Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Bertrand Chamayou crée la nouvelle version révisée des deux Concertos de Ravel

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Ces 2 et 3 octobre a eu lieu à l’Auditorium de Radio France (Paris) la création des deux Concertos pour piano de Ravel, en sol et pour la main gauche, dans la version révisée désormais disponible dans Ravel Edition chez XXI Music Publishing. L’événement était attendu, d’autant que le pianiste des deux soirées, Bertrand Chamayou, a participé à la révision du Concerto pour la main gauche.
Outre ces deux Concertos, on a entendu la création mondiale des deux Etudes pour piano de Yann Robin (le 2), La Mer de Debussy (le 2) et Ma Mère l’Oye de Ravel (le 3) dirigés par Mikko Franck. Deux soirées de musique française par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, que peut-on rêver de mieux ? La nouvelle version des Concertos est-elle différente de celle à laquelle nous sommes habitués ? L’attente est palpable, mais peut-on entendre des interprétations à la hauteur de cette attente ?

Beethoven et le Quatuor Ébène : une histoire d’amour partagée

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Pour ses vingt ans d’existence, et à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance du compositeur, le Quatuor Ébène s’est lancé dans une entreprise exaltante : jouer, et enregistrer cette somme fabuleuse qu’est l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven, aux quatre coins du monde. Nom du projet : « Beethoven around the world » (Beethoven autour du monde).

C’est ainsi qu’ils ont donné une quarantaine de concerts, sur les six continents, des salles de concerts les plus prestigieuses aux villages les plus reculés. Pour leur enregistrement, ils ont puisé dans sept étapes de ce parcours. C’est ainsi que chaque CD vient, successivement, de Philadelphie, de Vienne, de Tokyo, de São Paulo, de Melbourne, de Nairobi, et de Paris. 

Leur but : le partage. La dimension humaniste, tellement forte chez Beethoven, a été leur fil d’or. Et c’est bien ce que nous avons ressenti, très intensément, à l’occasion des deux premiers concerts de leur intégrale donnée à la Cité de la Musique en cette fin d’année 2020.

Autour de Görge le rêveur, le Salon des Dissonances

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Il est exceptionnel d’entendre au concert un programme moderne, ambitieux, composé exclusivement d’ouvrages écrits pour instruments à vent (avec le piano pour la deuxième pièce). Aussi, quelle heureuse idée d’offrir ces œuvres au lendemain de la première dijonnaise de Görge le rêveur [Der Traumgörge], le troisième opéra de Zemlinsky, achevé en 1906 mais créé seulement en 1980 à Nuremberg, et donné pour la première fois en France, à Nancy et Dijon, coproducteurs ! Ce soir, les musiciens des Dissonances -par ailleurs solistes de formations prestigieuses- jouent sans la présence tutélaire de David Grimal. Il est vrai qu’aucune œuvre ne fait appel au violon, et que les interprètes n’ont plus à faire la démonstration de leur indépendance, comme de leur capacité à se fondre dans les ensembles les plus harmonieux.

Le Quintette à vent opus 26 de Schönberg est redoutable. Par son exigence de virtuosité, de précision, déjà, mais aussi par son écriture, première œuvre d’importance où l’artiste-théoricien ose appliquer sa toute nouvelle musique à douze sons à une ample composition qui épouse le moule le plus conventionnel. Dès le premier mouvement, l’écoute mutuelle, la dynamique, l’articulation forcent l’admiration. La complexité rythmique semble un jeu d’enfant pour les musiciens. Le scherzo, où la petite flûte apparaît, est délicieux, souriant, chargé de bonne humeur. L’adagio se signale par la lisibilité de ses échanges et de ses contrepoints, qui participent à l’expression. Le rondo qui tient lieu de finale, pour n’être pas celui d’un concerto de Mozart, permet à l’auditeur de retrouver le refrain avec bonheur. Une œuvre-clé, trop peu connue, a trouvé là des interprètes exemplaires.

Mozart à Genève avec Leonardo García Alarcón 

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Pour le troisième concert de sa série d’octobre, l’Orchestre de la Suisse Romande avait fait appel à Ton Koopman pour un programme Mozart père et fils. Dans l’impossibilité de venir à Genève le 14 octobre, le chef néerlandais a été remplacé par Leonardo García Alarcón  qui réside en ces lieux et qui, au pied levé, respecte scrupuleusement le choix des œuvres annoncées en commençant par l’Ouverture pour Die Zauberflöte. Limitant le pupitre des cordes à une quinzaine de musiciens, c’est avec la précision du chef baroque qu’il attaque les accords initiaux pour laisser ensuite courir l’Allegro pris à tempo rapide. Puis avec une fluidité des lignes qui révèle néanmoins une sensibilité au moindre accent, il brosse la toile de fond enveloppant le Concerto pour hautbois en ut majeur K.314 où intervient Nora Cismondi, chef de pupitre de l’orchestre, qui enlève l’Allegro aperto en un phrasé pimpant où chaque trait virtuose est négocié avec adresse ;  l’Andantino médian est dominé par une ligne de chant magnifique qui rend expressive toute formule d’ornementation, alors que le Finale prend un caractère décidé, en glissant une note humoristique dans la cadenza où lui répond la flûte, comme si Papageno s’était faufilé dans les coulisses. Face au tonnerre d’applaudissements qui accueille sa performance, Nora Cismondi dialogue avec l’un des contrebassistes pour un bis jazzy de son cru poussant jusqu’à l’extrême ses ressources techniques, ce qui décuple les hourras.

Passions baroques, du début à la fin, à Montauban

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C’est l’intitulé du 6e festival qu’organisait en cette année incertaine l’Ensemble Les Passions, orchestre baroque de Montauban, qu’anime Jean-Marc Andrieu. Du 3 au 11 octobre, se sont succédés concerts, récital, animations, masterclasses et conférences, sous les formes les plus variées et dans les cadres les plus appropriés. Ainsi, emblématique, l’ancien Palais épiscopal qui surplombe le Tarn, devenu Musée Ingres Bourdelle, du nom de ses deux artistes les plus illustres, accueillait-il Sylvie Bouissou, spécialiste du baroque et de Rameau en particulier, en dialogue avec Florence Viguier-Dutheil, conservateur en chef du patrimoine et directrice du musée, et le chef des Passions (le 8 octobre). Suivait un concert centré sur l’aboutissement de cette riche période, avec des œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach, de son frère cadet, Johann Christian, et de Mozart. Gilone Gaubert au violon et Elisabeth Joyé au clavecin peinent à donner toute leur expression aux premières sonates de leur programme. La lecture en paraît sage et appliquée, particulièrement pour la Sonate en ut mineur Wq 78 de Carl Philip Emanuel. La richesse expressive de l’opus 16 n°1 de Johann Christian n’est pas mieux traduite. Si la rondeur, la chaleur du timbre du violon séduisent, le clavecin, appliqué, demeure en-deçà. L’arioso suivant, du premier, ne valorise pas assez les changements de plans. Ce n’est qu’à partir de la désuète et touchante toute première sonate de Mozart (K 9, en sol majeur), que les musiciennes trouvent pour partie l’esprit attendu. Celle de CPE Bach, plus ambitieuse, avec son finale empruntant à la sicilienne, nous réconcilie avec les interprètes. Elles confirment enfin leur savoir-faire dans le bis adressé à un public chaleureux : une autre sicilienne, celle qui ouvre la 4e Sonate de Johann Sebastian.

Au Festival Chopin, un fougueux Alberto Nosè 

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Durant la semaine où se déroule son festival, la Société Frédéric Chopin de Genève organise ses manifestations dans des lieux très diversifiés. Ainsi pour un récital, a-t-elle la bonne fortune de bénéficier de la somptueuse Salle des Nations de l’Hôtel des Bergues au plafond cintré avec un piano trônant au centré, entouré de son public d’élection, comme dans les grands salons parisiens du XIXe.

Ce vendredi était invité le pianiste italien Alberto Nosè, diplômé du Conservatorio di Musica de Vérone à l’âge de dix-sept ans, lauréat du ‘Jugendwettbewerb’ de Salzbourg en 1991, du Concours Chopin de Varsovie en 2000, Prix Vendôme de Paris la même année, Prix du World Piano Competition de Londres en 2002. 

Aujourd’hui quadragénaire sympathique, il ouvre son programme avec la Première des Grandes Polonaises op.26 en ut dièse mineur en mettant immédiatement en valeur son sens inné des contrastes lui faisant attaquer à l’arraché les premiers accords aussitôt atténués par le lyrisme pathétique du motif ascendant qui utilise les volatine en petites notes pour aérer le discours, alors que le Meno mosso prend un caractère implorant qui émeut. La Barcarolle en fa dièse majeur op.60, abordée à tempo retenu, affiche un cantabile mélancolique que le double trille fait avancer en lui innervant une fluidité permettant la progression vers des sommets souvent anguleux. Les Trois Mazurkas trop peu connues de l’opus 56 en constituent la contre-épreuve par le legato rêveur qui imprègne le trait d’une fébrilité presque maladive, tandis que la deuxième a la véritable verve folklorique truffée d’audacieuses harmonies quand la troisième aspire avec tendresse à un monde lointain quelque peu étrange. Sous une lancinante mélancolie, la Première Ballade en sol mineur op.23 fait déferler la houle descendante sur les basses charpentées, tandis que le chant large en accords fait rapidement place à un volubile scherzando débouchant sur un Presto con fuoco effréné.

A l’OSR, un magnifique pianiste, Francesco Piemontesi 

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Pour cette saison 2020-2021, l’Orchestre de la Suisse Romande invite en tant qu’artiste en résidence le pianiste Francesco Piemontesi qui se produira, au cours de ces prochains mois, dans quatre programmes différents. Natif de Locarno, élève d’Arie Vardi à Hanovre, il s’est fait un nom sur la scène internationale en remportant divers prix, dont le 3e au Concours Reine Elisabeth en 2007. D’allure sympathique, sourire aux lèvres, il entre sur la scène du Victoria Hall le 7 octobre pour dialoguer avec la formation lémanique placée sous la direction de Daniel Harding qui, au pied levé, remplace Constantinos Carydis, contraint d’annuler sa participation.

"Âme et sentiments russes" avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo  

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C'est avec bonheur qu'on retrouve l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo au grand complet avec Cristian Măcelaru à la direction et Simon Trpčeski au piano dans un programme romantique russe : Concerto n°2 de Rachmaninov et Symphonie n°5 de Tchaïkovski. C’est également un grand plaisir de découvrir le chef  d'orchestre roumain Cristian Măcelaru qui vient de donner ses premiers concerts comme Directeur musical ​de l'Orchestre National de France.

Le pianiste macédonien Simon Trpčeski est un spécialiste de Rachmaninov dont il a  enregistré une intégrale primée des quatre concertos et la Rhapsodie sur un thème de Paganini avec Vasily Petrenko et le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra (Avie).
Formé à l'école russe du piano, il développe une grande variété de sonorités avec une technique et une virtuosité prodigieuse. Contrairement à ce qu'on entend d'habitude, il approche le concerto comme de la musique de chambre avec orchestre : on découvre un superbe dialogue.  L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Măcelaru sont des partenaires idéaux, l'accompagnement orchestral est parfait. Le public est conquis et les rappels enthousiastes ont même conduit le soliste à un duo exceptionnel avec Liza Kerob,  premier violon de l'OPMC. Ensemble, ils offrent la Vocalise de Rachmaninov et la dédient à Maxim Vengerov présent dans la salle. Simon Trpčeski est visiblement très ému car ce concert monégasque était son premier depuis le mois de mars…

Cure de jouvence pour Beethoven

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Après Le Havre et la Philharmonie de Paris, Les Dissonances s’installent à Dijon. C’est pour de vieilles connaissances, un peu perdues de vue, que l’on se rend ce soir au concert. Année Beethoven oblige, l’orchestre retrouve ces œuvres qui ont accompagné leur envol comme leur épanouissement : le concerto pour violon, que David Grimal enregistrait avec sa formation il y a dix ans déjà, et la quatrième symphonie, injustement écrasée entre l’Eroica et la Cinquième. Parfaitement contemporaines, écrites en 1806, pour un orchestre semblable, les deux œuvres s’accordent idéalement.

Leur lecture, affinée par les trois concerts consécutifs, ravit par sa radicalité. Mûrie, décantée, chacune semble body-buildée, fondée sur une intense vie rythmique, les couleurs et les transparences, sans jamais tomber dans un quelconque motorisme.

Un Nord plus lumineux que brumeux avec Christian Tetzlaff, l’OCP et Lars Vogt

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Le concert nous est présenté sous le titre « Lumières du Nord », qui se justifie par les origines des œuvres jouées : l’Écosse pour Mendelssohn, la Finlande pour Sibelius, la Bohême pour Dvořák et les Alpes autrichiennes pour Brahms. Si l’idée est plutôt attrayante a priori, elle devient de plus en plus séduisante au fil du concert.

Une ouverture pour commencer un concert est le plus souvent appropriée. Les Hébrides de Mendelssohn est idéale ici. Sous la direction de Lars Vogt, le début est joliment rêveur. Si les cuivres sont parfois à la limite d’être trop présents dans les passages forte, le parti pris est du côté de la sensibilité et de l’introversion. Les musiciens prennent même des risques dans les ralentis et les nuances pianissimo (solo de clarinette, vers la fin) ; mais cette fragilité est convaincante. Dans toute cette ouverture, la sonorité de l’Orchestre de Chambre de Paris est admirablement ensoleillée.