Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Les Musiciens et la Grande Guerre avec Philippe Saulnier d’Anchald

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La collection “Les Musiciens et la Grande Guerre” des éditions Hortus fut l’un des développements majeurs de ces 5 dernières années. Alors que le volume n°36 met en miroir Lucien Durosoir et Philippe Hersant tout en clôturant cette aventure, Crescendo Magazine fait le point avec Philippe Saulnier d’Anchald, directeur de la collection. 

Les Musiciens et la grande guerre, c’est un parcours au long cours ! 5 ans et 36 parutions. Alors que le dernier et 36e volume…….. Quels regards portez-vous sur cette collection ? 

Un regard de satisfaction, bien entendu, sur ces réalisations. Au-delà d’un intérêt musical ou historique, la collection Les Musiciens et la Grande Guerre avait pour ambition de constituer une base patrimoniale cohérente offrant un panorama de la création musicale des nations impliquées dans le conflit. Je pense que nous ne sommes pas loin d’y être parvenus. Il reste notamment des quatuors à cordes, des sonates pour violoncelle ou des pièces pour piano seul que j’aurais aimé voir enregistrées. Si nous parvenons à réunir les financements nécessaires, peut-être que nous le ferons un jour….Nous aurons alors, de manière plus complète encore, la satisfaction de laisser aux musiciens, aux chercheurs comme aux mélomanes curieux un corpus d’œuvres à découvrir ou à redécouvrir qui constituent une étape essentielle dans l’histoire de la musique au XXe siècle.

Maurizio Pollini dans les hautes sphères du dernier Beethoven

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Un récital de Maurizio Pollini toujours un événement. Et quand il y a, au programme, les trois dernières sonates pour piano de Beethoven, nous savons que l’événement ne peut être qu’exceptionnel.

Pollini est, à 77 ans, ce que l’on appelle communément un « monstre sacré du piano ». Il y a près de soixante ans, alors tout jeune homme, il gagnait le très prestigieux concours Chopin de Varsovie. Une carrière florissante s’ouvrait alors. Mais il décide de se retirer des salles de concert pour travailler, pendant plusieurs années, avec son compatriote Arturo Benedetti-Michelangeli dont l’exigence était légendaire. Le disciple en a hérité, et cette exigence est indiscutablement l’un de leurs points communs.

Le répertoire de Pollini n’est pas fantastiquement vaste. En concert, il s’astreint à ne jouer que les œuvres dont il sait qu’il ne se lassera pas. C’est pourquoi chacune de ses apparitions est un moment unique.

A Naples, une aubaine ratée : la résurrection d’Ermione

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Ermione est le sixième ouvrage dramatique que Rossini élabora pour le San Carlo de Naples, sur un livret d’Andrea Leone Tottola inspiré de l’Andromaque de Jean Racine. Optant pour une esthétique classique tributaire à la fois de l’Iphigénie en Aulide de Gluck et de La Vestale et de Fernand Cortez de Spontini, cette ‘azione tragica’ en deux actes fut créée sur la scène napolitaine le 27 mars 1819 avec la fleur des chanteurs rossiniens du moment, le soprano Isabella Colbran dans le rôle-titre, la contralto Rosmunda Pisaroni pour Andromaca, les ténors Andrea Nozzari (Pirro) et Giovanni Davide (Oreste) et la basse Michele Benedetti (Fenicio) ; mais ce réalisme tragique innovateur suscita l’incompréhension du public durant sept représentations qui constituèrent l’unique production napolitaine jusqu’à celle-ci, inaugurée… deux cents ans plus tard en date du 7 novembre 2019, laissant les spectateurs tout aussi perplexes qu’au soir de la première. Mais Rossini, conscient de la valeur de son œuvre, conservera auprès de lui jusqu’à ses derniers jours le manuscrit autographe qui finira dans la Réserve de l’Opéra de Paris sous cote 649.

Marie-Nicole Lemieux : Poésie du voyage

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Schumann, Schubert, Beethoven, Hensel-Mendelssohn, Wolf, Chausson, Fauré, Sévérac, Charpentier, Debussy et Duparc étaient au programme d’un voyage hautement poétique, sublimé par Marie-Nicole Lemieux et Daniel Blumenthal, le vendredi 15 novembre au Théâtre Royal de La Monnaie. Dépassant la simple expression artistique, la voix de la contralto canadienne se laisse conduire par la musicalité des poèmes de Goethe et de Baudelaire. Chaque mot possède une incarnation juste, voire même une propre sémiologie, lorsqu’il est traversé par cet art extrême avec lequel la chanteuse explore les paysages sonores. Chacune des syllabes colore un chant naturel, fluide et sensuel auquel Marie-Nicole Lemieux semble goûter avec un égal plaisir tout au long du récital.

Festival Piano au Musée Würth avec Maki Okada et Tedi Papavrami

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Construit autour du piano mais ouvert à toutes ses formes et possibilités, la quatrième édition du festival Piano au Musée Würth (du 15 au 24 novembre 2019) a proposé une belle sélection d'artistes, tous réunis sous la thématique de l'humour dans la musique. C'est ainsi que Maki Okada et Tedi Papavrami ont proposé un récital autour de Beethoven, Poulenc, Debussy, Prokofiev et Sarasate. Pardon, vous avez dit l'humour ? Le répertoire, filtré par ce prisme, n'a pourtant pas été abordé d'une manière anecdotique.

Les deux artistes ont très bien repéré le caractère souvent satirique de la Sonate pour violon et piano de Poulenc et de la Sonate n°2 de Prokofiev. Le concert a donc tout naturellement gravité autour de ces deux œuvres majeures, souvent au détriment des autres, prises au piège par leur émotion débordante. Le premier mouvement de la Sonate n°8 en sol majeur op. 30 n°3 de Beethoven a donc été submergée par l'anticipation de l'énergie de Poulenc, d'où le manque de précision dans le contrôle de l'archet. Maki Okada, très solide, a bien résisté à cette tentation de se précipiter dans le vide, faisant d'elle une partenaire idéale pour le violoniste très enflammé. Leur équipe était brillante dans le finale Allegro vivace dont les nombreux retours thématiques ont été particulièrement piquants, saillants et même humoristiques. La Sonate de Poulenc, une œuvre parfaite pour Tedi Papavrami, n'a jamais relâché l'attention des auditeurs. Si le thème principal (sur la corde de sol) du premier mouvement Allegro con fuoco était un peu métallique dans le son, l'intensité du début a rarement donné lieu à un relâchement. La frénésie de cette sonate, appelée « le monstre » par Poulenc au moment de son écriture en 1942, a laissé place à Minstrels de Debussy, transcris pour violon et piano par le compositeur lui-même (originalement le dernier prélude pour piano du Premier livre). La pièce a rendu justice à ce duo possédant la sensibilité naturelle et le côté charmeur afin de traduire les indications de Debussy pour l'interprétation de cette pièce : nerveux et avec humour.

Vous qui savez ce qu’est l’amour : visite de guidée des Noces de Figaro au prisme de la vie d’une jeune chanteuse

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Chanteuse et danseuse, Romie Estèves a créé Vous qui savez ce qu’est l’amour, un spectacle sur Les Noces de Figaro de Mozart, pour offrir une visite guidée très personnelle à « une vision kaléidoscopique » de cet opéra. À partir de l’air de Chérubin dont les premiers mots servent le titre de son onewomanshow, elle réussit à raconter en 1 h 40, avec une drôlerie assumée, l’histoire de tous les personnages qui gravitent autour de Figaro.

« Voi che sapete che cosa è amor » chante Chérubin dans son célèbre air de l’opéra de Mozart. Tout en suivant l’intrigue des Noces, Romie Estèves, chanteuse, comédienne et danseuse, parle, mime, danse et chante les hauts et les bas des chanteurs lyriques. Elle joue chaque personnage tour à tour, mais aussi son propre rôle de chanteuse qui joue son rôle. Et parfois, la frontière est si mince qu’on ne sait plus qui joue qui… Car pour elle, cet opéra « parle de la confrontation de tout un chacun avec le réel, avec les autres et avec ses propres désirs, il interroge l’injustice sociale entre les classes et entre les genres, la légitimité à aimer, à décider pour soi et pour les autres, et surtout le pouvoir de l’amour »

Sir James MacMillan prend la baguette à Koekelberg devant un public aux anges

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Trônant souverainement aux abords de Bruxelles, la basilique de Koekelberg dut avoir bien du mal, ce 22 novembre, à réprimer un sentiment d’orgueil. Et si elle y parvint, c’est sans doute parce que l’homme auquel elle ouvrait ses portes, l’un des compositeurs les plus en vue du moment, fait lui-même peu de cas des trompettes de la renommée. 

De trompettes, il fut pourtant question ce soir-là. Sir James MacMillan venait, en effet, y diriger Seven Angels, une fresque sonore évoquant le Jugement Dernier, flanquée de son Miserere et de celui d’Allegri. Une soirée placée sous le signe de l’égarement et de la contrition, mais aussi de la Cité Céleste et du Salut. Ou, si l’on préfère, du frisson, de l’émotion, de la majesté et de la consolation. 

Sous la conduite du compositeur écossais, le Vlaams Radiokoor et les Solistes du Brussels Philharmonic nous ont offert une heure et quart de magie sonore et visuelle. Un Office des Ténèbres d’un genre nouveau.

Un salon français à Dijon

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A moins de trente ans, le violoncelle de Yan Levionnois a glané toutes les récompenses, avec un extraordinaire palmarès. Le discret chef du pupitre des Dissonances se confond avec le brillant soliste que nous écoutons ce soir. Au piano, Guillaume Bellom, le talentueux bisontin qui a pris son envol. Chacun conduit, séparément, une carrière des plus prometteuses. Après avoir enregistré un récital de sonates romantiques (Schubert, Mendelssohn, Strauss) justement salué par la critique en 2017, ils nous offrent maintenant un récital de sonates françaises. Entre celles, bien connues, de Debussy et de Poulenc, nous découvrons l’exquise Pièce op.39 de Chausson et la trop rare Première Sonate de Fauré.

Guy Danel, la Biennale Chamber for Europe et Mieczysław Weinberg

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Figure majeure et infatigable animateur de la vie musicale belge, Guy Danel est l’initiateur de la biennale Chamber Music for Europe dont l’édition 2019 (du 6 au 8 décembre) est consacrée à Mieczysław Weinberg. Pour Crescendo, partenaire de la Biennale, il revient sur l’importance de Mieczysław Weinberg dans l’histoire de la musique et sur son attachement à ce compositeur.   

La biennale Chamber Music for Europe est consacrée au compositeur Mieczysław Weinberg. Je crois savoir que c’est un compositeur qui vous est cher ? 

La rencontre avec la musique de Mieczyslaw Weinberg représente sans aucun doute l’un des moments les plus marquants de ma carrière d’interprète. Celle-ci a eu lieu dans le cadre des activités du Quatuor Danel que j’ai formé en 1989 avec mon frère Marc et ma sœur Juliette.  Dès 1991, nous avions travaillé l’intégrale des quatuors de Chostakovitch, accompagnés par le Quatuor Borodine, Fiodor Droujinine et le compositeur polonais Krzysztof Meyer. À l’époque, peu de quatuors avaient ce cycle au répertoire et cela nous offrit des rencontres exceptionnelles avec des proches de Chostakovitch. 

Dès 1994, Madame Irina Chostakovitch, Valentin Berlinsky, violoncelliste du Quatuor Borodine, Alexander Raskatov, alors tout jeune compositeur installé à Heidelberg, et le très érudit musicologue belge Frans Lemaire, connu pour ses travaux sur la musique soviétique et la musique juive, nous incitèrent conjointement à travailler la musique de celui que nous appelions encore Moisey Weinberg. Nous nous sommes donc lancés dans cette aventure, recherchant des partitions auprès du Quatuor Borodine, du musicologue Manashir Yakubov ou de la famille du compositeur.

Guy Danel présente le programme la Biennale Chamber Music for Europe 

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Guy Danel fondateur de la biennale Chamber Music for Europe nous présente le programme de cette édition 2019.  

Le programme répond à plusieurs souhaits : donner une image relativement large de l’œuvre de Weinberg tout en restant dans le contexte de la musique de chambre et, en même temps, proposer des opus auxquels je suis particulièrement attaché. Avec les six quatuors et un trio à cordes, le trio et quintette avec piano, et des pièces pour orchestre de chambre, nous parcourons 50 ans de création de l’Aria op. 9 à sa dernière pièce achevée, la Symphonie de chambre op. 153.

Le concert du 6 décembre à la Chapelle Protestante est certainement celui où l’empreinte de mes inclinations particulières s’exprime le plus. L’Aria op 9 (1942) est d’une tendresse toute schubertienne qui permet d’entrer paisiblement dans l’univers musical de Mieczyslaw Weinberg, seul à Minsk, âgé de 23 ans. Le quatuor n°5 (1945) propose des atmosphères contrastées, dans une écriture qui prouve l’indépendance de son écriture par rapport à Chostakovitch et montre la maturité de l’écriture d’un jeune compositeur de 26 ans. Le Trio à cordes op. 48, écrit en pleine campagne « anti-formalisme » qui secoue le monde des Arts soviétiques, par sa simplicité, fera une transition juste pour nous guider vers le plus expérimental des quatuors de Weinberg : le 15e (1980).