 9 Répertoire: 10 Interprétation: 10

 

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