Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

A Genève, un remarquable ensemble, Gli Angeli

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Depuis quinze ans, l’ensemble Gli Angeli, fondé par Stephan MacLeod, son infatigable directeur artistique, est l’une des composantes majeures de la vie musicale genevoise. Formation à géométrie variable jouant sur des instruments (ou copies d’instrument) d’époque, elle fait montre d’éclectisme en ouvrant son champ d’action à divers répertoires sans se cantonner dans la musique baroque. Mais, dès le début, son aventure s’est concentrée sur une intégrale des cantates de Bach données en concert à Genève, aventure qui se poursuit encore aujourd’hui. Parallèlement, est mise sur pied une présentation complète des symphonies de Joseph Haydn.

Et le huitième concert de cette seconde série s’ouvre par la 59e Symphonie en la majeur, dite Feuersymphonie, dont le matériau provient vraisemblablement de la musique de scène pour Die Feuerbrunst de Gustav Friedrich Wilhelm Grossmann représentée à Esterhaza en 1774. Et c’est bien dans l’esprit théâtral que Stephan MacLeod développe le Presto initial en insufflant une énergie vivifiante à son magnifique ensemble incluant seize cordes, deux cors et deux hautbois. Le mordant du trait s’estompe avec le balancement de l’Andante qui fait sourdre la veine mélodique irradiant de fiers accents le Menuetto puis un Finale brillant où les cors péremptoires se laissent amadouer par les bois, imprégnant de sérénité le paysage sonore.

Bart Van Reyn et le Vlaams Radio Koor superbes dans la Petite messe solennelle de Rossini

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Composée en 1863, alors que Rossini vivait depuis longtemps une retraite parisienne paisible, et classée avec l’humour propre à l’artiste parmi ses Péchés de vieillesse (Rossini décéderait en 1868, à 74 ans), cette Messe n’est petite ni sur le plan de la durée (près d’une heure et demie) ni sur celui de la facilité d’exécution. Elle n’est pas modeste non plus sur le plan formel, dans le sens où Rossini n’hésite pas à démontrer que son savoir va bien au-delà de sa légendaire facilité mélodique, mais qu’il maîtrise aussi les formes classiques. Une parfaite illustration en est le Prélude religieux (en fait un Prélude et Fugue) pour piano qui précède le Sanctus, et où le compositeur démontre qu’il connaissait bien son Bach, mais aussi les modernes comme Liszt et Franck. Elle n’est pas davantage petite pour ce qui est des exigences posées au choeur comme aux solistes. En effet, elle exige un choeur aguerri et des solistes capables de faire face aux exigences de ce maître de la voix. Là où elle est petite en revanche, c’est dans son instrumentation. Si Rossini l’orchestra par la suite, elle est prévue à l’origine pour un effectif instrumental réduit à sa plus simple expression, soit deux pianos et un harmonium, même si la version qu’en offrit le Choeur de La Radio flamande (Vlaams Radiokoor, ci-après VRK) à Flagey se satisfit d’un seul pianiste. Le programme ne disant rien de ce choix, on ne peut qu’espérer qu’il ne fut pas inspiré par des considérations budgétaires. Quant au terme « solennel », on se demande s’il faut vraiment l’appliquer à une oeuvre si fine et chaleureuse, et qui n’a vraiment rien de compassé.

Délicatesse et subtilité : Beethoven par François-Xavier Roth à Tourcoing

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François-Xavier Roth dirige Les Siècle -sur instruments anciens- ainsi que l’Ensemble Aedes et le Choeur Régional Hauts de France pour une interprétation délicate et subtile des 8e et 9e Symphonies de Beethoven. Douze années séparent l’écriture des deux symphonies. La Huitième, initiée en 1811, est terminée en 1812 dans la ville d’eaux de Teplitz en Bohème. Le caractère tout à fait souriant et vif de cette oeuvre, très classique dans sa durée et ses proportions, n’avait pourtant pas séduit le public viennois en 1814. Longtemps affublée du titre peu glorieux de « petite symphonie », elle est révélée par François-Xavier Roth et ses musiciens de manière tout à fait exceptionnelle. D’une main précise et élégante, une gestuelle dansante et totale, François-Xavier Roth offre au public une pièce toute au dialogue entre passé et présent, rusticité et raffinement. L’interprétation sur instruments à cordes en boyaux, archets et vents classiques, accordés à 430 Hzn, révèle la subtilité d’une pièce dont les magnifiques pianissimos de cordes de l’allegro vivace e con brio, réveillés par un allegretto scherzando sautillant, opèrent un retour à Haydn et Mozart avec un Menuet (Tempo di Menuetto) au rythme rustique, avant de s’épanouir en un Finale Allegro Vivace parfait.

Andris Nelsons perpétue la tradition viennoise dans Beethoven 

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Année Beethoven oblige, les intégrales des symphonies se multiplient pour les Parisiens. Ce mois-ci, ce sera l’Orchestre Les Siècles, dirigé bien sûr par François-Xavier Roth, à l’Opéra Royal du Château de Versailles. Le mois prochain, ce sera l’Orchestre de Chambre d’Europe, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, à la Philharmonie.
Le mois dernier, c’était l’Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Andris Nelsons, au Théâtre des Champs-Élysées. En quatre concerts, avec une journée off au milieu

Dans le livret, outre le remarquable essai de Dominique Druhen sur ces neuf monuments (Les neuf créatures de Prométhée), Rémy Louis retrace La tradition beethovénienne des Wiener Philharmoniker. Il nous rappelle que cet orchestre a été créé moins de vingt ans après la création, dans la même ville, de la Neuvième Symphonie. Plusieurs musiciens du nouvel orchestre avaient connu Beethoven personnellement et/ou joué lors de cette création. Ce concert s’inscrit donc dans une très émouvante continuité.

Cette intégrale des symphonies de Beethoven par cet orchestre est la quatrième donnée en France, après celles dirigées par Carl Schuricht au Théâtre Romain de Fourvière de Lyon en 1956, par Claudio Abbado à la Salle Pleyel de Paris en 1988, et par Christian Thielemann, déjà au Théâtre des Champs-Élysées, en 2010. Il en a par ailleurs réalisé sept enregistrements depuis 1959, sous les directions d’Hermann Scherchen, Hans Schmidt-Isserstedt, Karl Böhm, Leonard Bernstein, Claudio Abbado, Simon Rattle, Christian Thielemann et de notre Andris Nelsons tout récemment.

Une belle et singulière aventure musicale

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Pour Que l’Esprit Vive, association fondée en 1932, œuvre pour lutter contre l’isolement rural par l’art et la culture. Son infatigable directrice, Agnès Desjobert, développe le réseau des petits villages dont les habitants accueillent, le temps d’un week-end bien rempli, ponctuellement, puis régulièrement, des artistes professionnels. Dernier de la saison, le concert d’aujourd’hui se déroule à Jailly-les-Moulins, village de Bourgogne, très enclavé. Dix minutes avant, des dizaines de voitures stationnent, la nef de la petite église est bondée, certainement deux fois l’effectif total de la population (88 habitants).

Le quatuor Hélios, justement réputé, se compose d’une flûte et d’un trio à cordes, formation relativement rare, particulièrement lorsqu’elle est permanente. Pas moins de 78 œuvres ont été écrites à son intention. Deux d’entre elles, de deux compositrices, s’insèreront entre trois quatuors avec flûte de Mozart. Ainsi constitué, le programme répond à toutes les attentes. D’autant que la flûtiste, Christel Rayneau, captive le public en lui présentant chaque œuvre de façon claire, démonstrative et juste.

A Genève, Markus Poschner et l’Orchestra della Svizzera Italiana

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Grâce à une invitation du Service Culturel Migros, apparaît pour la première fois, à La Chaux-de-Fonds et à Genève, le chef munichois Markus Poschner à la tête de l’Orchestra della Svizzera Italiana dont il est le directeur musical depuis 2015. La presse s’est largement fait l’écho de leur projet commun ‘Rereading Brahms’ (Relire Brahms) qui s’est concrétisé ensuite par l’enregistrement des quatre symphonies. 

Pour ces deux concerts, le programme comporte d’abord l’ouverture que Gioacchino Rossini avait élaborée pour L’Italiana in Algeri, créée triomphalement au Teatro San Benedetto de Venise le 22 mai 1813. Par un lent pizzicato de cordes, se dessinent les huit mesures d’introduction d’où se dégage le hautbois en rubato libre auquel répond la flûte ; suit un allegro enlevé comme un presto que domine un piccolo brillant suscitant le contraste des phrasés.

Renaud Capuçon impérial à BOZAR dans "Aufgang" de Dusapin 

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En ce jour de la Saint Valentin, les sons et les parfums -dont certains avaient abusé pour la circonstance- tournèrent dans l’air du soir. Les amoureux d’Euterpe s’étaient une nouvelle fois rassemblés, seuls ou en bonne compagnie, dans la Salle Henry le Bœuf de BOZAR à Bruxelles. Ils n’allaient pas le regretter : les sanglots longs d’un violon de printemps ravirent leur cœur d’une langueur polychrome.  

Sous-tendue par les thèmes de la lumière et du printemps, l’affiche pouvait pourtant laisser perplexe: n’était-ce ce fil conducteur somme toute assez diffus, on chercherait longtemps ce qui unit Appalachian Spring d’Aaron Copland, Aufgang de Pascal Dusapin et la Symphonie n°1 de Robert Schumann, dite « Le Printemps ». Une suite aux accents populaires d’un auteur américain du siècle dernier, un concerto atonal d’un auteur français contemporain, une symphonie gorgée de viennoiseries d’un compositeur allemand du XIXe siècle. La programmation ne s’avéra pas moins étrange au concert dont le climax fut atteint avec Aufgang avant la pause, et la seconde partie, qui nous fit faire un bond en arrière de près de deux siècles, parut dès lors pratiquement superflue. Sans doute l’excentricité de ce programme s’explique-t-elle par le fait qu’Appalachian Spring et la première symphonie de Schumann étaient à nouveau au menu deux jours plus tard, avec les mêmes interprètes, encadrant cette fois le Poème, op. 25 de Chausson et Tzigane de Ravel. 

 Kissin, un pianiste beethovenien ? 

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Une fois encore, pour sa série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia invite Yevgheny Kissin, l’une des valeurs sûres que l’on entend régulièrement à Genève dans un répertoire des plus variés ; il se montre souvent bien plus convaincant dans le répertoire de virtuose que dans le domaine classique : l’on a ainsi gardé en mémoire une 32e Sonate opus 111 de Beethoven au style indéfini balayé par le supplément au deuxième cahier des Années de Pèlerinage de Liszt, un Venezia e Napoli à vous laisser pantois !

En ce 18 février 2020, bicentenaire oblige, son récital est entièrement consacré à Beethoven et commence par une page célèbre, la 8e Sonate en ré mineur op.13 dite ‘Pathétique’. Du Grave initial, il extirpe un souffle tragique en appuyant les graves qui contrastent avec une articulation de la main droite produisant un coloris clair ; l’Allegro di molto qui s’y enchaîne révèle une tendance à insister sur l’accentuation, quitte à déséquilibrer le discours. Le célèbre Andante cantabile reste à la surface, donnant l’impression qu’il est peu habité, tandis que le Rondò Allegro, extrêmement rapide, attire l’attention sur l’entrelacs contrapuntique. Les Variations en mi bémol majeur op.35Eroica’ exhibent la même dichotomie entre cette volonté de faire chanter le motif fameux qui figurera dans le Finale de la Troisième Symphonie et ces tutti pesants comme des colonnes d’airain étouffant la veine mélodique qui, par chance, retrouvera une certaine brillance dans le fugato conclusif.

Florian Noack, Jeune musicien de l’année de grand talent

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Outre les Prix Caecilia distinguant annuellement les meilleurs enregistrements de l’année précédente, l’Union de la Presse Musicale Belge a la louable tradition d’attribuer chaque année le Prix du Jeune musicien de l’année, récompense qui prévoit un récital à donner par le lauréat à Bozar. Les raisons de la programmation étant parfois obscures, ce n’est que maintenant que Florian Noack, lauréat 2017, put enfin se faire entendre dans la toujours intéressante série Bozar Next Generation, qui permet aux jeunes musiciens d’offrir à un public connaisseur, dominical et matinal, un bel échantillon de leur talent dans un récital d’une heure sans entracte.

Se produisant dans la grande salle Henry Le Boeuf devant un public attentif et connaisseur (silence religieux et pas une toux, juste un perturbant et persistant sifflement d’origine inconnue en début de récital), Florian Noack ouvrit son récital par la peu jouée Sonate en fa dièse mineur, D. 571 de Schubert qu’il interpréta avec partition (et pourquoi pas?). Un peu crispé au début, il se détendit rapidement et fit preuve d’un jeu sérieux et sensible, d’une belle souplesse et d’un lyrisme aisé. On admira son calme souverain et son talent de conteur, en particulier dans un Finale alternativement chantant et dramatique.