Au hasard du répertoire : un « Rigoletto » bienvenu

par
Rigoletto

© Matthias Creutziger

La plupart du temps, les Belges et Français que nous sommes découvrons des opéras inscrits dans des « saisons » : c’est-à-dire des productions originales, même si c’est un énième « Don Giovanni ». Avec aussi l’une ou l’autre « reprises ». Nous allons donc de « nouveauté » en « nouveauté ». Il n’en va pas de même dans tous les pays : certains pratiquent une politique de « répertoire ». Leurs productions ont certes d’abord été des « nouveautés », mais elles seront ensuite reprises non pas en une seule série de représentations, mais disséminées au cours des saisons qui suivent. C’est le cas notamment en Allemagne.Pour l’amateur d’art lyrique, c’est alors le bonheur de saisir l’occasion d’une escapade touristique ou professionnelle pour profiter des hasards du répertoire ! « Je serai à Berlin, Hambourg, Mainz ou Dresden, quels sont les opéras à l’affiche ces jours-là ? » Il y en a le plus souvent plusieurs qui se succèdent, et l’on est toujours certain de trouver une place – ce qui est parfois difficile dans les « maisons de saisons ».
Ainsi ce « Rigoletto » heureusement intégré dans mes quelques jours de découverte du Festival de Musique de Dresden.
Cette production a été créée il y a dix ans, le 21 juin 2008 ! Cela a été une chance de pouvoir encore, à mon tour, la vivre en direct. La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff (1939-2015) n’a pas vieilli. On y retrouve, pour reprendre les mots d’un commentateur au moment de son décès, « son style élégant, distingué et intelligemment provocateur ». Rien de gratuit en effet dans ses propositions : Lehnfoff a écouté l’œuvre et s’est mis à son service. Ainsi, les scènes de la cour du Duc de Mantoue n’ont certes rien d’original, mais elles sont remarquables dans leur mise en place des personnages, révélatrice des rapports de force, des renversements de situation, des solitudes désespérées (le retour dans le lieu de ses triomphes cruels d’un Rigoletto anéanti, dont on vient d’enlever la fille : « C’est ma fille ! – Sa fille ! »). Et ma « position élevée » (un balcon supérieur) m’a permis de bien comprendre cette géométrie en action. Les courtisans portent des masques d’animaux ou des cornes de diables, typiques d’un monde bestial. Contrairement à ce que j’ai vu cette saison à Liège (Stefano Mazzonis di Pralafera) ou à Londres (la reprise de David McVicar), Lehnhoff ne joue pas la carte de la reconstitution réaliste : les lieux sont suggérés et en lien direct avec les drames qui vont s’y dérouler. La chambre de Gilda est comme une boîte surélevée. Percée d’étoiles, elle est magnifiquement éclairée lors de son air de bonheur amoureux. L’auberge fatale n’est faite que de deux parois perpendiculaires, rouges. Les éclairs de la tempête font apparaître des fragments rouges et verts d’une peinture de terrible damnation. Tout cela est très fort, dans la poésie amoureuse, dans le déferlement fatal.
Un autre bonheur de ces « hasards du répertoire » est celui de la découverte de voix inattendues. Certes, en 2008, les premiers jours de la création, on se bousculait sur le plateau : Juan Diego Florez, Zeljko Lucic, Diana Damrau ou encore Georg Zeppenfeld. On est à Dresden quand même ! Mais l’autre soir, c’est une plus que talentueuse équipe que le chef Francesco Lanzillotta – de belles nuances et de pertinente précision – a mené à bon port verdien.
Stéphane Gilbart
Dresden, Semper Opera, le 5 juin 2018

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