Au fil de l'épée

par

Maria Agresta (Elvira) au centre. © Opéra National de Paris Andrea Messana

Les Puritains, dernière œuvre de Vincenzo Bellini (1801-1835) paraît aujourd’hui sur la scène nationale française presque 200 ans après sa création légendaire sur la scène de l'Opéra Comique. Programmée en 2013 dans la même saison que sa contemporaine Lucia di Lamermoor (1835) et née, comme elle, de l'imagination de Walter Scott, elle offre une immersion radicale dans l'univers de l'opéra romantique encore tout imprégné du bel canto rossinien. Car le fameux «quatuor des Puritains» Grisi, Rubini, Tamborini, Lablache, pratiquait en virtuose les préceptes rossiniens (douceur, rondeur et naturel de l’émission, agilité expressive, aversion pour tout ce qui est forcé, émotion intrinsèquement musicale, jamais servilement «représentée» mais insufflée à l'imagination et la sensibilité de l'auditeur grâce à l'art des interprètes vocaux et instrumentaux mêlés en une infinie conversation...). C'est d'ailleurs Rossini qui conseilla au jeune compositeur d'ajouter le fameux duo masculin «suoni la tromba» qui connut si belle fortune! Depuis Liszt, qui en fit l'Hexameron avec le concours, entre autres, de Chopin, à aujourd'hui, elle déclenche l'enthousiasme de la salle.
D'émotions, l'intrigue n'est pas avare: Elvira est promise par son père, chef du parti puritain à Ricardo. Amoureuse d'Arturo, héros du camp ennemi des Stuart, elle obtient, grâce à son oncle Giorgio, le consentement de son père. A l'instant du mariage, Arturo est contraint de sauver la veuve du roi Stuart décapité qui risque l’échafaud à son tour, en la faisant passer pour sa propre épouse cachée sous le voile nuptial. Elvira, sidérée, perd la raison qu'elle ne retrouvera que par le chant du bien-aimé et la grâce de Cromwell. La fin heureuse ne fait guère illusion et la mise en scène penche à juste titre du côté le plus sombre de la tragédie révolutionnaire. Il est vrai que, déjà, pour le public de la création, il n'y avait même pas 50 ans- une génération- que le roi de France avait été décapité sur la place voisine de la Concorde! Ici, Olivier Py dépouille, décharne, stylise à l'extrême: un château de fil de fer tournant sur lui même, des chœurs se mouvant comme des automates rigoureusement réglés, des effets de froide lumière laissent les héros de chair et de sang, vulnérables et palpitants, seuls dans l'immensité. L'inhumaine mécanique y trouve sa force dramatique et les chanteurs un défi tout aussi inhumain. Là où la sublime Lucia di Lamermoor de Patricia Ciofi pouvait s'appuyer sur un fond de scène en arène et une science accomplie, Maria Agresta doit vaincre le trac et le vide. Quand la ligne vocale épouse les harmoniques de l'orchestre, alors, c'est très beau, car la voix ronde, chatoyante et onctueuse conduite avec musicalité, charme. En revanche, ses courses à travers le plateau suggèrent peut-être l'affolement mais compromettent l'émission -ne parlons pas des ornements- et dispersent inutilement la présence dramatique. Entourée d'un ténor vaillant qui s’époumone dans l'impossible rôle d' Arturo (Dmitri Korchak), d'un baryton dont les superbes moyens semblent frigorifiés par les conditions de spatialisation acoustiques (Marius Kwiecien), d'une basse (Michele Pertusi) idéale de style et de noblesse, d'une rivale charmante mais roturière(Andreea Soare) et d'un chœur pesant pas toujours en place, l'émouvante figure d'Elvira triomphe par la musique. Houle caressante, toute d'élans et de détente, elle aurait mérité une conduite plus nerveuse (Michele Mariotti) et un orchestre moins léthargique. Beau succès public.
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra National de Paris Bastille, le 25 novembre 2013

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