Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Vérone entre modernisme et tradition

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En cet été 2023, le Festival des Arènes de Vérone fête son centième anniversaire. En réalité, la première Aida y fut donnée le 10 août 1913 sous la direction de Tullio Serafin. Mais les années de guerre empêchèrent la mise sur pied de dix saisons entre 1915 et 1918 puis entre 1940 et 1945. L’Aida du centenaire implique donc une nouvelle production confiée à Stefano Poda qui, comme il le fait partout, conçoit mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie. Pour lui, cette œuvre  est l’histoire d’un monde en guerre qui fait de deux peuples frères des ennemis mortels. Verdi ne prend parti ni pour l’un, ni pour l’autre, mais se laisse émouvoir par la souffrance des victimes. La trame constitue un voyage dantesque qui part de l’enfer pour parvenir à la paix d’une vision extatique. Au lieu de façonner un chromo de l’Egypte antique, Stefano Poda qui, lors d’une visite au Musée Egyptien de Turin, a ressenti  le raffinement avant-gardiste de cette civilisation, se  laisse gagner par la volonté d’épurer les vieilles imagées dorées pour glisser vers un univers d’acier, d’argent, de miroir, de verre, de transparence. En résulte un monde froid et impitoyable, à la fois technologique comme le laser et primitif comme la glace. Au centre de la scène, une gigantesque main dont chaque doigt est actionné par un tracteur est censée représenter la puissance dont est doté l’homme, capable de tuer ou de créer, de frapper ou de s’élever. Les rayons laser en fuseau constituent une pyramide couronnée d’un ballon d’argent que, seuls, perçoivent les spectateurs des gradins qui sont suffisamment distants du plateau. En cette structure évoluent figurants et danseurs par dizaines qui s’écarteront au moment où le sol s’effrite pour faire apparaître les captifs éthiopiens en une image saisissante. Par contre, certains concepts sont difficilement explicables, comme l’alignement de cadavres momifiés dans les appartements d’Amneris ou le défilé de crinolines modern style en bordure de scène. Et le clou du spectacle est  assurément la scène finale où le tombeau enlisé dans le sable se mue en une pyramide s’élevant dans les cieux afin d’atteindre la sérénité dans l’au-delà… En conclusion, il faut bien admettre que ce visuel délibérément envahissant prétérite la musique.

Néanmoins, dans la fosse d’orchestre, Daniel Oren remue ciel et terre pour éviter tout décalage avec le plateau en menant avec précision les forces chorales et l’effectif instrumental, de moyenne qualité par rapport aux précédentes saisons. Mais sa direction a le louable mérite de cultiver les nuances, allant même jusqu’au pianissimo le plus ténu pour les audacieux mélismes de l’acte III. Le Coro dell’Arena, préparé par un maestro chevronné comme Roberto Gabbiani, exhibe une remarquable homogénéité des registres. 

A la représentation du 23 août, Anna Pirozzi incarne Aida avec une vigueur de l’accent et une ampleur qui accentuent la charge pathétique de sa composition quelque peu monochrome. Car lui manquent les filati et les pianissimi qui traduiraient la nostalgie d’un monde perdu. L’on en dira de même de l’Amneris de Clémentine Margaine, taillée à coup de serpe, qui peine à suggérer la jalousie, car elle recourt continuellement au fortissimo pour traduire l’altière dignité de la fille des pharaons et sa propension à la vengeance. Guère convaincant, le Radamès de Gregory Kunde, mis en difficulté par le « Celeste Aida » initial, sans ligne de chant et sans fermeté de l’aigu, mais qui, dès la scène du triomphe, retrouvera peu à peu ses moyens afin de conclure par un dernier tableau porté par l’émotion. Par contre, l’Amonasro de Ludovic Tézier impressionne par la qualité du timbre et du legato mis au service d’un personnage de rare noblesse dans l’adversité. Aussi mauvais l’un que l’autre, le Ramfis de Rafal Siwak et le Roi de Romano Dal Zovo.  De bonne tenue, le Messager de Riccardo Rados et la Prêtresse de Yao Bohui. 

Le festival Voce et Organo 2023, rencontre avec Arnaud Van de Cauter

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Le festival bruxellois Voce et Organo est la porte d’entrée de la saison musicale. Son édition 2023 sera placée sous le thème de VOX ANGELI mais surtout l’inauguration de l'orgue Schyven restauré à l'église Notre Dame de la Chapelle. Crescendo Magazine rencontre Arnaud Van de Cauter, directeur artistique du festival. 

L’édition 2023 du festival est intitulée “la voix des anges”, pourquoi cette thématique ? 

Au Moyen-Âge, la voix domine la pratique musicale dans son ensemble. L’iconographie regorge de musiciens célestes. Ils sont figurés comme des figures angéliques dotées d'ailes, chantant et jouant toutes sortes d’instruments de musique, dont l’orgue. La Musica Caelestis et les Vox Angeli sont l’essence même du Festival Voce et Organo. 

Cette année plus que jamais avec des ensembles vocaux aux voix cristallines tout le long d’une programmation conçue en deux temps.

Tout d’abord, deux concerts de musique ancienne sur l’orgue Renaissance de l’église Notre-Dame de la Chapelle : le mercredi 6 septembre à 20h00 avec le contreténor français Paulin Bündgen et l’ensemble Celadon ; le jeudi 14 septembre avec la chanteuse autrichienne Michaele Riener et un ensemble de musiciens dirigé par l’organiste belge Bart Jacobs.

Ensuite, l'événement central de notre festival est l’inauguration de l’orgue de tribune de l’église Notre-Dame de la Chapelle. Construit par Pierre Schyven en 1890, muet depuis près de 15 ans, cet orgue romantique à la sonorité enveloppante a retrouvé son souffle. Ses « Voix Céleste » et « Voix Humaine » raviront nos oreilles, aux côtés des voix angéliques de 7 chanteuses de l’ensemble Psallentes (vendredi 8 septembre 20h00) et de celles des enfants du chœur Les Pastoureaux, (samedi 9 septembre à 16h00). 

Comme le précise le dossier de presse “le festival met à l'honneur le chant et l'orgue avec des invités de prestige”. Comment cette combinaison s’est-elle imposée comme l’ADN du festival ? 

L’intention a toujours été de proposer au public une programmation riche et variée où l’on entend à la fois de grands ensembles vocaux et instrumentaux et des œuvres pour orgue. Que ce soit lors des concerts de musique ancienne donnés sur l’orgue de style Renaissance qui se trouve dans la nef de l’église de la Chapelle ou, comme c’est le cas cette année, sur l’orgue romantique de tribune, les ensembles sont soutenus par un orgue qui non seulement les accompagne mais tient aussi un rôle de soliste à part entière.

Par ailleurs, notre programmation est basée sur le rapprochement entre la voix humaine et l’orgue. Durant la Renaissance, la littérature pour orgue était écrite en imitation de la musique polyphonique vocale. Ensuite, pendant l’ère baroque, l’orgue accompagne une musique qui exprime les sentiments humains par une expressivité théâtrale. Plus tard, au XIXème siècle, l'orgue imite orchestre et chœurs à lui seul. Par ailleurs, l’orgue Schyven de l’église N-D de la Chapelle est particulièrement adapté à l’accompagnement du chant. Ce sera le cas lors du concert du 9 septembre à 16h00 : le Requiem de Gabriel Fauré, interprété par le chœur Les Pastoureaux, sera accompagné par l’orgue et un orchestre de chambre.

Finale du Concours de Chant Baroque Antonio Cesti à Innsbruck

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Écouter des jeunes candidats à une carrière artistique, se présentant à l’épreuve finale d’un concours international, provoque toujours une émotion particulière. Celui d’Innsbruck a atteint en 2023 sa quatorzième année. Ce n’est pas une surprise qu’un bon nombre des participants aux productions d’opéra baroque du Festival se soient fait connaître lors d’éditions précédentes. J’avais pu écouter en 2018 la voix céleste de Marie Lys, les personnalités saillantes de Mariamelle Lamagat ou Kathrin Hottiger ou    l’envoûtant contre-ténor Cameron Shahbazi. Lors d’autres éditions, une série de noms sont apparus qui ont fait depuis les délices du public : Sophie Rennert, Ariana Venditelli ou Emilie Renard dans le récent Juditha Triumphans de ce Festival. Ou la Belge Sophie Junker, premier prix en 2012, la Hongroise Emöké Barath en 2011 ou l’Espagnole Anna Alàs, 2ème prix en 2010. Impossible donc de citer tous les excellents chanteurs dont la carrière a été épaulée à travers cette initiative. 

La soirée a commencé avec une Sinfonia d’Antonio Caldara, quelque peu accidentée mais annonçant un beau tissu harmonique que le chef Antonio Maria Errico conduit avec humour et imagination. Qualités indispensables pour mener à bon port une soirée ou la nervosité et la jeunesse des candidats peut amener quelques surprises ou improvisations imprévues. Il s’est montré tellement coopérant et créatif qu’il a été un des piliers du succès de la soirée, ensemble avec les musiciens de l’orchestre Cesti du Festival. Lors de la Finale, les candidats devaient chanter un air choisi dans l’opéra Arianna in Creta de Händel et un autre de leur choix. Si aucun air ne convenait à leur spécificité vocale, le jury pouvait admettre des airs alternatifs.

A Pesaro, que de raretés rossiniennes !   

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Pour sa 44e édition, le Rossini Opera Festival met pour la première fois à l’affiche Eduardo e Cristina, propose une nouvelle production d’Adelaide di Borgogna et reprend celle de Mario Martone pour Aureliano in Palmira.

Elaboré à la hâte pour le Teatro San Benedetto de Venise après le fiasco d’Ermione au San Carlo de Naples, Eduardo e Cristina obtint un triomphe factice lors de la création du 24 avril 1819. Sur un livret de Giovanni Schmidt conçu pour Stefano Pavesi et réélaboré par Andrea Leone Tottola et par le Marquis Bevilacqua-Aldobrandini, Rossini constitua un pot-pourri en empruntant plusieurs scènes à Ricciardo e Zoraide et en utilisant les pages les plus faibles d’Ermione et neuf numéros d’Adelaide di Borgogna. Néanmoins, l’auditeur d’aujourd’hui ne prête guère attention à ce recyclage de pages antérieures et se laisse gagner par l’admiration pour la richesse d’écriture.

Sur fond de guerre opposant la Suède à la Russie, la trame bien mince se concentre sur le mariage secret unissant le général suédois Eduardo (rôle en travesti écrit pour le contralto Carolina Cortesi) à Cristina, la fille de Carlo, roi de Suède, qui voudrait lui donner pour époux Giacomo, un prince écossais. Mais la découverte de l’enfant né de cette union provoque l’emprisonnement d’Eduardo qui finira par être relâché et pardonné au moment où il réussira à repousser l’invasion russe. 

Confronté à un tel sujet, Stefano Poda assume mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie et conçoit un cadre scénique unique consistant en un gigantesque ossuaire dont les parois latérales accumulent les cadavres blanchis à la chaux. Se détache un groupe de danseurs-figurants qui, comme des morts vivants, s’agglutinent autour des cinq personnages en concrétisant les passions violentes qui les étouffent, avant de déplacer d’énormes cubes contenant des fragments de sculptures célèbres telle qu’un nu de Rodin ou la Daphné du Bernin qui, mis bout à bout, suggéreront l’union retrouvée des deux protagonistes… Notons toutefois que, pour une première exhumation, une lecture scénique traditionnelle aurait facilité la compréhension de l’œuvre !

L’Ensemble de Drottningholm au Festival d’Innsbruck : un concert « presque » parfait

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Le théâtre baroque de Drottningholm, près de Stockholm, est l’un des rares qui conserve encore en usage une bonne partie des décors et de la machinerie baroques. Celui de Palladio à Vicenza conserve des magnifiques décors en « trompe-l’œil », celui de Chimay juste l’édifice. En 1975, Ingmar Bergmann filma une partie de sa Flûte enchantée sur place ou dans une reconstitution en studio des lieux. Récupérer pour l’opéra la magie de ce lieu devint alors une évidente nécessité. En 1980, Arnold Östman le fera avec une série de productions d’opéras mozartiens largement enregistrés et diffusés depuis. L’ensemble qui s’est produit hier à Innsbruck est la continuation du groupe qu’il constitua. Sous le titre « Les insoumises » (Die Ungezähmten) nous voilà de nouveau aux prises avec les élèves surdouées d’Antonio Vivaldi à l’Ospedale della Pietà. L’on sait que les conditions de discipline dans l’institution étaient assez draconiennes, peu en accord avec les standards actuels. Par exemple, la célèbre « Fortunata cantora » vit sa ration de nourriture diminuée pendant six mois pour avoir diffusé des poèmes plus ou moins subversifs… Il ne nous reste que des prénoms sur des partitions pour rendre honneur à l’histoire de ces femmes : Anna Maria, Apollonia, Chiaretta, Prudenza. L’institution leur faisait vivre et les éduquait, mais la reconnaissance sociale qu’un nom ou une lignée pouvaient alors donner ne venait que si elles faisaient plus tard un mariage plus ou moins réussi.

Juditha Triumphans de Vivaldi au Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck

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Pour clôturer son parcours de quatorze ans à la tête des « Innsbrucker Festwochen der Alten Musik », après avoir succédé en 2010 au charismatique René Jacobs, le romain Alessandro de Marchi a voulu rendre hommage au grand compositeur vénitien Antonio Vivaldi. Avec comme devise « Un été avec Vivaldi », il a présenté un bon nombre de concerts et trois opéras : L’Olimpiade, La fida ninfa et, en guise de conclusion, Juditha triumphans, ce chef d’œuvre du célèbre « prêtre roux », un Oratorio mis en scène cette fois-ci. Dès la prochaine saison, ce sera au tour d’Ottavio Dantone d’assumer la direction artistique d’un Festival à l’histoire plus que florissante en productions du plus haut niveau mais qui a connu pas mal de déboires -restrictions budgétaires et autres- sans perdre le cap : la récupération d’ouvrages oubliés du Baroque même si leur valeur artistique n’était pas toujours en concordance avec leur intérêt historique.

Créé en 1716, après que la République Vénitienne, alliée alors aux Autrichiens, ait remporté une victoire dans son éternelle querelle avec l’Empire Ottoman (qui avait, entre autres joyeusetés, provoqué l’explosion en 1687 du Parthénon à Athènes…). Le titre, sur commande donc, est « Oratorio sacré et militaire » et présente une structure en deux actes avec un effectif vocal comprenant uniquement des voix de femmes, majoritairement graves, qui assument des rôles travestis ou féminins. La raison est autant artistique que bassement matérielle : Vivaldi était « maître de violon » à l’Ospedale della Pietà, une institution qui accueillait des jeunes filles orphelines ou en détresse en leur octroyant une formation musicale d’excellence avec laquelle elles pouvaient offrir des prestations du plus haut niveau sans que la République, l’Église ou les divers mécènes aient à débourser les deniers comptants qui auraient coûté autrement de tels fastes. Car l’effectif orchestral incluait ici, outre les cordes, quatre théorbes, deux clavecins, un orgue positif, deux violoncelles et deux violes de gambe rien que pour le continuo, sans compter des soli de chalumeau, de « viola d’amore », mandoline, flûtes, trompettes, timbales etc. Ici on a pris l’option de partager ces musiciens en créant un effet de stéréophonie très réussi, à l’image des « Cori spezzati » qu’Andrea Gabrieli utilisait à l’église Saint Marc de Venise. L’imagination que Vivaldi déploie dans l’utilisation de cette masse orchestrale dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer à l’époque : du plus subtil pianissimo, des accompagnements harmoniques délicats confiés seulement à la quatrième corde des violons, aux grandes masses de trompettes et timbales ou aux airs à instrument « obbligato » qui auront sans doute inspiré le dernier Mozart. Lequel avait traité le sujet dans sa Betulia liberata écrite précisément pendant son séjour à Venise en 1771. Il est plus que probable qu’il ait connu alors la composition de son ainé vénitien. Le plaisir que Vivaldi prend à faire briller ses élèves est évident, tant dans la virtuosité exigée aux solistes de l’orchestre  et ici il faut évoquer la charismatique et brillante violoniste Olivia Centurioni- qu’à celle exigée des solistes vocaux.  Anastasia Boldyreva, moscovite, nous offre un Holofernes droit et tranchant, à l’allure élégante et hautaine mais quelque peu monocorde dans sa caractérisation. Sa voix nous offre un airain éclatant et convaincant, même si l’on a dû déplorer plusieurs écarts de justesse lors de ses premières interventions car la mixture des registres n’est pas toujours idéale. La mezzosoprano franco-anglaise Emilie Renard en Abra, suivante de Judith, campe un personnage riche en couleurs et toujours charismatique. Sa voix se promène sans encombre dans une tessiture assez étendue et sa capacité d’émouvoir est parfaite. Elle nous captive de prime abord avec son air « Vultus tui vago splendore », toujours dans la spontanéité. En 2013, elle fut lauréate du Concours Cesti à Innsbruck. La Marseillaise Lorrie Garcie assume remarquablement le rôle d’Ossias, le grand prêtre de Betulia. Rôle ingrat, car sa tessiture est extrêmement grave et, même si les notes sont irréprochablement projetées, on manque un peu de magie dans sa performance.

Rencontres Musicales de Nîmes : les copains d’abord

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Du 22 au 26 août, la deuxième édition des Rencontres Musicales de Nîmes se tient à la cité romane sous la co-direction de trois amis, Liya Petrova, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal.

Le Jardin de la Fontaine

L’air est très humide et la chaleur accablante de la journée n’est pas encore tombée. Le sud de France connaît une canicule exceptionnelle qui atteint jusqu’à 44 degrés par endroits. Au Jardin de la Fontaine, à Nîmes, Philippe Bernhard, le directeur du festival, lance avec une vingtaine de minutes de retard une courte allocution d’ouverture du festival. « Chaque demi-heure passée, nous gagnons un degré de fraîcheur ! » s’exclame-t-il. Le concert commence, l’humidité modifie rapidement les cordes et un mur de pierre derrière l’orchestre pour un semblant de dispositif sonore n’aide pas les musiciens à avoir un retour de son nécessaire. Et pourtant, ce jardin classique du XVIIIe siècle est propice pour goûter une atmosphère estivale, une fin de vacances en compagnie de belles musiques.

Au Festival de Menton 2023

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Pour son édition 2023, le Festival de Menton a dû s'adapter et se réinventer au vu des nombreuses contraintes dans ce contexte économique incertain. Il a été contraint de réduire la voilure à sept concerts sur le Parvis à 21h30 et six concerts au Palais de l'Europe à 18h. Cependant, il offre toujours une programmation variée, où tout le monde trouve son bonheur. L'objectif principal restant d'offrir des concerts hors pair avec les meilleurs artistes du moment qu’ils soient jeunes ou confirmés.  

On commence cette évocation subjective par le concert de Nikolaï Lugansky. L’artiste consacre son récital à la musique pour piano de Rachmaninov. Il commence le récital par les Moments Musicaux de Rachmaninov,  un hommage à Franz Schubert, l’auteur d'une série de Moments Musicaux.  Le jeu de Lugansky est caractérisé par son toucher d'une grande délicatesse, il a un respect du clavier et, contrairement à d'autres pianistes virtuoses, il ne casse pas l'ivoire. Mélodies slaves, rythmes endiablés contemplations se confondent, évoquant des impressions, plutôt que des lieux ou des personnages.  L'artiste connaît toutes les subtilités pour jouer en plein air et faire ressortir toutes les nuances de la partition. Il a choisi "son piano" qu'il savait qui répondrait le mieux à toutes les exigences. 

Rachmaninov comparait sa Sonate n°2 de 1913 à celle de Chopin, dont il était un grand admirateur. Rachmaninov raccourcit, en 1931,  sa partition en ôtant près de 120 mesures. Cette nouvelle version est plus aérée mais moins virtuose. Rachmaninov laisse les interprètes libres face aux deux versions. Lugansky joue "sa version" qui est un savant mélange des textes, c’est une une performance formidable. 

C'est lors de son premier séjour en Amérique qu'il compose les Préludes op.32 

Lugansky les joue tels que Rachmaninov l'aurait souhaité :  à la fois doux et puissant, paisible et passionné. En bis une Romance de Tchaïkovsky dans un arrangement de Rachmaninov et un superbe Prélude. L'auditoire est subjugué. 

Beatrice Berrut est l'invitée du premier récital de 18h au Palais de l'Europe. Cette  pianiste suisse est acclamée dans les plus grands festivals et les salles de concerts les plus importantes. Beatrice Berrut est une musicienne sincère, intelligente et très créative, constamment à la recherche d'un nouveau répertoire. Eperdument amoureuse de la musique post-romantique, elle a transcrit et enregistré des pages marquantes de Gustav Mahler. Elle propose ici des mouvements de trois symphonies de Mahler : l’Adagietto de la Symphonie n°5, Le Tempo di Minuetto. Sehr mäßig de la  Symphonie n°3 et l'Andante de la Symphonie n°6. Ces transcriptions sont étonnantes et le piano sonne comme un orchestre symphonique. 

Une version historiquement informée pour L’Or du Rhin de Wagner

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© Felix Broede

Ce vendredi 18 août a lieu la représentation historiquement informée de L’Or du Rhin de Richard Wagner, prologue de sa tétralogie L’Anneau du Nibelung. Cet opéra en un acte et quatre scènes est donné en version concertante à la Philharmonie de Cologne avec Kent Nagano à la direction. L’orchestre est quant à lui composé de musiciens de deux orchestres : le Concerto Köln, habitué des interprétations historiquement informées et l’Orchestre du Festival de Dresde, ville où Wagner occupe une place importante. Plus de 100 musiciens, 102 pour être précis, accompagnent les 14 solistes du soir.

Avant de parler de la prestation en elle-même, revenons d’abord sur le but recherché de cette version historiquement informée. Il faut savoir que c’est un projet colossal qui est mis en place depuis 2017 puisque que c’est la totalité du Ring qui va bénéficier de recherches scientifiques afin de pouvoir interpréter les quatre opéras de cette tétralogie de manière historiquement informée. Le but de ces recherches scientifiques, menées sous la direction du Dr. Kai Hinrich Müller, est de proposer une nouvelle manière d’aborder cette œuvre afin d’essayer de se rapprocher au maximum de l’interprétation dans le contexte de l’époque et sur base des découvertes actuelles sur Wagner.

Ainsi plusieurs points sont abordés : les instruments, la manière de chanter, la manière d’interpréter le texte, la prononciation de l’allemand.

Les instruments utilisés pour cette représentation ont été choisis suite aux recherches effectuées. Des cordes en boyaux, des cuivres historiques et des flûtes traversos (ayant la préférence de Wagner) sont utilisées tandis que des hautbois et tubas wagnériens ont été recréés pour l’occasion. Notons que le « la » est accordé à 435 Hertz.

Parallèlement à ce travail sur les instruments, l’équipe des chercheurs et musicologues a œuvré de concert avec les chanteurs afin de travailler la prononciation de l’allemand comme il était parlé au19ème siècle ainsi qu’à la technique vocale de l’époque. Un travail a également été effectué sur les mimiques scéniques des chanteurs.

Lina Tur Bonet et Olga Paschenko au Festival Savall de Santes Creus

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Cette année, la programmation du Festival Savall dans ces lieux emblématiques que sont les monastères cisterciens catalans de Poblet et Santes Creus a eu pour devise « La Musique, un appel pour la vie ». En revendiquant, par le choix des artistes et des programmes, la défense d’idées et des valeurs tels que la mémoire, l’écologie, la liberté et les mouvements féministes, en particulier ceux des femmes persécutées en Afghanistan ou dans la Méditerranée orientale. Dans ce sens, mettre en exergue deux grandes interprètes telles que Lina Tur Bonet et Olga Paschenko jouant Fanny Mendelssohn et Clara Wieck-Schumann aux côtés de Franz Schubert ou Ludwig van Beethoven, était un pari aussi intéressant que peu aventureux, car l’on ne pouvait qu’être quasiment sûrs de leur succès. Déjà, le cadre de l’ancien réfectoire monacal, même dans la canicule estivale, invite au recueillement et nous rend propices à une écoute attentive. Ensuite, le talent et la maturité interprétative de ces deux artistes sont bien connus à travers les média, mais il reste toujours cette légère appréhension : la renommée et son « marketing » inhérents vont-ils se traduire en une véritable soirée d’émotions ? Eh bien, oui, ce fut le cas ! Dès ses premières notes, Olga égraine cet enchanteur thème schubertien en La mineur avec délicatesse et élégance tandis que le drame désire percer au travers de ces formules d’accompagnement apparemment anodines qu’elle sait exploiter avec autant d’autorité que d’intelligence. Sa dextérité manuelle est stupéfiante, mais à aucun moment elle ne s’en sert de façon ostentatoire ou gratuite : toujours au service d’un phrasé extrêmement soigné, d’une respiration ou d’un élan émotif. Et surtout, elle est magistrale lorsqu’il s’agit de mettre les notes en relation les unes avec les autres : tensions ou détentes suivent une pensée musicale clairvoyante et toujours créative. Lina lui répond avec un son d’un raffinement divin, avec un archet créatif et une gamme infinie de nuances. Cependant, son attitude musicale nous a semblé quelque peu distante pendant les trois premiers mouvements de cette belle Sonate. Toujours du grand art, bien sûr, mais on dirait qu’elle était plus en train de contempler l’exquis tableau qui se dessinait devant elle qu’à réellement participer à le créer. Cependant, soudain, lors d’un trait en « spiccato » dans l’Allegro conclusif, on aurait dit qu’un guépard est sorti à la chasse et la grande artiste qu’elle est nous a déployé toute sa fougue et tous ses atouts. Et cela n’a pas fléchi jusqu’à la dernière note du concert, magnifiant autant l’Adagio de Fanny Mendelssohn que les trois romances de Clara Schumann !