Carmen extirpée de la laideur par la musique

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Les Chorégies d’Orange ouvrent leur saison avec une ‘Carmen’ visuellement affligeante. Louis Désiré en a conçu la mise en scène, les décors et les costumes.

Un gigantesque jeu de cartes s’étale sur le plateau. Figurants et choristes affublés de tuniques orangées, brunes et noires d’une rare laideur déambulent sur ce macadam malcommode sous des éclairages tout aussi pauvres dus à Patrick Méeüs. Et  la restriction des moyens financiers contraint même la quadrille des matadors à paraître pieds nus ! Pour comble, la direction d’acteurs est inexistante ; et tout ce petit monde va son bonhomme de chemin sans la moindre orientation. Aux saluts finaux fusent les huées, ce qui prouve que le public d’aujourd’hui exprime un ‘ras le bol’ évident ! Quel gâchis alors que la richesse de coloris de la partition émane de la direction de Mikko Franck, toute de fluidité narrative, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France dans une forme éblouissante et d’une formation chorale imposante, incluant les chœurs  des Opéras d’Angers-Nantes, d’Avignon et de Nice et la Maîtrise des Bouches-du- Rhône. La mezzo américaine Kate Aldrich sait faire valoir la rondeur cuivrée du timbre, la qualité de la prononciation française et la personnalité attachante qui font d’elle l’une des grandes Carmen de notre époque. Jonas Kaufmann a l’ardeur d’un Don José racé qui recourt à toutes les finesses de son phrasé pour conclure «La fleur que tu m’avais jetée » par un ‘smorzando’ sur le si bémol aigu. Inva Mula a la fraîcheur d’une Micaëla aussi déterminée qu’émouvante, Kyle Ketelsen, l’éclat et l’aigu facile d’un Escamillo sûr de ses effets. Hélène Guilmette et Marie Karall campent Frasquita et Mercédès avec une complicité et une harmonie de couleurs que l’on retrouve avec  le Dancairo d’Olivier Grand et le Remendado de Florian Laconi. Face au Moralès en retrait d’Armando Noguera, Jean Teitgen confère une épaisseur de bon aloi à un personnage souvent sacrifié comme Zuniga. Une fois de plus, la composante musicale sauve de la débâcle cette ‘Carmen’ présentée dans la version traditionnelle d’Ernest Guiraud avec récitatifs chantés, ce qui paraît judicieux lorsque les ‘premiers plans’ ne sont pas français !
Paul-André Demierre
Orange, Chorégies, le 8 juillet 2015

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