Bravo Cecilia !

par
Bartoli

© Festspiele Salzburger / Monika Rittershaus

Le Festival de Pentecôte de Salzbourg
La sixième édition des « Salzburger Pfingstfestspiele » sous la direction artistique de Cecilia Bartoli présentait de nouveau une affiche à thème, bien équilibrée et d’un haut niveau artistique. « Wonne der Wehmut » (Joie de la mélancolie) était le fil conducteur du programme qui offrait en quatre jours deux représentations d’un spectacle d’opéra (Ariodante de Händel), un opéra en concert (La donna del lago de Rossini), un ballet classique (La Sylphide de Bournonville), et trois concerts.Ce programme nous transportait par une mer orageuse en une Ecosse romantique, mystérieuse, voire cruelle avec ses sylphides, ses sorcières, et nous emmenait dans le monde des chevaliers et sorcières évoqué par les vers d’Ariosto.
C’est sur le poème épique « Orlando furioso » de Ludovico Ariosto et « Ginevra, principessa di Scozia » de Antonio Salvis qu'est basé le livret de « Ariodante » de Haendel. Pas d’évocation géographique dans la mise en scène de Christof Loy qui, avec Johannes Leiacker (décors), Ursula Renzenbrink (costumes) et Roland Edrich (lumières), présente son spectacle dans le monde de Haendel avec (comme il le fait d’habitude) des références pas toujours très logiques ou lisibles à d’autres époques mais composent ici un spectacle homogène et captivant. Et n’oublions pas les moments chorégraphiques conçus par Andreas Heise qui s’intègrent merveilleusement dans l’action, exécutés par huit danseurs polyvalents qui peuvent même faire croire à des belles dames du 18e siècle ! Ariodante se présente d’abord en grand guerrier (cuirasse, épée) barbu mais puisque Loy veut nous montrer que le personnage cherche son identité (et pour cela cite des fragments du roman de Virginia Woolf « Orlando »), il finit « en femme » (robe, long cheveux et plus de barbe). Cecilia Bartoli incarne le personnage de façon convaincante : allure martiale, fragilité humaine, émotion (« Scherza infida » chanté à vous fendre le cœur) et un formidable talent comique. Elle est absolument hilarante quand Ariodante, ayant bu un peu trop, exprime sa joie et son amour dans un air aux multiples coloratures virtuoses qui semblent lui donner le hoquet. Mais il est clair qu’elle ne veut pas se présenter en vedette et s’entoure de collègues (et amis) de niveau. Kathryn Lewek brillait en Ginevra, mutine, blessée et puis désespérée, qu’elle donnait dans un soprano expressif et souple; Christophe Dumaux chantait souverainement le traître Polinesso avec sa voix de contre- ténor agile et puissante; Sandrine Piau donnait féminité et musicalité à Dalinda; Norman Reinhardt n’était apparemment pas très à l’aise dans la tessiture de Lurciano et Nathan Berg prêtait au Roi d’Ecosse une voix de basse assez rugueuse. Les Musiciens du Prince, Monaco, l’ensemble baroque créé en 2016 sur l’initiative de Cecilia Bartoli en collaboration avec l’Opéra de Monte Carlo et dont elle est le directeur artistique, était dans la fosse, dirigé par Gianluca Capuano. Il est clair que l’orchestre connaît son métier et le style baroque mais peut-être l’ensemble n’était pas encore très familiarisé à l’acoustique assez sèche de la salle de la Haus für Mozart pour vraiment briller. Le son paraissait parfois assez terne et l’interprétation manquait de vie et de couleur, ce que l’on ne pouvait pas reprocher aux chanteurs, ni au Salzburger Bachchor qui, dans la version de concert de « La donna del lago » de Rossini, semblait même assez bruyant. Il est vrai que Gianluca Capuano aurait pu donner plus de sang et de chaleur à son interprétation du « melodramma » de Rossini, basé sur « The Lady of the Lake » de Walter Scott. Du tempérament il n'en manquait pas à Edgardo Rocha qui prêtait sa voix souple et son style vocal belcantiste au personnage de Giacomo, un des prétendants à l’amour et la main de la « dame du lac » Elena, ni à son antagoniste Rodrigo, un rôle que Norman Reinhardt (apparemment plus à l’aise que dans Händel) défendait avec vigueur et une belle force vocale. Mais c’est finalement Malcolm qui l’emportera, une belle incarnation de Viveca Genaux à la voix de mezzo veloutée et chanteuse virtuose. Nathan Berg était convaincant dans le rôle du Douglas d’Angus, le père d’Elena et l’héroïne elle-même, une Cecilia Bartoli dans une merveilleuse robe bleu pâle qui ne cherchait pas à jouer la vedette mais s’intégrait parfaitement dans l’ensemble. Mais son rondo finale « Tanti affetti », chanté avec humilité, affection, bonheur et adéquate virtuosité était bien sûr le moment suprême. Un public enchanté fêtait toute la distribution et ne quittait la salle qu’après avoir chanté un « Happy birthday » à Cecilia Bartoli qui fêtait son anniversaire ce jour-là et avait été fleurie par Markus Hinterhäuser, le directeur artistique du festival d’été où « Ariodante » sera à l’affiche en août.

Depuis quelques années Cecilia Bartoli inclut également, si possible, un spectacle de ballet dans son programme des Pfingstfestspiele. Cette année elle avait invité le ballet du Théâtre Mariinski de Saint Petersbourg avec « La Sylphide », un ballet romantique sur un livret du ténor Adolphe Nourrit qui raconte l’histoire du jeune écossais James, séduit par une sylphide pour qui il abandonne sa fiancée Effie mais qui sera tuée par la sorcière Madge. « La Sylphide » est le ballet romantique par excellence, à l’origine de la naissance du « ballet blanc ». Accompagné par le Mozarteumorchester dirigé par Valery Ovsyanikov le ballet du Mariinski a présente un spectacle visuellement un peu daté mais merveilleusement dansé par l’ensemble stylé et virtuose et les solistes Olesya Novikova (une sylphide diaphane, aérienne et tendre), Philipp Stepin (un James vigoureux aux sauts impressionnants) et Igor Kolb (Magde expressive).

Ecosse et romantisme aussi dans le concert de l’Orchestra dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome dirigé par Antonio Pappano avec, en solistes, Tatiana Serjan et Sir Bryn Terfel. Le baryton gallois nous présenta une interprétation magistrale du monologue du Hollandais « Die Frist ist um » extrait du « Vaisseau fantôme » de Wagner. Quelle présence, quelle intensité, quelle projection magnifique du texte, quelle voix de bronze pour évoquer cet homme damné. Puis il s’attaquait, ainsi que Tatiana Serjan, à « Macbeth » de Verdi dont la soprano russe, la Lady Macbeth du moment, nous présenta un portrait dramatique plein de fureur. Si l’orchestre avait donné un beau cadre aux chanteurs, il illustrait pleinement ses qualités sonores et interprétatives dans « Die Hebriden » et la Symphonie n° 3 « Ecossaise » de Mendelssohn, dirigés avec amour et fermeté par Pappano. Pour remercier le public qui ne voulait pas les laisser partir, ils donnèrent en bis  un extrait de la musique de ballet de « Macbeth ».

Deux autres concert complétaient le programme du festival : une matinée par le contre-ténor Max Emanuel Cencic et l’orchestre Armonia Atenea dirigé par George Petrou dans des airs d’opéras de Porpora, Vivaldi et Händel inspirés par l’Orlando furioso de Ariosto et un concert exceptionnel, pas lié à la thématique du festival. En effet, pour fêter le 40e anniversaire du début de Anne-Sophie Mutter au festival de Salzbourg, invitée à 13 ans par Herbert von Karajan, elle donnait un « Jubiläumskonzert » (concert de jubilé) avec de jeunes collègues qui forment l’ensemble « Mutter’s Virtuosi ».

Le festival de 2018 sera dédié à Rossini, mort en 1868, une année significative dans plusieurs domaines et illustrée par des représentations de « L’Italiana in Algeri » avec Cecilia Bartoli en Isabella (début) et « La Périchole » d’Offenbach, un hommage à Manuel Garcia par Javier Camarena, « Ein Deutsches Requiem » de Brahms et des concerts avec la Staatskapelle Berlin dirigé par Daniel Barenboim avec, entre autres, Andras Schiff, Cecilia Bartoli, Roland Villazon et Jonas Kaufmann.
Erna Metdepenninghen
Salzbourg, du 2 au 5 juin 2017

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