Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Lille fantastique : L’ONL et Alexandre Bloch en forme olympique

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Lille est une ville chanceuse. Non contente d’être la « Capitale des Flandres », le berceau du Général de Gaulle, d’abriter en son sein des joyaux comme la Grand Place, Notre Dame de la Treille ou le LOSC, c’est aussi un véritable phare de la vie musicale française dont les gardiens ont été le légendaire Jean-Claude Casadesus et maintenant le dynamique Alexandre Bloch.

Dynamique c’est le mot ! Quelle énergie, quelle fougue réunies en un seul homme, c’est bluffant pour ne pas dire irrésistible ! Au pupitre, il emporte tout sur son passage. La jeunesse est au pouvoir du côté du Nouveau Siècle mais pas seulement ; il y a aussi une grande finesse et un sens de la nuance qui font des merveilles dans le répertoire français qui était au programme ce vendredi 4 novembre 2022. Vous l’avez déjà compris nous avons passé une excellente soirée en compagnie de l’Orchestre National de Lille.

La soirée débuta avec le Prélude à l'après-midi d'un faune de Claude Debussy. Très vite se dessine ce qui sera les axes forts de ce concert : clarté, transparence et vivacité. Tout s’entend, rien ne nous échappe, c'est formidable ! On monte sereinement vers la lumière à l’image du poème de Mallarmé qui inspira Debussy. La sensualité se diffuse amoureusement grâce à la mélodie de la flûte du faune. C’est une vision dense doublée d’un prodigieux achèvement sonore. On retrouvera cet élan romantique au moment du bis : Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel. Debussy, Ravel…et Berlioz. Le made in France était à l’honneur.

Un Ariodante roboratif au Palau de la Mùsica catalana

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À propos de l’Astarto de Bononcini présenté juste en deux soirées au dernier Festival d’Innsbruck, j’écrivais ici sur les difficultés que rencontre actuellement l’opéra baroque pour trouver une vie sinon paisible, du moins normalisée dans la pratique musicale courante. Généralement conçues pour des ensembles musicaux de moyenne envergure, sans chœurs ou grands orchestres, les maisons d’opéra les programment peu car ils doivent tirer parti de l'ampleur de tous leurs corps stables, mieux adaptés aux ouvrages du XIXe ou XXe siècles. Dans ce sens, on comprend parfaitement l’initiative barcelonaise d’accueillir cette production, actuellement en tournée, en version concert. Ces problèmes sont, hélas, aussi vieux que l’opéra car Händel lui-même transforma quelquefois ses projets d’opéra en différents oratorios par manque de financement scénique… Disons aussi que l’enjeu dramatique n’est pas le principal attrait de cette pièce, remarquable par la beauté et l’émotion prégnante de certains airs. Et la beauté architecturale de cette célèbre salle de concerts peut aider le spectateur curieux de rêves à imaginer des scènes voluptueuses… 

Donaueschinger Musiktage : musiques nouvelles ? 2022, année de transition

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Bien sûr, comparaison n’est pas raison (que vise au fond cet adage sot bien plus basé sur un jeu de sonorités -un bon point- que sur du sens ?) et 2021 est un anniversaire (séculaire) qui ne se répète pas chaque année, mais l’édition 2022 du Donaueschinger Musiktage, malgré, ou à cause de, sa bonne tenue, de ses habits de gendre du dimanche  -celui qui a son missel à lui à l’église (la blanche Christuskirche, éclairée de bleu pour une soirée Now Jazz d’improvisation si convenue qu’on y cherche encore la spontanéité, trop peu nourrie de la fraîcheur de la violoncelliste Tomeka Reid et de son instrument, gris marbre)-, de l’approfondissement du consensus par un public peut-être engourdi par la pandémie/la guerre/l’inflation, qui disperse son discernement au travers d’applaudissements amollis, cette édition donc, pourtant porteuse d’espoirs avec sa floppée de compositeurs à découvrir, sa dizaine de concerts, du plus petit (un inattendu duo de trombones) au plus grand effectif (l’Orchestre Symphonique de la SWR réparti en trois plateaux), son organisation soignée (un peu tatillonne, aux Donauhallen sous alerte policière, quant au type de sac interdit en salle mais parfois aussi banni du vestiaire -à caser alors dans le « blauer Bus » sur le parking (mais t’as vu la file ?), son environnement sympathique (la ville de Donaueschingen, qui vit, mange et dort ces jours-là au rythme des centaines de festivaliers), son public mi-cheveux blancs, mi-tignasses estudiantines (et quelques-uns entre les deux), ces Musiktage 2022 laissent un goût de trop peu : trop peu de cette folie qu’on décrie chez un Stephan Prins mais qui rafraîchirait n’importe quel mamelon du désert censé accueillir des jeux d’hiver, trop peu de ce courant d’air qu’on trouve dans les fulgurances d’un Jean-Luc Fafchamps quand il cherche où est la fin, trop peu de ces remises en cause plus que formelles auxquelles nous ont nourri (avec des bonheurs aléatoires) les Fausto Romitelli, John Cage ou Luigi Nono.

On sait que 2022, à Donaueschingen, est une année de changement de règne : exit Björn Gottstein, responsable d’une programmation qu’il n’est plus là pour mettre en œuvre et inxit Lydia Rilling, maman (en vrai et en congé parental) mais sans les rênes d’une édition où elle n’est pas, remplacée par Eva Maria Müller, souriante et sympathique mais difficilement accessible à ceux qui ne parlent pas l’allemand (le bilinguisme des annonces aide cette partie du public, qui se débrouille, parle des langues, mais pas toutes)- un air de flottement donc, à quoi on laisse l’année pour dissiper le brouillard et orienter la visée auditive vers ce que sont les musiques nouvelles aujourd’hui. A moins que… A moins que ces musiques nouvelles elles-mêmes… Que les compositeurs d’aujourd’hui… Un creux ? Une crise d’inspiration ? Une stagnation, un immobilisme, une posture figée, un garde-à-vous ? Mais non. Ils sont là, dans la salle peut-être, ceux qui rêvent d’innover, encore, qui débordent d’idées, dont certaines franchiront le stade de l’ébauche et s’épanouiront sur une scène (ou plusieurs), comme cette jeune espagnole, Ixta (du nom de ce volcan mexicain à la forme de femme endormie), qui étudie la composition à Linz, en Autriche, auprès de Carola Bauckholt, tient difficilement en place, note fébrilement ses pensées sur un petit carnet pendant le concert (« je compose à partir d’un narratif ») et assure, avec un large sourire, ironique et sérieux, qu’elle a « le prénom adéquat pour être célèbre ».

A Genève, un remarquable accompagnateur pour Renaud Capuçon   

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Pour sa prestigieuse série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia de Genève avait organisé, à la date du 31 octobre, un récital violon-piano réunissant Renaud Capuçon et Maria Joao Pires. Souffrante, la pianiste a dû annuler sa participation. Et c’est à son jeune accompagnateur, Guillaume Bellom, que le violoniste a fait appel pour la remplacer.

Quel talent affiche ce natif de Besançon qui, à l’âge de trente ans, possède une magnifique sonorité et une maîtrise technique hors du commun s’appuyant sur une assise rythmique jamais prise en défaut !

La preuve en est donnée immédiatement par la Sonate en mi mineur K.304 que Mozart élabora à Paris au mois de mai 1778. D’emblée, le clavier y impose une fluidité de phrasé que le violon assimile en développant un legato sensible qui se charge de tristesse résignée dans un Tempo di Minuetto où n’affleure aucune gaieté, tandis que le trio médian se voile d’intimité.

A des élans printaniers aspire effectivement la Cinquième Sonate en fa majeur op.24 de Beethoven datant de 1801. Le piano ornemente le cantabile généreux du violon de demi-teintes arachnéennes qu’un martellato soudain dissoudra pour instaurer un dialogue plus tendu. L’Adagio molto espressivo laisse affleurer la profondeur de l’émotion que le Scherzo n’éclairera que de touches furtives. Il faut en arriver au Rondò final pour percevoir une insouciance badine, justifiant le sous-titre ‘Le Printemps’ accolé à cette sonate. 

Paul Lewis et le BNO au Namur Concert Hall

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Ce samedi 29 octobre a lieu le concert du Belgian National Orchestra au Namur Concert Hall. La phalange bruxelloise, sous la direction du chef espagnol Roberto González-Monjas, est accompagnée par l’un des plus brillants interprètes du répertoire pianistique et dont la réputation n’est plus à faire : le pianiste britannique Paul Lewis. Trois œuvres sont au programme lors de cette soirée : Preludio, corale e fuga d’Ottorino Respighi, le célèbre Concerto pour piano n°25 en do majeur, K.503 de Mozart et la Symphonie N°3 de Camille Saint-Saëns, dite Symphonie pour orgue.

La première partie débute avec cette œuvre trop peu jouée de Respighi, Preludio, corale e fuga. Il composa cette pièce pour son examen final au Liceo Musicale di Bologna. Cette composition, notamment le fruit de plusieurs cours avec Nikolaï Rimski-Korsakov, a conquis le jury. Le verdict était le suivant : « Respighi n’est pas un élève, mais un maître ! ». La pièce commence avec des accords solennels joués par les cuivres et les cordes graves agrémentés d’arpèges aux harpes. S'ensuit l’entrée énergique de l’ensemble des cordes. Un beau choral, présenté par les cors et les trompettes, est repris avec brio par l’ensemble de l’harmonie avec de brèves interventions des cordes. Le passage suivant met en avant un pupitre de cors majestueux avant un moment d'accalmie et de douceur avec la petite harmonie. Des solos du Konzertmeister et du violoncelliste soliste viennent embellir le thème énoncé quelques mesures auparavant par les bois. La fugue, au caractère affirmé, commence avec des musiciens engagés. La fin de la pièce, triomphale et dans le style d’un choral, clôture doucement l’œuvre. Les cordes interprètent d’un seul homme le thème final ponctué par l’harmonie. Un dernier moment de quiétude met les harpes en avant avec des glissandi et des arpèges. La pièce se clôture sur un grand crescendo bref mais intense. Le chef, Roberto González-Monjas, mène avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie le BNO dans cette œuvre méconnue de Respighi.

Stanislav Kochanovsky et l’apothéose de la danse à Monaco

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Le public monégasque est heureux de retrouver le phénoménal chef  Stanislav Kochanovsky pour un programme titré “l’Apothéose de la danse" en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo.

Deux œuvres d'Igor Stravinsky encadrent le Concerto pour violon d’Aram Khatchatourian  le Scherzo Fantastique et la suite pour orchestre du ballet Petrouchka. Dans le Scherzo Fantastique, une œuvre de jeunesse féérique, Kochanovsky et l'orchestre sont étourdissants de magies orchestrales. Changement de ton avec l'exubérance  joyeuse de Petrouchka qui permet au pupitre de l’OPMC de briller sous une direction parfaite de rythmes et de couleurs. L'énergie que le brillant Kochanovsky communique à l'ensemble est impressionnante. 

A Genève, un concert OSR pour la Journée des Nations Unies 

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Au cours de chaque saison, la Journée des Nations Unies s’achève par un concert. Le lundi 24 octobre, il est donné au Victoria Hall par l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Tomáš Netopil, premier chef invité de l'Orchestre philharmonique tchèque de Prague et directeur artistique du Festival Leoš Janáček de Brno ; et c’est lui qui assume actuellement les représentations de Katya Kabanova au Grand-Théâtre de Genève.

Le programme commence par Liebesgruss (Salut d’Amour), une pièce pour violon et piano écrite en juillet 1888 par sir Edward Elgar pour son épouse, Caroline Alice. Orchestrée, cette page de trois minutes devrait constituer ici un hommage à toutes les victimes de conflits dans le monde ; mais elle ne peut se départir de ce sentimentalisme vaporeux qui la relègue dans la catégorie des bluettes de salon… 

Intervient ensuite la violoniste Viktoria Mullova, artiste en résidence de la saison, qui avait commencé sa formation à Moscou auprès de David Oistrakh, dédicataire du Premier Concerto pour violon et orchestre en la mineur op.77 de Dmitri Chostakovitch, et qui en assura la création à Leningrad le 29 octobre 1955. La direction de Tomáš Netopil enveloppe le Nocturne initial d’un pianissimo sans aspérité dont le solo tire des accents déchirants qui s’irisent d’aigus éthérés. Mais ce ton continuellement plaintif finit par s’émietter pour faire place à un Scherzo que les bois veulent gouailleur. Le violon lacère de traits à l’arraché la progression qui tourne au bastringue, même s’il tente de lui insuffler une certaine noblesse par ses passaggi diaboliques. La Passacaglia vise à la monumentalité avec ce choral des cordes graves soutenant la masse des vents, dont le solo extirpe un lyrisme généreux, avant de négocier une cadenza méditative, amplement développée, qui fait chanter les doubles cordes. Cette transition virtuose débouche sur un Final en forme de Burlesca que le violon ornemente de traits périlleux d’une rare difficulté.

Début de saison à la folie de Orchestre National de Cannes

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Le premier concert de la saison de l'Orchestre National de Cannes s'intitule"A la Folie"et il propose, sous la direction de Benjamin Lévy, deux merveilleuses artistes : la pianiste Nino Gvetadze et la violoncelliste Anastasia Kobekina. Le programme nous fait voyager autour de Vienne à travers les siècles et les styles. Le concert commence avec la Symphonie en mi mineur Wq178  de Carl Philipp Emanuel Bach. C’est une partition très inventive, enjouée et pleine de surprises. L’interprétation  reflète le bonheur, euphorique, énergétique, à la limite de la folie.

Beethoven se qualifiait de poète des sons. Sa musique témoigne à maints égards d'une énergie poussée jusqu'à la frénésie. Le concerto n°4 de Beethoven est à la fois symphonie pour orchestre et fantaisie pour piano. Nino Gvetadze nous offre une superbe prestation. Elle exprime l'élégance, la passion et la beauté. On sent l'énergie, l'émotion, l'excellent équilibre entre légèreté et puissance, la joie, l'anticipation et la brillance de la mélodie. C'est une cascade écrasante de clarté, d'intensité vibrante, de musicalité riche et brillante. Nino Gvetadze, Benjamin Lévy et l'orchestre sont en parfaite harmonie. Après des applaudissements nourris, Nino Gvetadze donne en bis le Prélude en si mineur de Bach dans la transcription de Siloti.

Changement de ton avec le Concerto pour violoncelle de Friedrich Gulda, une œuvre qui semble avoir le vent en poupe des programmations. Véritable pied de nez musical, le Concerto pour violoncelle de Gulda se caractérise par un humour grinçant et une liberté extravagante, allant de la fanfare bavaroise au rock’n’roll. Sur scène un socle surélevé pour la violoncelliste, à gauche une douzaine de pupitres pour les instrumentistes à vent et à droite un "band" avec guitare, contrebasse et percussions amplifiés.

Anastasia Kobekina, bien connue du public de la Côté d'Azur depuis un concert remarqué au Festival de Menton 2021, s’amuse des difficultés et des contrastes de cette œuvre. Elle est engagée, énergique et fougueuse. Son interprétation est spectaculaire, même si son superbe Stradivarius semble surdimensionné pour cette partition ou le violoncelle est amplifié.  Le public est séduit et l'ovationne. Elle donne un bis composé par son père Vladimir Kobekin pour violoncelle et banjo. Benjamin Lévy qui est également percussionniste l'accompagne. Un moment de détente absolu ! 

Cannes, Palais des FEstivals, 21 octobre 2022.

Carlo Schreiber

Crédits photographiques : Yannick Perrin

Festival d’Ambronay : le dynamisme de la jeune génération

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Le Festival d’Ambronay s’est tenu du 16 septembre au 9 octobre, sous le thème de « musique en jeu ». Au fil des week-ends, plusieurs jeux sont mis en lumière : les patrimoines et l’histoire, les grandes œuvres baroques et la création, les musiciennes et les cheffes, et enfin, la jeune généation.

Comme à l’accoutumée, le dernier week-end est consacré au Festival EEEmerging, un mini-festival pour et par de jeunes ensembles émergents. Cette année, huit ensembles sont dans le programme, un d’Italie (Filobarocco), un de Pologne (Ensemble Cohaere), un d’Allemagne (Ensemble I Zefirelli), deux du Pays Bas (Ensemble Pura Corda et Butter Quartet) et trois de France (La Palatine, Into the Winds et La Camerata Chromatica). Outre ces concerts d’ensembles en résidence sur les réseaux EEEmerging réparti sur tout le territoire européen, on assiste à une nouveauté : deux grands concerts de l’Académie d’Ambronay, l’un avec des œuvres d’un orchestre classique avec Ophélie Gaillard, l’autre avec un programme d’oratorios, sous la direction de Geoffroy Jourdain.

« Les Explorateurs »

Dans la soirée du samedi 8 octobre à l’Abbatiale, le premier concert intitulé « Explorateurs », de la 24e Académie (2022), est dirigé depuis le violoncelle par Ophélie Gaillard, qui a été elle-même membre de l’Académie dans les années 1990. Les jeunes instrumentistes de 13 nationalités différentes sont regroupés autour de quatre musiciens du Butter Quartet, issus eux aussi de l’ensemble EEEmerging + qui, d’ailleurs, a donné le lendemain un concert sur la naissance du quatuor en Italie. Le programme de l’orchestre est constitué de quatre œuvres, de Mozart, de Haydn et de Boccherini, composées dans la période de 1768 à 1772. Elles illustrent une mutation du discours musical dans le contexte de Sturm und Drang. Installée sur le podium du milieu avec son violoncelle, tournant le dos à l’orchestre, Ophélie Gaillard joue également la partie des tutti, donnant de temps à autre quelques signes de tête ou de bras quand celui-ci n’est pas occupé par le jeu d’archet.
Les musiciens interprètent d’abord un chant ukrainien arrangé spécialement pour cet effectif. Ensuite, un tempo assez allant, parfois explicitement rapide, fait dégager de la musique de Mozart une bonne énergie, où transparait la joie des jeunes musiciens visiblement ravis de jouer ensemble. Malgré le tempo, les phrasés restent intelligibles, même si parfois quelques détails échappent à une attention plus soignée, comme le presto final de la Symphonie n° 49 « La Passione » de Haydn. Mais l’entrain dont ils font preuve est réjouissant. Avant tout, c’est l’occasion de présenter le fruit de leur travail qui compte, ainsi que les retrouvailles avec le public après tant d’absence.

L’Or du Rhin et la Walkyrie au Staatsoper de Berlin sous la direction de Thomas Guggeis

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A la tête du Staatsoper de Berlin depuis 1992, Daniel Barenboim aurait dû marquer cette saison qui le verra fêter ses quatre-vingts ans en dirigeant par trois fois une Tétralogie complète. Malheureusement, on sait que le pianiste et chef israélo-argentin doit affronter pour l’instant d’assez sérieux problèmes de santé, raison pour laquelle il a dû pour ce Ring si attendu être remplacé au pupitre de la maison berlinoise par deux chefs. C’est l’expérimenté Christian Thielemann qui prenait à son compte les premier et troisième cycles, alors que c’est le jeune Thomas Guggeis -assistant de Barenboim à Berlin (et cité comme tel dans le programme), mais aussi futur Generalmusikdirektor à Francfort- qui se voyait confier le deuxième dont il sera question ici.

Les représentations de chaque cycle s’étendant sur huit jours, l’auteur du présent compte-rendu a dû se limiter à assister aux deux premières soirées d’une production dont on reparlera sans doute encore longtemps.

Une oeuvre posant des questions essentielles sur le pouvoir, l’amour, le devoir, l’argent, la folie de la possession et de la cupidité est bien sûr de tous les temps et de tous les lieux. Il est devenu si habituel de voir des oeuvres classiques et romantiques transposées dans des époques ultérieures ou contemporaines que cela ne choque plus personne, mais il faut reconnaître que le metteur en scène russe Dimitri Tcherniakov fait très fort. 

L’action, apparemment située dans les années 1960 à en juger par la vêture des personnages, se déroule principalement dans un institut de recherches sur le comportement humain, pompeusement intitulé Experimental Scientific Centre for Human Evolution ou E.S.C.H.E. (Le mot Esche signifie frêne en allemand, arbre du tronc duquel Siegmund est censé extraire l’épée au premier acte de la Walkyrie, mais Tcherniakov n’aimant guère ce qui est simple et univoque et s’évertuant à éliminer toutes les références mythiques ou magiques de l’oeuvre, le héros prendra bêtement l’arme sur une étagère du coquet appartement où résident Hunding et Sieglinde. Nous y reviendrons). Il est maintenant aisé de deviner que Wotan apparaît sans lance ni bandeau sur l’oeil et le spectateur ne verra pas Alberich se transformer en dragon ou en crapaud (on ne voit d’ailleurs pas le fameux Tarnhelm censé le rendre invisible).