Bizarrerie historique

par

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Les Mystères d'Isis (1801)
Chantal SANTON-JEFFERY (Pamina), Marie LENORMAND (Mona), Renata POKUPIC (Myrrène), Sébastien DROY (Isménor), Tassis CHRISTOYANNIS (Bochoris), Jean TEITGEN (Zarastro), Camille POUL (1ère Dame, 1ère Suivante), Jennifer BORGHI (2ème Dame, 2ème Suivante), Elodie MECHAIN (3ème Dame, 3ème Suivante), Mathias VIDAL (1er Prêtre, 1er Ministre), Marc LABONNETTE (Le Gardien, 2ème Prêtre, 2ème Ministre), FLEMISH RADIO CHOIR, LE CONCERT SPIRITUEL, dir.: Diego FASIOLIS
2015- 2 CD – CD1 120'- CD 2 45'- présentation en français, anglais, allemand-textes en français et anglais- chanté en français- Glossa GCD 921630

Si, en 1766, lors de son premier « voyage occidental », l'enfant Mozart séduisit la Cour de France par son esprit, sa fraîcheur, ses bons mots (« M'aimez-vous, m'aimez-vous bien?) jusqu'à susciter le si admirable tableau de Michel Barthelemi Ollivier (« Le thé chez la princesse de Conti », 1766) où le frêle Wolfgang joue sur un immense clavecin qui semble vouloir l'engloutir!, il n'en va pas de même en 1778, le jeune homme montrant évidemment moins d'attraits - jusqu'à inciter la duchesse de Polastron-Polignac, âme damnée de Marie-Antoinette à l'éloigner de la Cour de Versailles tandis que le duc de Guines regimbait à payer le « Concerto pour flûte et harpe » (K.299) dont il avait pourtant passé commande. Quand l'auteur de « Cosi » mourut en décembre 1791, la nouvelle effleura tout juste Paris. Dans le grand chaos de la Révolution française, si Mozart était semble-t-il assez peu joué en public, il était parfois édité selon le musicologue Jean Mongrédien ; on trouvait par exemple à Paris chez l'éditeur Vogt des extraits de « Cosi » en réduction piano-chant, alors que cet opéra ne sera donné pour la première fois dans la capitale que 10 ans plus tard . Apprécié des « happy few » il était aussi déjà mal compris. Deux ans après sa mort, « Les Noces de Figaro » -en langue française- échouèrent sur la scène parisienne : la juxtaposition des dialogues parlés de Beaumarchais, à la place des récitatifs chantés, rendait la représentation d'une longueur insoutenable ! En concert, on put entendre à peine deux airs d'opéra tirés de « La Flûte enchantée » en février 1798, rue Saint-Nicaise, par Madame Walbonne-Barbier- et, par la même interprète, en décembre 1799 aux Concert Favart, une « scène italienne de Mozard (sic) »  : on ne sait déjà plus écrire son nom ! Pourtant, parmi les élites napoléoniennes, l'intérêt pour Mozart se manifestait même en campagne : sa soeur Nannerl raconte ainsi à son éditeur en 1801 : « Nous avons eu récemment la visite d'un général français (Victor Moreau) qui n'a fait le voyage jusqu'ici -Saint Gilden- que pour faire ma connaissance, car, a-t-il dit, il est le plus grand admirateur de mon frère. ». La même année, le public parisien passait à côté d'une occasion extraordinaire : la venue en personne, d'Aloysia (Madame Lange), belle- sœur et premier grand amour de l'auteur, qui venait inaugurer un éphémère « théâtre Mozart », allemand, avec « L'enlèvement au Sérail ». Les dilettanti préférèrent se complaire dans les « Anecdotes sur la vie de Mozart » (Cramer) et les premières biographies romancées qui vont lancer le culte romantique du compositeur. C'est ce même penchant pour la facilité qui expliqua la dénaturation présentée sous le titre des « Mystères d'Isis », le 20 août 1801, sur la scène du Théâtre de la République et des Arts, et son paradoxal succès. L'enregistrement de cet opéra qui a perdu jusqu'à son nom, donné en concert à la (feu) Salle Pleyel le 23 novembre 2013, nous est proposé ici. Fallait-il une fois encore maltraiter Mozart en France au nom de la reconstitution historique ? Berlioz et les critiques de l'époque ne nous éclairent-t-ils pas suffisamment, même avec leurs excès ? La simple lecture du texte affligeant d'Etienne Morel de Chédeville et la partition « arrangée » par Ludwig Wenzel Lachnith, de même ? Soutenu par la fondation Bru (l'aspirine effervescente UPSA), le Centre de musique romantique française et le Palazzetto Bru Zane -qu'on a connu mieux inspiré- s'est néanmoins employé à reconstituer et enregistrer cet « affreux mélange » (Berlioz dixit) . Hervé Niquet qui devait diriger, s'est fait remplacer par Diego Fasiolis et Sandrine Piau par Chantal Santon-Jeffery. Hélas, Mozart aussi est absent. Si on reconnaît ici ou là des bribes d'airs connus extraits de diverses œuvres (« Don Giovanni », Les  « Noces de Figaro » notamment), ils sont accumulés, découpés, accouplés, transposés sans logique, conclus par des cadences bêtes et privés de ressort dramatique par une intrigue affadie destinée à satisfaire l'égyptomanie à la mode. Les interprètes (seuls Zarastro et Pamina conservent leurs noms, Tamino est devenu Isménor, Papageno Bochoris, La Reine de la nuit Myrrène, Papagena Mona, et Monostatos le gardien) assument bravement leurs parties. Avec, côté chanteurs des styles hétérogènes, des voix parfois fatiguées (Zarastro, Myrrène), tendues et vacillantes (Mona et les trois Dames/Suivantes) et, côté orchestre, sans nul souffle lyrique. Que ces accommodements aient contribué aux droits d'auteur des arrangeurs -c'est certain ; à la célébrité parisienne du compositeur dans le répertoire lyrique - peut-être. Qu'ils soient fidèle à son esprit - sûrement pas. Dans son franc parler auvergnat, Chabrier, eût été beaucoup plus sévère «  c'est de la musique que ce n'est pas la peine ».
Strictement réservé aux amateurs de bizarreries historiques.
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 9 - Livret 8 - Répertoire 3 - Interprétation 4

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