"Au fil du Danube" avec Tedi Papavrami et François Frédéric Guy

par

Il serait difficile de trouver un festival plus convivial et accueillant que celui de Stavelot où la qualité de la programmation et un public attentif et enthousiaste offrent, année après année, des soirées où la plus haute qualité artistique va de pair avec une atmosphère merveilleusement détendue dans la délicieuse bonbonnière du Réfectoire des Moines de la belle Abbaye. Je n'étais plus venu à Stavelot depuis bien longtemps, mais une fois entré dans l'Abbaye, le charme du lieu agit instantanément au point de faire immédiatement oublier les désagréments du long trajet en voiture en raison des infernaux embouteillages dus aux travaux routiers entre Bruxelles et Louvain ainsi que la désespérante pluie qui ne cessa de tomber toute l'après-midi et la soirée.
Fidèle au thème du Festival de Wallonie de cette année qui est « Au fil du Danube... », le Festival de Stavelot accueillait ce soir-là (et le suivant) le violoniste Tedi Papavrami et le pianiste François-Frédéric Guy dans un récital faisant la part belle à la musique d'Europe centrale, et même si nous n'associons pas d'instinct Beethoven et Brahms à cette région, force est de reconnaître que ces deux Allemands étaient bien des Viennois d'adoption.
C'est justement la Dixième sonate en sol majeur, op. 96 de Beethoven qui ouvrit le programme de la soirée. Cette oeuvre d'un merveilleux lyrisme et que beaucoup tiennent pour la plus parfaite des sonates pour piano et violon de Beethoven, permit d'emblée d'apprécier toutes les qualités dont, d'un bout à l'autre de la soirée, allait faire preuve l'excellent pianiste français (déjà précédé d'une flatteuse réputation de beethovénien) : technique assurée, maîtrise et travail de la sonorité, sensibilité sans cesse en éveil. Tedi Papavrami parut en revanche moins dans son élément : en dépit d'un son puissant et d'un belle maîtrise d'archet, son interprétation avait quelque chose d'assez neutre, littéral et appliqué, où l'on eût cherché en vain la liberté, la chaleur et la souplesse que demande cette musique.
Mais les choses changèrent du tout au tout dans la splendide sonate de Janacek, où le violoniste franco-albanais parut subitement comme libéré du corset qui jusqu'alors l'engonçait. Bénéficiant d'un soutien sans faille de la part du pianiste capable d'user d'une grande dynamique sans jamais écraser le violon, Papavrami fit entendre dans l'oeuvre du maître morave de belles couleurs, de l'audace et de la passion. Par ailleurs, l'aisance démontrée par les deux musiciens par rapport au côté rhapsodique et aux fulgurances subites de l'écriture de Janacek était vraiment remarquable.
La deuxième partie du récital s'ouvrit sur la Première sonate en sol majeur, op. 78 de Brahms, et une splendide interprétation du premier mouvement, les deux interprètes prenant littéralement à bras-le-corps une musique qui donnait l'impression de s'écouler d'un seul jet et dans une ampleur véritablement symphonique. Dans l'Adagio, Papavrami se montra lucide et raisonné, mais -en dépit de son usage intelligent et varié du vibrato- son jeu, franc et sans le moindre maniérisme, manquait de cette tendresse douce-amère si typique de Brahms. Quant au Finale, il l'aborda d'une façon sobre, mais peu enjouée.
Le programme se termina sur la transcription pour violon et piano des Danses populaires roumaines (écrites à l'origine pour piano seul) de Bartok. Soutenu par un Guy irréprochable, Papavrami parut beaucoup plus détendu et impliqué, osant même quelques petites hésitations agogiques, et s'appropriant volontiers le côté insouciant et hâbleur de certaines danses.
Chaleureusement applaudis, les interprètes offrirent deux bis. D'abord, les Airs bohémiens (Zigeunerweisen) de Saraste, redoutable morceau de bravoure violonistique où le contraste n'eût pu être plus grand entre l'apparence distinguée, élégante et assez réservée du violoniste et les exploits de pyrotechnie instrumentale qu'il accomplissait avec une maîtrise confondante sans jamais se départir d'un masque imperturbable, rappelant certains grands violonistes du passé tels que Heifetz et Kogan.
Le dernier bis fut Liebesleid de Fritz Kreisler, joué sans la moindre affectation ni mauvais goût, mais auquel il manquait un ingrédient indispensable (même s'il convient de l'utiliser avec modération) : le fameux Schmalz viennois - ce sentimentalisme qui frôle, sans jamais la franchir, la limite du doucereux.
Patrice Lieberman
Stavelot, le 8 août 2014

Les commentaires sont clos.