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Un sujet musical abordé selon différents points de vus et, souvent, différents auteurs.

Gergely Madaras, à propos des Béatitudes de César Franck 

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Le chef d’orchestre Gergely Madaras, directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège (OPRL) fait paraître un nouvel enregistrement des Béatitudes de César Franck (Fuga Libera), l’un des grands chefs-d'œuvre du compositeur né à Liège. A cette occasion, il répond à aux questions de Crescendo-Magazine. 

Ces dernières années, vous avez dirigé et enregistré un grand nombre d'œuvres de César Franck, qu'elles soient symphoniques, chorales ou lyriques. Votre vision personnelle de Franck a-t-elle évolué au cours de cette aventure ?

Absolument. César Franck était pour moi un compositeur de formidable musique de chambre et de musique pour orgue, que j'admirais à distance et sans trop savoir grand-chose de son génie. Grâce à ce bicentenaire, et surtout grâce au fait que notre orchestre a entrepris de le célébrer aussi sérieusement que possible, en le mettant à l’honneur pendant toute une saison, en programmant la plupart de ses œuvres les plus emblématiques, sans ménager son temps, son argent et ses efforts, nous avons réussi à éveiller une attention renouvelée et rafraîchie sur les qualités incroyables de ce compositeur. Ce fut en effet un voyage très personnel pour moi aussi, qui a été gratifiant tant sur le plan artistique que sur le plan humain. Il m'a montré les multiples facettes du génie du compositeur : en tant qu'orchestrateur, en tant que peintre de couleurs sonores transparentes, sensibles et luxuriantes, décrivant et évoquant des émotions humaines profondes. Bien au-delà de rendre cette musique plus proche de moi, d'une certaine manière, j'ai l'impression qu'elle fait désormais partie de mon ADN, et je m'engage à continuer à programmer ses pièces lors de mes concerts dans le monde entier avec différents orchestres, car je suis convaincu qu'elles méritent encore plus d'attention et de reconnaissance au niveau international.

On lit souvent que les Béatitudes sont le chef-d'œuvre vocal de César Franck. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation ?

Il s'agit sans aucun doute d'un chef-d'œuvre. Mais après avoir dirigé son opéra dramatique Hulda et son luxuriant poème symphonique pour chœur et orchestre, Psyché, d'un érotisme presque explicite, je ne peux pas mettre tous mes œufs dans le même panier avec Les Béatitudes. Mais une telle œuvre complexe et plus ou moins statique (non scénique) avec solistes et chœur, qui s'étend sur près de deux heures, s’impose clairement comme une déclaration que Franck a voulu faire, en tant que compositeur en pleine maturité, embrassant certaines des valeurs les plus importantes qui ont façonné sa vie, la religion et l'humanité, entre autres.

Votre nouvel enregistrement des Béatitudes est un grand succès, et vous avez su lui donner une énergie et un sens de l'ensemble qui évitent la lourdeur. Y a-t-il un défi particulier à relever dans l'interprétation de cette vaste partition ?

Les défis sont exactement les caractéristiques que vous avez évoquées : trouver la transparence dans une masse sonore abondamment orchestrée, trouver une ligne dans cette forme excessivement étirée qui est divisée en neuf parties, faire ressortir les vrais caractères des parties solistes apparemment statiques et trouver les bons tempi : Franck avait une immense confiance en ses interprètes et a laissé des indications de tempo relativement vagues. Mais lorsque nous jouons à plusieurs reprises les passages en question, les relations entre les différents tempi et la vitesse idéale de chaque mouvement deviennent tout à fait claires et évidentes, en fonction également de l'acoustique de la salle dans laquelle nous jouons.

Retour du Piano Classic à Dubai avec Andrey Gugnin et Alexey Shor

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Dans le cadre de la troisième édition de la compétition internationale « Classic Piano », le gagnant de la compétition, le pianiste russe basé à Amsterdam, Andrey Gugnin, et le compositeur en résidence, Alexey Shor, ont accepté de répondre à quelques questions. Ils se livrent afin de nous en dire un peu plus sur ce concours et la manière dont ils l’ont vécu.

Andrei Gugnin, vous êtes le grand gagnant de la troisième édition de la compétition internationale « Classic Piano ». Comment avez-vous vécu cette aventure ?

Je crois que le présent change notre perception du passé, et le fait que j'aie gagné le concours colore certainement mon regard rétrospectif, rendant tout plus doux et plus agréable qu'il ne l'était à l'époque. En effet, tout concours est une expérience extrêmement intense et stressante. Le concours "Classic Piano" de Dubaï n'a pas fait exception à la règle. Chaque concurrent arrive avec l'objectif ultime de gagner, ce qui implique de fournir un effort maximal tout au long de l'événement. Les trois semaines passées à Dubaï ont donc été assez épuisantes.

Cependant, nous avons eu la chance d'avoir un temps parfait et j'ai profité de l'occasion pour faire du jogging et des promenades dans la marina. Je suis également reconnaissant des nouvelles amitiés qui se sont nouées entre les concurrents ; nous avons partagé de nombreux moments de plaisir, des conversations et des pauses déjeuner, plaisantant souvent sur le fait que nous allions dans les deux ou trois mêmes endroits pour manger. Nous étions tous unis par l'objectif commun de donner le meilleur de nous-mêmes à chaque épreuve.

Pour les troisième et quatrième tours, ma compagne est venue me soutenir. Ayant déjà séjourné plusieurs fois à Dubaï, elle m'a fait découvrir certains de ses endroits préférés, ce qui m'a permis d'avoir un regard neuf sur la ville et d'améliorer mon bien-être au cours des deux dernières épreuves.

Vous avez reçu le premier prix suite à votre interprétation du 3e Concerto de Rachmaninov. Pourquoi avoir choisi ce concerto ?

Cette pièce fait partie de mes concertos préférés. Je l'ai souvent interprété par le passé. Bien que ce choix puisse ne pas sembler particulièrement original ou novateur, je crois fermement qu'il faut choisir des musiques qui résonnent profondément en nous, quelle que soit leur popularité. Le 3e Concerto de Rachmaninov occupe une place particulière dans mon cœur puisqu’il incarne, à mes yeux, un spectre d'émotions et de réflexions musicales que nulle autre œuvre ne peut égaler.

Entretien avec le pianiste Jean-Paul Gasparian

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Né en 1995 en France, Jean-Paul Gasparian est déjà incontournable dans le paysage pianistique européen. Au printemps 2023, il a fait paraître son cinquième album. Cet enregistrement consacré à Debussy a été primé d’un Millésime 2023 de Crescendo Magazine.  Rencontre avec ce musicien passionnant. 

Il y a quelques mois vous avez sorti un disque consacré à Debussy. Après vous être consacré à Rachmaninov et Chopin, qu’est-ce qui vous a attiré vers le maître français ? 

Il est vrai qu'après quatre enregistrements dédiés au répertoire russe et romantique, j'ai eu envie de présenter une autre facette de mon jeu et de ma personnalité musicale, tout en choisissant un compositeur qui me définit au même titre que Chopin ou Rachmaninoff. De ce point de vue, le choix de Debussy s'est imposé comme une évidence. En effet, c'est un compositeur que je fréquente depuis mon plus jeune âge -c'est d'ailleurs, de loin parmi les compositeurs français, celui que j'ai le plus joué jusqu'à présent. D'autre part, en une dizaine d'années d'études, j'ai eu le privilège d'approfondir l'œuvre de Debussy auprès de professeurs qui en ont une connaissance incomparable et qui m'ont transmis un héritage pianistique issu de différentes lignées de ce que l'on appelle "l'école française" (concept qui recouvre naturellement des différences significatives, au même titre que "l'école russe"). Plusieurs de mes professeurs ont ainsi été membres de la classe de Pierre Sancan par exemple, lui-même élève d'Yves Nat, quand d'autres ont étudié auprès de Vlado Perlemuter, disciple de Cortot et proche de Ravel comme chacun sait. Qu'il s'agisse des Préludes ou des Estampes, l'étude de ces pièces au contact de personnalités aussi fortes et diverses que Jacques Rouvier, Olivier Gardon, Michel Béroff, ou encore Michel Dalberto -qui ont tous enrichi la discographie debussyste de passionnants enregistrements, voire d'intégrales- a constitué pour moi un apport inestimable qui a indéniablement déterminé et enrichi ma propre vision interprétative. Ce disque est donc à la fois une bifurcation et un retour aux sources.

Le rapport au son de Debussy est assez spécifique. Comment l'envisagez-vous ? Comment vous positionnez-vous par rapport à sa vision ?

De nombreux témoignages convergent vers cette idée que Debussy "caressait" le piano lorsqu'il jouait. La lourdeur, la pesanteur et la dureté lui étaient absolument étrangères. Évoquant la texture orchestrale de Rondes de printemps (dont mon père a signé la transcription pour piano seul, éditée chez Durand, qui clôt le programme du disque), Debussy explique qu'elle est "légère comme une main de femme". Il dit ailleurs, toujours à propos de Rondes : "La musique de ce morceau a ceci de particulier qu’elle est immatérielle, et qu’on ne peut, par conséquent, la manier comme une robuste symphonie qui marche sur ses quatre pieds." Bref, mon objectif, pour se rapprocher autant que possible de cet idéal sonore debussyste, était en quelque sorte d'abolir la sensation de l’attaque, d'estomper la mécanique, de trouver la plus grande variété possible de nuances douces, du mezzo piano au triple piano. En somme, d'obtenir un son de piano qui soit le moins pianistique possible. Il est évident que sur nos instruments actuels, dont la puissance et la capacité de projection sont incommensurables aux instruments de l'époque de Debussy, tout ceci relève de la gageure. Il ne m'appartient évidemment pas de juger moi-même du degré de réussite de l'entreprise, mais tel était, en tout cas, mon aspiration !

Avant-première bruxelloise du film Bolero d’Anne Fontaine

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21 février 2024, cinéma UGG Toison d’Or. Anne Fontaine et Raphaël Personnaz présentent à un public fourni et enthousiaste leur dernier film : Bolero. Elle, à qui l’on doit notamment Nettoyage à sec (1997), Entre ses mains (2005) et Coco avant Chanel (2009), nominés aux Césars, sans oublier Gemma Bovary (2014), signe ici son vingtième opus en tant que réalisatrice. Lui s’est illustré dans plus d’une trentaine de long-métrages (Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, Marius et Fanny de Daniel Auteuil (2013), Une nouvelle amie de François Ozon (2014), Noureev (2018) de Ralph Fiennes), ainsi qu’au théâtre (Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris (2017)).

Un hommage à Ravel, à son œuvre et aux femmes qui les ont côtoyés

On s’en doute, le scénario de Bolero  -que la cinéaste française cosigne avec Pierre Trividic, Claire Barré et Jacques Fieschi- s’articule autour de l’œuvre la plus célèbre de Maurice Ravel. En 1928, la danseuse étoile russe Ida Rubinstein, icône de la Belle Epoque, commande au compositeur la musique d’un ballet. Mais Ravel est en panne d’inspiration. Lorsque naît enfin l’étincelle, la ballerine s’approprie la partition, dont elle donne une lecture en porte-à-faux avec les intentions du musicien.

Dès les premières minutes, le générique déconcerte. Des Bolero d’orchestres symphoniques y côtoient, dans un patchwork surréaliste, des arrangements de l’œuvre interprétés par des jazzmen, des Mariachis mexicains ou des enfants africains. De quoi rappeler la prodigieuse destinée et l’extravagante popularité de ce chef-d’œuvre du vingtième siècle, qui résonne tous les quarts d’heure quelque part dans le monde. D’entrée de jeu, on ne sait sur quel pied danser : a-t-on affaire à un biopic, à une comédie musicale, à un thriller façon Amadeus de Miloš Froman ? 

Rencontre avec François-Frédéric Guy

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François-Frédéric Guy est l’un des membres du Jury du Concours international de piano « Classic Piano ». A cette occasion, ce merveilleux artiste  prend le temps de répondre à nos questions sur ce concours et son actualité toujours foisonnante et passionnante.  

François-Frédéric Guy, vous êtes l’un des 15 membres du jury de la troisième édition du Concours international de piano « Classic Piano ». Comment vivez-vous cette aventure ici à Dubaï ? 

Tout d’abord, c’est une belle opportunité de venir participer à un concours de musique classique dans un endroit qui n'est, à priori, pas un endroit auquel on penserait immédiatement pour ce genre d'événement. Je trouve d’ailleurs que c'est tout à fait remarquable d'avoir pu organiser ce concours au plus haut niveau. Il faut rappeler qu'il y avait déjà eu des concours de sélections en amont sur les cinq continents. Nous sommes donc à la fin du processus avec les meilleurs éléments venant des quatre coins du monde. Le but qui anime tous ces jeunes artistes réunis ici est d’essayer de nous convaincre afin de les aider à démarrer une carrière grâce à l'obtention d'un prix.

La compétition a commencé le 4 février et, depuis, vous avez eu l’occasion d’entendre un grand nombre de candidats. Êtes-vous satisfait du niveau des prestations proposées ?

Oui nous sommes très satisfaits. Sur les 70 candidats initiaux, 43 se sont présentés et ce pour des raisons indépendantes de la volonté du concours. Parmi les 43 candidats qui sont venus, nous en avons maintenant sélectionné 9 pour la finale, il y a donc eu ce qu’on appelle un “écrémage". Soulignons cependant le niveau élevé dès le début de la compétition. Le répertoire est exigeant et varié allant de pièces classiques à des études de virtuosité, en passant par un récital. Ensuite, ils ont la possibilité de s'exprimer lors du troisième tour dans une prestation avec orchestre contenant un concerto de Mozart (Concerto N°20, KV.466) et une œuvre imposée d'Alexey Shor, le compositeur en résidence de la compétition.

Yves Levêque, à propos du Concerto pour piano "Ariana"

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Le compositeur  Yves Levêque est l’auteur d’un concerto pour piano titré “Ariana”. Il a enregistré cette partition en compagnie de la pianiste Caroline Fauchet et de l’Orchestre Colonne (Indesens Calliope Records). Il revient, pour Crescendo Magazine, sur la genèse de cette partition. 


A la base de ce concerto pour piano, il y a la commande d’une musique de série télévisée qui vous a donné l’idée de ce concerto ? Quels ont été les défis à surmonter ? 

J'aime les challenges! Une commande pour un générique. Le sujet était d'illustrer musicalement, pendant 1'30, le conflit entre une jeune pianiste prodige et son mentor dont elle s'aperçoit, plus tard, qu'il est loin d’être une personne recommandable.  Composer cela m'a donné l'idée de l’introduction. Il fallait une ouverture accrocheuse et rythmée jouée par un piano volontaire qui enchaînerait ce moment de tension, bien posé sur les graves, avec une mélodie inondée de lyrisme où les cordes et le piano se fonderaient pour laisser la place à une thématique toute en intensité. Le projet de série télévisée n'ayant pas abouti, j'ai décidé de continuer seul l'aventure.  J'ai cherché à faire dialoguer le piano avec les instruments de l'orchestre. La constitution symphonique offre un tel panel de couleurs de sons qu'il est plaisant d'enchaîner les instants de partage. Soudain, tant de portes se sont ouvertes qu'au fil de l'écriture, le premier mouvement est né. J’avais surmonté mon premier défi !

Le deuxième était d’arriver à écrire un second mouvement sous la forme d’un adagio empreint d’émotion et de sensualité, beau dans le fond ainsi que dans la forme et y apporter une touche de légèreté. Le troisième mouvement fut mon plus grand challenge ! Offrir un cortège de couleurs multiples en s’essayant à toutes formes d’expression dans l’énergie, le rythme, la majesté, la puissance, la sensibilité, en essayant d’être le plus clair possible dans l’écriture. Je me suis jeté dans l’inconnu ! J’ai pris des risques ! 

Pourquoi avoir choisi la tonalité de do mineur ? Et pourquoi avez-vous décidé de marquer cette tonalité dans le titre de l'œuvre ?

La tonalité de do mineur m'a permis de souligner cette tension dramatique qui m’était nécessaire pour commencer le premier mouvement.  Pour éviter la redondance, le second  mouvement est écrit en lab majeur.   On retrouve la tonalité do mineur au début et à la fin du troisième mouvement. Les plus grands compositeurs romantiques ont fait des chefs-d'œuvre dans cette tonalité ! J’ai souhaité la souligner afin de ne pas échapper à la règle de ces géants du 19ème siècle auxquels je voue une immense admiration ! 

Martin James Bartlett, apothéose de la danse

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Le pianiste Martin James Bartlett consacre un album à des œuvres françaises réunies sous le thème de la danse. Sous ses doigts, Rameau, Ravel,  Couperin, Debussy et Hahn, virevoltent dans une chorégraphie musicale stylée, cultivée et éclatante. A l’occasion de la parution de cet album majeur (Warner), Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec ce brillant musicien aussi créatif que fédérateur.

Pourquoi avez-vous décidé de consacrer un album aux partitions de danse française ? La danse reflète-t-elle l'esprit français ?

Pour moi, la danse est l'une des racines de toute la musique classique. Ce flux essentiel, ce mouvement,  ascension et ce sens de la collaboration multiple que l'on trouve dans la danse sont également présents dans toute la musique. En tant qu'amateur de ballet, je voulais explorer davantage cette forme d'art et le monde français de la danse est rempli à ras bord de musique absolument exquise. 

Comment avez-vous sélectionné les partitions, compte tenu de leur grande diversité, de Rameau et Couperin à Debussy et Ravel ?

Les deux premières œuvres que j'ai explorées sont la Gavotte et la Double de Rameau ainsi que La Valse de Ravel. J'ai adoré les programmer en récital, en commençant par le baroque et en terminant par cette valse d'avant-garde si contrastée ! Cela m'a amené à réfléchir à toute la belle musique française entre les deux, et m'a conduit en particulier au monde merveilleux de l'impressionnisme musical. Je voulais également faire le lien entre l'ère baroque et le XXe siècle et j'ai trouvé que le Tombeau de Couperin de Ravel convenait parfaitement. L'œuvre fusionne admirablement ces époques et ces styles musicaux totalement différents et crée un contour harmonieux tout au long de l'album. 

Est-ce un peu provocateur, à l'heure de l'authenticité fondamentaliste du texte, de jouer Rameau et Couperin sur un piano contemporain ?

J'ai toujours été d'avis que les développements instrumentaux, du clavecin au piano à queue de concert d'aujourd'hui, auraient été bien accueillis et auraient inspiré les compositeurs. Nous savons, grâce à de nombreuses lettres et communications, que de nombreux musiciens souhaitaient faire avancer le processus de conception et d'ingénierie des instruments. Cependant, même en gardant cela à l'esprit, je tiens à rester aussi fidèle que possible à l'instrument pour lequel il a été conçu à l'origine. Dans le cas du Rameau en particulier, j'ai recherché de nombreux enregistrements de clavecin et j'ai essayé d'intégrer un peu de ce monde sonore dans cet enregistrement, tout en utilisant les avantages de la richesse sonore qu'un instrument moderne peut offrir. 

Avec Alexandre Tharaud, vous interprétez les rares Décrets indolents du hasard de Reynaldo Hahn. Comment avez-vous découvert cette partition ?

J'avais déjà interprété quelques chansons de Hahn et son écriture me plaisait beaucoup, mais c'est Alexandre lui-même qui m'a fait découvrir ces œuvres stupéfiantes. Lorsque j'ai commencé à concevoir ce projet d'enregistrement, je lui ai demandé conseil et il m'a orienté vers ce merveilleux univers sonore. Je savais aussi que je voulais enregistrer avec lui en tant que collaborateur et je suis ravi que cela ait été possible ! 

Jean-Luc Tingaud, Franck et Chausson symphonique 

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L’excellent chef d’orchestre Jean-Luc Tingaud poursuit son exploration du répertoire symphonique français. Après de précédentes parutions marquantes dont des volumes consacrés à César FRanck et Jules Massenet, il fait paraître un album consacré aux deux grandes symphonies françaises du XIXe siècle : celles de Franck et de Chausson. A cette occasion, il est au pupitre du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin (RSB). Alors qu’il vient d’enregistrer un projet Fauré pour Naxos, il s’entretient avec Crescendo-Magazine. 

Votre nouvel album propose le couplage “classique” des symphonies françaises du XIXe siècle : celles de Franck et Chausson. Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer maintenant, ces deux œuvres ? 

Après avoir enregistré plusieurs symphonies françaises -Dukas, d’Indy- d’inspiration franckiste, le moment paraissait venu d’aborder le couple parfait que forment la symphonie de Franck et celle de Chausson. Ayant beaucoup dirigé Franck en concert, j'ai mûri une interprétation qui, je l’espère, restitue la forme si unique et le détail de cette orchestration magnifique. Quant à Chausson, c’est une partition qui me fascine depuis que je l’ai découverte pendant mes études ; cela fait donc longtemps que je pense à elle !

Ces deux partitions sont des monuments de la musique symphonique française. Que représentent-elles pour vous ? 

La Symphonie de Franck est une absolue perfection formelle, une symphonie qui couronne à la fois la grande tradition germanique et la polyphonie colorée, chère à l’école des organistes français. Du point de vue thématique, la simplicité des thèmes et leur correspondance entre eux sont des éléments fascinants de cette composition ; cela rappelle bien sûr le modèle beethovenien et ce n’est pas par hasard que pendant les décennies qui ont suivi la création de la Symphonie de Franck, Romain Rolland, Paul Dukas et tant d’admirateurs l’ont appelé 'l'autre ré mineur’ en référence à la IX° de Beethoven. 

La Symphonie de Chausson est beaucoup plus influencée par Wagner que par Beethoven ; en outre elle poursuit un programme, pas nécessairement explicité par le compositeur, mais tellement exprimé dans la musique, d’élévation des ténèbres vers la lumière, de rédemption au sens wagnérien. Du point de vue formel, elle n’a pas la perfection de celle de Franck, mais on l’aime comme une œuvre tellement singulière, regorgeant d’inspirations fulgurantes et de prémonitions de couleurs impressionnistes.

Marzena Diakun, Brahms en Espagne

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La formidable cheffe d’orchestre Marzena Diakun fait paraître un premier enregistrement consacré à des partitions rares de Brahms, au pupitre de l’Orquesta y Coro Comunidad de Madrid dont elle assure la direction musicale. A cette occasion, la musicienne répond à nos questions par rapport à ses projets avec son orchestre madrilène 

Votre premier enregistrement avec votre Orquesta y Coro Comunidad de Madrid (Fundación ORCAM) est consacré à des œuvres de Brahms, mais des œuvres assez rares au disque ? Pourquoi avoir choisi Brahms et ces œuvres "rares" ? 

La Fundación ORCAM, c'est non seulement un orchestre, mais aussi un chœur professionnel. Mon objectif en tant que directrice musicale était de travailler avec les deux formations musicales et de développer leur niveau d’excellence. Les deux premières années de cette collaboration avec l'ORCAM ont été axées sur la précision -c'est pourquoi nous avons joué beaucoup de Haydn, Mozart, Schubert...- et sur la qualité du son. Les œuvres de Brahms nous ont permis de travailler sur l'unification du son de chaque groupe de l'orchestre, de travailler sur la couleur, la profondeur et d'essayer de trouver une sonorité veloutée, douce et chaleureuse. 

Brahms et son univers automnal d'Europe du Nord n'est pas le compositeur le plus associé à l'esprit espagnol. Comment vos musiciens ont-ils réagi à ce projet ? S'agissait-il d'un défi particulier pour eux ?   

Les œuvres de Brahms m'ont accompagnée depuis ma plus tendre enfance. J'ai grandi entourée et j'ai écouté ses symphonies ; d'une certaine manière, sa sonorité poétique et mélancolique, ainsi que son dramatisme profond et une sorte de désespoir sont très proches de mon âme. Les musiciens de l'ORCAM sont très talentueux et ils ont tout de suite su me lire et oublier le soleil espagnol. Et c'est toujours une grande aventure et un plaisir de travailler en détail sur de tels chefs-d'œuvre.

Antony Hermus, chef d'orchestre ambitieux avec le Belgian National Orchestra

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Le chef d’orchestre Antony Hermus est le chef principal du Belgian National Orchestra, notre phalange symphonique nationale. Dès le début de son mandat, le public a remarqué son engagement et la qualité de sa programmation. Rencontre avec un musicien passionné et passionnant pour faire le point et parler de ses projets pour le BNO. Antony Hermus répond aux questions de Thimothée Grandjean.

Antony Hermus, vous êtes le chef principal du Belgian National Orchestra depuis la saison 2022-2023. Nous sommes presque à la moitié de votre mandat. Quel bilan pouvez-vous en tirer jusqu’à présent ?

Dans les faits, je ne suis pas totalement à la moitié de mon mandat. Ce sera plutôt le cas dans un an puisque la première saison que j’ai réalisée était plus en tant que chef principal désigné qu’en tant que directeur musical. Il faut savoir que dans la profession de chef d’orchestre, les contrats pour les concerts sont généralement négociés des mois voire des années à l’avance. Le Belgian National Orchestra m’ayant demandé tardivement d’en prendre la tête, j’avais de nombreux engagements prévus avec d’autres orchestres. Mon planning ne me permettait pas d’assumer pleinement le rôle de directeur musical comme je l’entendais. Je suis un peu de la vieille école à ce niveau parce que j’estime que le rôle d’un chef principal est d’avancer dans une même direction avec l’orchestre. C’est un travail régulier et continu au cours d’un mandat. En dehors de l’aspect musical du chef d’orchestre, il est également important d’être connecté avec l’organisation et la direction, sinon on est simplement premier chef invité. En dehors des répétitions et des concerts, j’assiste par exemple aux auditions de recrutements pour l’orchestre, aux évènements marketing et je participe au planning pour la prochaine saison. Le chef principal et l’orchestre doivent être connectés pour construire quelque chose de beau d’un point de vue artistique.

Cependant, j’ai accepté de prendre ce rôle en disant que la première saison était une saison désignée. J'ai vraiment pu commencer mon travail en tant que chef principal à partir d’août 2023. Voilà pourquoi je ne suis pas exactement à la moitié de mon mandat.

Votre premier concert avec le BNO a eu lieu en 2019. Comment votre collaboration avec cet orchestre s’est-elle développée depuis votre premier concert ensemble ?

La première rencontre entre un orchestre et un chef est toujours importante et effectivement cette première rencontre a eu lieu en 2019. J'ai immédiatement senti que cet orchestre est un orchestre de passion. Les musiciens veulent jouer et sont motivés pour faire des prestations de qualité. Ils veulent répéter et si par exemple, je décide d’arrêter une répétition un peu plus tôt que prévu et que certains passages ne fonctionnent pas encore parfaitement, eh bien ils sont « mécontents ». En effet, ils préfèrent que les « problèmes » soient résolus avant la fin de la répétition. C’est un orchestre qui joue avec énormément de passion et de cœur. De pareils orchestres, je n’en ai pas vu beaucoup dans ma carrière.

Après ce premier concert en 2019, j'ai dirigé l'orchestre une deuxième fois mais dans la période du Covid. C'était un jump-in parce que le chef initialement prévu a dû annuler sa venue. J’ai dû étudier en trois jours la Symphonie n°3 de Schubert ainsi que la Symphonie n°3 de Sibelius et puis il a fallu les diriger lors du concert. C’est après cela que la direction de l'orchestre a demandé à me parler et que les discussions ont commencé.