Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

La sélection du mois de décembre 2022 

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On commence cette sélection à Bruxelles au CPE Festival, avec 2 beaux concerts au Musée des instruments : le duo piano à 4 mains Zora et Nora Novotna interprétera un programme coloré et bigarré le dimanche 11 décembre.  Le 18 décembre, le violoncelliste Marcel Johannes Kits sera en compagnie de la pianiste Naoko Sonada pour un récital Schnittke, Brahms et Britten. 

L’un des évènements du mois sera la création posthume de On Purge bébé de Philippe Boesmans à La Monnaie du 13 au 29 décembre. Le théâtre belge nous gâte avec le retour d’Antonio Pappano pour un Winterreise de Schubert revu par Hans Zender en compagnie de Ian Bostridge (19/12). Alain Altinoglu sera à l’affiche d’un concert de fête avec la Symphonie Fantastique (30/12). 

A Bozar, le London Philharmonic traversera La Manche pour une Symphonie n°9 de Gustav Mahler sous la baguette de Vladimir Jurowski (6/12) avant que Philippe Herreweghe ne fasse trembler les murs avec la Missa Solemnis de Beethoven (17/12). 

Au Flagey, l’Ensemble Musiques Nouvelles célèbre ses 60 ans avec une soirée anniversaire (5/12). La pianiste Işıl Bengi présentera son nouvel album avec des œuvres de Granados, Tajcevic, Balakirev  (16/12).

Le Belgian National Orchestra sera à Bruxelles (9/11) et à Namur (10/11) pour des concerts sous la direction de Kazuki Yamada. 

Toujours à Namur, l’excellent Ensemble Clematis proposera un oratorio de Noël imaginaire constitué au départ d’œuvres de compositeurs allemands du XVIIe siècle (9/12). 

Du côté de Liège, les fêtes seront joyeuses avec une production de La Vie Parisienne de Jacques Offenbach (23 au 31/12).  L'Orchestre philharmonique royal de Liège clôt son année César Franck avec une interprétation de l'oratorio Les Béatitudes (Bruxelles le 08/12 et Liège le 10/12).  

A Lille, avec l’Orchestre National de Lille, il ne faudra pas manquer les concerts avec la rare Petite Sirène de Zemlinsky (1er et 2 décembre)  et celui avec le Chant de la terre de Gustav Mahler ( 8 décembre). 

Alexis Kossenko, Rameau, Walckiers et la passion du patrimoine musical

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Alexis Kossenko est au pupitre d’une distribution d’exception, du Choeur de Chambre de Namur et de ses musiciens de l’orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie pour une intégrale de Zoroastre, tragédie de Jean-Philippe Rameau dans sa version originale de 1749. Cette parution est l’occasion d’échanger avec ce musicien passionné et passionnant. 

Votre nouvel enregistrement est consacré au Zoroastre de Rameau. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette partition après Achante et Céphise que vous aviez précédemment enregistrés ?

Tout  d’abord, mon amour inconditionnel pour Rameau, dont le langage m’est désormais familier... même si je suis toujours émerveillé et abasourdi par son audace, son inépuisable invention. D’une manière plus large, dans le cadre de notre partenariat avec le Centre  de Musique de Baroque de Versailles, nous avons réfléchi aux ouvrages à aborder tout au long de notre résidence ; œuvres qui me tiennent à cœur bien sûr, mais aussi pour une bonne part celles qui attendent dans l'ombre leur résurrection. C’était le cas d'Achante et Céphise,  ce sera le cas du Carnaval du Parnasse de Mondonville en mars prochain. En ce qui concerne Zoroastre, la situation est assez différente : le titre est bien connu, l’ouvrage a été enregistré plusieurs fois… mais toujours dans sa seconde version,  celle de 1756. La partition de la création en 1749 restait donc à découvrir ! De plus, après Achante et Céphise qui est une Pastorale Héroïque (dont dénuée d’action, certes), je souhaitais aborder une vraie tragédie lyrique -genre dans lequel Rameau aiguise à l’extrême son efficacité dramatique. 

Quelles  sont les spécificités de Zoroastre dans l'œuvre de Rameau ?  

Zoroastre a une particularité importante dans l'œuvre de Rameau : c’est le premier ouvrage à supprimer le prologue, cet acte avant l’acte dont la fonction était, à l’origine, de rendre hommage au roi. Dans l’histoire des prologues, on peut trouver toutes les nuances, bien sûr : on peut se rappeler le « Louis, Louis, Louis… est le plus grand des rois » très flagorneur (et un rien ironique ?) de Charpentier dans Le Malade Imaginaire (Molière essayait sans doute de rentrer en grâce auprès de Roi après sa brouille avec Lully). Certains compositeurs y explicitent un parallèle flatteur entre le monarque et le héros de la tragédie ; d'autres ont habilement réussi une mise en abîme justifiant le spectacle ; certains, enfin, s’émancipent quelque peu de leur devoir envers le roi et en  font un acte introductif déjà lié à la trame dramatique. Dans Zoroastre, on entre de plain-pied dans l’action ; Cahuzac nous avertit que l’ouverture, qui dépeint le combat du Bien contre le Mal, « tient lieu de prologue ». Cette rupture avec l’usage établira  bientôt un nouveau modèle. Il est amusant de constater que deux ans plus tard, avec Achante et Céphise dont le prétexte était une naissance royale, il fera un petit pas en arrière en plaçant l’éloge au roi « Vive la race de nos rois »... dans le choeur final!

De plus, on note l’abandon des sujets médiévaux ou antiques au profit d’un intérêt pour les intrigues évoquant l’orient -souvent reflétées par des noms en Z : Zoroastre, Zaïs, Zélide, Zélidie, Zaïde, Zémire, Zélisca, Zélindor, Zulima, etc… 

Enfin, une caractéristique de l'œuvre est d’être éminemment influencée par les idées maçonniques -elle est même assez manichéenne. La destinée du prophète Zoroastre (Zarathoustra) est de sauver le monde et « d’éclairer l’univers » en dépit d’ailleurs des réticences d’un peuple résigné à vivre en esclavage*. Rameau travaille avec art l’idée de lumière, allant jusqu’à l’éblouissement surnaturel provoqué par la modulation, sans préparation, de sol majeur à mi majeur. Mais je soupçonne que c’est dans l’évocation des scènes maléfiques, d’une durée et d’une intensité exceptionnelles, qu’il prend le plus de plaisir. Les enchaînements serrés de récits, airs, danses et choeur de l’Acte IV, du sacrifice jusqu’à la danse de victoire des troupes d’Abramane, qui mène instruments et voix au bord de la rupture dans un rythme infernal, est un enivrant tourbillon aussi sadique que jubilatoire. 

Ce  nouvel enregistrement est, comme le souligne la notice de présentation, une recréation de la version originale de 1749. Quelles sont les caractéristiques de cette version originale par rapport à la version plus connue de 1756 ? 

Dans la version originale, l’intrigue amoureuse est assez secondaire ; c’est le combat de la Lumière contre les Ténèbres, l’aspect philosophique, l’aspect moral, qui absorbe toute l’énergie du librettiste et du compositeur. L’essentiel des reproches que l’on fit  aux auteurs portait là-dessus, et c'est ce point qu’ils s’attacheront à corriger dans les remaniements de 1756, en donnant plus de substances aux personnages, notamment féminins : Amélite, et surtout Erinice. Il faut cependant considérer ce défaut sous deux angles, et le relativiser : tout d’abord celui de l’audace, car je trouve justement intéressant, et fort peu consensuel, de faire passer la philosophie avant la romance -et on a tout de même de sublimes duos d’amour entre Amélite et Zoroastre ! Et puis, ce que le  disque ou la version de concert nous font oublier, c’est que tout l’Acte IV tourne autour d’Erinice, même si elle se tait -les nombreuses didascalies laissent imaginer que ces scènes peuvent être d’une incroyable efficacité théâtrale, justement parce qu’elle  est là, forte d’une présence d’autant plus brûlante pendant le sacrifice qu’elle est muette, tandis que la Vengeance et les forces obscures lui offrent un sabbat digne d’un film d’horreur. 

Le public, qui avait aussi besoin de temps pour digérer cette somme de nouveautés, fera honneur à la version de 1756 ; c’est une des raisons qui ont conduit les interprètes modernes à préférer cette version. Ça peut se discuter, comme on voit ! Et de toutes  façons, avec trois actes sur cinq entièrement refaits, il y avait une telle quantité de musique géniale inédite qu’on n’avait pas le droit de la laisser dans l’ombre.  

Le Jubilee Quartet, Schubert mais au-delà 

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La scène britannique est une constante pépinière pour les quatuors. Le Jubilee Quartet est ainsi l’une des formations les plus intéressantes du moment et la parution d’un nouvel album consacré à Schubert est l’occasion d’échanger avec des musiciens bien dans leur temps. 

Vous faites paraître un album consacré à deux quatuors de Schubert (Quatuor à cordes n°10  et 15). Votre précédent et premier album était consacré à Haydn. Pourquoi ce choix de Schubert après Haydn ?

Le Quatuor Jubilee a établi ses bases sonores sur des compositions de Haydn. Lorsque nous avons commencé à travailler sur les quatuors de Schubert, nous avons découvert une autre dimension à notre son et nous avons été tellement fascinés par ce que Schubert nous offrait que nous avons commencé à étudier un quatuor après l'autre.L'enregistrement de ces quatuors était une démarche logique pour nous.

Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement ces deux quatuors de Schubert ?

Nous avons enregistré quatre quatuors de Schubert. Nous avons associé ces quatuors en mi bémol majeur et celui en sol majeur, de sorte que le deuxième disque qui sortira en 2023 proposera le Quartettsatz et La jeune fille et la mort poursuivra l’aventure avec deux œuvres en tonalité mineure.

Posez-vous les bases d'un enregistrement complet des quatuors de Schubert ?

 J'espère qu'un jour nous aurons l'intégrale des quatuors de Schubert, il y en a beaucoup qui ne sont malheureusement pas joués aussi souvent, et c'est vraiment dommage.

La Clemenza di Tito à Liège avec Cecilia Bartoli

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Composé par Mozart à l’occasion du couronnement de l’Empereur Léopold II comme Roi de Bohême à Prague en 1791, La Clemenza di Tito est l’une des dernières œuvres du maître. Élaborée entre l’écriture de La Flûte Enchantée et de son Requiem, l'œuvre fut terminée en un temps record, moins de deux mois. Une partie étant même composée sur le trajet entre Vienne et Prague ! Bien loin des derniers opéras de Mozart, La Clemenza di Tito est un retour à l’opéra séria, contexte oblige.

Une fois n’est pas coutume, c’est un autre ensemble que celui de l’Opéra Royal de Wallonie qui s’est produit ce 28 novembre. Et quel ensemble ! Les Musiciens du Prince-Monaco et le chœur Il Canto di Orfeo dirigés par Gianluca Capuano, avec Cecilia Bartoli, Alexandra Marcellier, Mélissa Petit, Lea Desandre, John Osborn et Peter Kálmán dans les rôles principaux. Avec une telle affiche, il ne faisait aucun doute que le spectacle allait être au rendez-vous. Surtout connaissant les liens qui unissent chacun des intervenants. En effet, l’orchestre a été créé en 2016 par Cécilia Bartoli tandis que le chœur, lui, fut fondé en 2005 par Gianluca Capuano. Nous pouvons ajouter à cela les nombreuses collaborations passées entre Cécilia Bartoli, John Osborn et Peter Kálmán, qui se connaissent sur le bout des doigts, ou encore l’expérience de la troupe qui termine doucement une tournée consacrée à cette version concertante de l'œuvre mozartienne.

C’est donc avec une grande hâte que le public s’est pressé dans la salle quasi comble de l’ORW pour assister à un concert d’une qualité tout bonnement exceptionnelle. Chaque chanteur a brillé par sa puissance et sa qualité vocale, sans jamais prendre le dessus sur les autres. Cecilia Bartoli a ébloui dans un Sesto impliqué et passionné. Chacune de ses interventions, précise et puissante, a fait frissonner le public accroché à ses lèvres. En face d’elle, Alexandra Marcellier, en Vitellia, a fait jeu égal avec elle. Le rôle demande une grande maîtrise vocale, surtout dans le registre grave du soprano, plus développé ici qu’à l’habitude. Une bagatelle pour la jeune française qui se balade d’un bout à l’autre de l'œuvre avec une aisance peu commune. Lea Desandre, quant à elle, a interprété chaque air avec douceur et émotion. Très convaincante dans le rôle d’Annio, un homme, son duo avec Cécilia Bartoli lors de la scène 3 fut l’un des plus beaux moments de la soirée. Pour clôturer ce quatuor féminin, Mélissa Petit, déjà passée sur la scène de l’ORW en 2019, a interprété le rôle de Servilia. Toute en finesse, elle a conquis le cœur du public, qui regrettera de ne pas avoir pu l’entendre plus.

Verdi ? Oui, Verdi ! Alzira à l'Opéra de Liège

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Alzira est un opéra de Verdi peu connu et peu représenté (pas même vingt représentations depuis 1996 si mes sources sont fiables). Pourtant, ce n’est pas une œuvre de prime jeunesse : elle est créée en août 1845, Verdi a 32 ans, intercalée, excusez du peu, entre Ernani - I Due FoscariGiovanna d’Arco et Attila - Macbeth ! Dès sa conception, elle est problématique (un sujet inspiré de Voltaire déjà traité par ailleurs, un librettiste, Cammarano, qui traîne et est peu enclin à se plier aux exigences du compositeur) ; sa création à Naples est moyennement saluée, catastrophique à Rome ensuite. On oublie dès lors Alzira, vite qualifiée, même par son compositeur, de « mauvais opéra ».

Et pourtant, j’aimerais saluer sa programmation à l’Opéra de Wallonie-Liège. La maison s’est fait une réputation verdienne ; elle a donc raison d’offrir à ses spectateurs de découvrir davantage « le catalogue » du Maître. D’autant que, si cet Alzira est certes un petit Verdi, c’est quand même du Verdi, et qui mérite notre intérêt.

Bien sûr, son livret reste très schématique et plutôt expéditif dans sa façon de traiter les grands affrontements. En à peine une heure et demie, nous assistons successivement à une exécution inéluctable annulée in extremis par la réapparition miraculeuse de celui que l’on croyait mort – Zamoro, un Indien du Pérou -, qui gracie généreusement le condamné. Par ailleurs, Gusmano, le fils sanguinaire de l’Espagnol gracié, séquestre Alzira, la fiancée du réapparu généreux. Combats. Victoire de l’Espagnol, condamnation à mort de l’Inca… sauf si Alzira épouse le méchant. Au dernier moment, Zamoro, qui a pu miraculeusement s’enfuir, surgit et poignarde Gusmano… qui pardonne et salue l’union des deux amants enfin réunis. 

Le Tryptique de Puccini, triomphalement accueilli au Liceu

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Il Tabarro, Suor Angelica et Gianni Schicchi constituent ensemble le dernier des ouvrages lyriques que Puccini ait complété car Turandot fut interrompu par sa mort à Bruxelles en 1924. En 1918, il frise la soixantaine, sont cancer du larynx s’annonce, la Première Guerre mondiale a abouti à l’Armistice et les budgets des théâtres d’opéra européens sont au plus bas. C’est la raison pour laquelle il accepte la proposition de l’imprésario du Metropolitan Opera newyorkais, huit ans après leur commande de La Fanciulla del West que Toscanini y dirigea, d’y créer cette idée assez originale de trois ouvrages courts, reliés par un fil conducteur, pour être représentés dans une même soirée. Craignant que son vaisseau ne soit victime des mines allemandes, il refuse le voyage en Amérique pour assister à la première, évitant ainsi sans le prévoir le sort d’Enrique Granados dont le bateau fut torpillé cette même année après avoir assisté à la création de ses Goyescas dans ce même théâtre américain. Après avoir hésité entre divers grands ouvrages de la littérature russe ou française, il va s’inspirer de la Divine Comédie pour relier trois pièces évoquant l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Dans cet ordre bien que, à nos yeux, l’enfer de jalousie poussée jusqu’au crime représenté dans Il Tabarro apparaisse comme presque plus humain que l’infamante exhibition d’avidité et de vénalité des parents du mourant Buoso Donati dans la bouffonnerie de Gianni Schicchi. Les trois ouvrages tournent autour du thème de la mort et du mensonge, des fausses apparences et des écarts à la morale conventionnelle. Nous savons aujourd’hui que ce genre de sujets, tout comme la place des femmes dans la société, intéressaient Puccini aussi pour des raisons personnelles : sa relation adultère avec la sœur de sa bonne poussa celle-ci au suicide. Et une petite-fille de cette relation vivait encore récemment en Italie sans savoir qu’elle avait un pareil héritage.

Ce sera d’après l’auteur français Didier Gold dont Giuseppe Adami tirera pour Il Tabarro un livret qui a toujours été controversé par une construction dramatique disons… peu convaincante. Alors qu’un Puccini en pleine maturité le nourrira d’une musique superbe, aux couleurs orchestrales somptueuses et avec un lyrisme d’inspiration vériste capable d’émouvoir le spectateur le plus blasé. L’auteur des livrets de Suor Angelica et Gianni Schicchi, après le décès de Giuseppe Giacosa qui avait écrit La Bohème, Tosca ou Madame Butterfly, fut Giovacchino Forzano. Son travail, particulièrement dans le registre comique, contient ce petit plus de théâtralité qui peut être la clé du succès d’un opéra. Car représenter trois ouvrages avec 38 rôles solistes (chantés par 31 artistes au Liceu), un orchestre de grande envergure, chœurs, etc. représente un pari humain et financier de premier ordre. Il est assez rare que les trois soient joués ensemble selon le désir de Puccini.

Un Berlioz impressionnant  avec Daniel Harding et l'OSR

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Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande donne la plus grande part de ses concerts au Victoria Hall de Genève. Mais il en présente six ou sept à Lausanne dans un Théâtre de Beaulieu qui vient d’être entièrement rénové, offrant une qualité d’écoute dans une salle vaste qui comporte 1600 places assises.

En a largement bénéficié une partition requérant de larges effectifs comme le Roméo et Juliette de Berlioz, proposé à Genève le 23 novembre, à Lausanne, le lendemain. 

Pour cette œuvre monumentale, le compositeur sollicitait un grand orchestre de près de 90 instrumentistes incluant un ophicléide, un tambour de basque et une caisse claire. Et le chœur devait compter dans ses rangs au moins 30 soprani, 20 alti, 20 ténors et 20 basses. S’y ajoutaient trois solistes vocaux : un contralto, un ténor et une basse.

Pour ces deux concerts, Daniel Harding, que l’on vient d’applaudir à la tête du Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam, est aux commandes. D’emblée, il s’attaque à l’Introduction avec une vivacité de tempo qui dépeint l’effervescence des factions rivales, s’achevant en points de suspension afin de laisser place au Prologue. Devant l’estrade, apparaît le magnifique Chœur de l’Orchestre de Paris (préparé par Marc Korovitch) en une formation réduite à une vingtaine de chanteurs. Tournant le dos au chef, il égrène la déclamation mesurée « D’anciennes haines endormies », avant de dialoguer avec Marie-Nicole Lemieux, négociant, dans une somptueuse ligne de chant, les strophes « Premiers transports que nul n’oublie », puis avec le ténor Andrew Staples, évoquant d’un timbre clair « Mab ! la messagère fluette et légère ». 

Une couleur locale technico-technologique : Les Noces de Figaro à l'Opéra de Paris

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Au Palais Garnier, la metteure en scène Netia Jones installe Les Noces de Figaro dans ce que j’appellerais une couleur locale technico-technologique. Louis Langrée, avec l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra National de Paris, et les solistes, propose un Mozart inspiré.

Les Noces sont mises en abîme, comme on dit : nous assistons en effet à leurs répétitions, à la façon dont leurs interprètes vivent ce temps-là, avec tout ce qui les unit-désunit, tout ce qui les caractérise, en strict parallélisme avec l’œuvre travaillée. Avec aussi quelques références plutôt soulignées aux harcèlements dont sont victimes de jeunes interprètes de la part de quelques solistes confirmés. Me Too est passé par là. Pourquoi pas. Mais cela n'ajoute pas grand-chose à ce que l’œuvre dit déjà de façon plus subtile.

Surtout, et c’est un imposant dispositif scénographique, Netia Jones envahit l’espace scénique d’images vidéo ne nous cachant rien des données techniques de la représentation, avec aussi quelques-uns des textes à chanter. Nous n’ignorerons rien des longueurs-largeurs-hauteurs des différents dispositifs. De temps à autre, ce sont des ombres qui sont projetées, nous suggérant la réalité plus crue des attitudes plus ou moins contrôlées vécues sur le plateau. 

Le problème est que tout cela, qui est sans doute techniquement virtuose, n’a guère d’impact dramaturgique. Régulièrement, les interprètes se retrouvent coincés en file au bord du plateau à cause d’un panneau informatif descendu des cintres, ou éloignés l’un de l’autre parce que chacun est dans une « loge » différente. Ce qui, par exemple, prive de toute sa force comique la fameuse scène de la reconnaissance : « sua madre, suo padre ». 

Un bonheur perpétué, un bonheur renouvelé : Carmen  de Georges Bizet à l'Opéra de Paris

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A Paris Bastille, Carmen triomphe, suscite l’enthousiasme -elle restera heureusement à l’affiche jusqu’au 25 février prochain. Découvrir ou revoir cet opéra est toujours un bonheur, d’autant plus dans la mise en scène, réellement devenue historique, de Calixto Bieito. D’autant plus encore quand elle est servie par de pareils interprètes.

Et pourtant voilà une partition plutôt mal accueillie à l’Opéra-Comique lors de sa création en 1875 (mais pour toute une série de raisons liées au temps et à ses conventions-convictions). Depuis, elle s’est absolument imposée. Ainsi, cette saison, elle fera l’objet de 120 productions et sera représentée 604 fois partout dans le monde ! Représentée devant des salles combles, aux publics bien plus hétérogènes que d’habitude. 

C’est évidemment lié à son intrigue, qui nous confronte à Carmen, une femme éprise de liberté, dût-elle en mourir : « je suis née libre, je mourrai libre » ; une femme dont les revendications-aspirations semblent avoir encore davantage d’échos aujourd’hui. Une intrigue qui conjugue scènes de foule et face-à-face d’extrême intensité, qui multiplie les tonalités, qui se fait tragédie inéluctable. C’est bien sûr lié à une partition dont on ne peut oublier les airs une fois qu’on les a entendus (comme me le disait ma jeune voisine de rangée : « Je ne connais pas ˊCarmenˊ, mais je la connais ! J’ai reconnu ses airs entendus déjà ici ou là »). Une partition de « couleur locale », si espagnole dirait-on, alors que, rappelons-le, Bizet n’a jamais mis les pieds en Espagne. Carmen fascine et n’a pas fini de fasciner.

Surtout quand elle est mise en scène comme elle l’est par Calixto Bieito. Et pourtant : savez-vous que cette mise en scène a été créée en 1999 ! Elle s’est imposée dans le monde entier, reprise et encore reprise. A l’Opéra de Paris, j’ai assisté à sa 44e représentation.

Rencontre avec la percussionniste française Adélaïde Ferrière

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Jeune percussionniste française, Adélaïde Ferrière est incontournable dans le monde actuel de la percussion. En 2017, elle est la toute première percussionniste à être récompensée d’une Victoire de la Musique classique. En 2020, elle enregistre son premier CD en solo, « Joker Découverte » dans notre magazine. Et cette année, elle a participé en tant que soliste au disque Des Canyons aux Étoiles de Messiaen,récompensé d’un Millésime 2022. Rencontre avec une percussionniste que rien ne semble arrêter !

Ces derniers mois, vous vous êtes produite dans toute la France et au-delà. Quel bilan pouvez-vous tirer de ces nombreuses représentations ?

En effet, l’été a été plutôt chargé ! J’ai eu la chance de me produire en soliste dans de nombreux concerts ainsi qu’avec le Trio Xenakis, à l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur. Voyager d’un bout à l’autre de la France et même dépasser ses frontières afin d’y donner des concerts à un rythme assez effréné, c’est quelque chose de très grisant. J’ai pu développer de très beaux projets et tout s’est très bien déroulé.

Je suis très contente de remarquer que les percussionnistes sont de plus en plus demandés lors de concerts de musique classique ou de festivals. On rentre enfin “officiellement” dans le monde de la musique classique, au même niveau que les violonistes ou les pianistes.

Parallèlement, vous avez aussi développé d’autres projets tel qu’une sortie digitale d’une transcription au marimba de la Chaconne de Bach/Busoni. Pourquoi avoir choisi cette partition dans cette transcription ? Qu’est-ce que le marimba lui apporte ?

La Chaconne de Bach est une œuvre qui a été très souvent arrangée par d'autres compositeurs, comme Busoni bien sûr, mais aussi Brahms ou encore Schumann. J’avais donc un choix assez large. Ce qui m’a poussée vers la transcription de Busoni, ce sont les développements qu’il a apportés à l’harmonie. Celle-ci est plus massive que l’originale, et se prête très bien à une interprétation au marimba.

Pour moi, le marimba apporte une autre écoute à cette Chaconne. En effet, la transcription de Busoni, destinée au piano, est plus verticale lorsqu’elle est interprétée au marimba à cause de l’absence de pédale sur l’instrument. Cette œuvre dans sa version originale pour violon de JS Bach est d’ailleurs très célèbre dans le répertoire pour marimba et est souvent jouée.

Nous avons aussi pu apprécier la sortie du disque  Des Canyons aux Étoiles consacré à l'œuvre éponyme de Messiaen. Que représente cette pièce pour vous ?

Des Canyons aux Étoiles est pour moi une pièce incontournable du répertoire du XXe. Cette œuvre magistrale d’une heure et demie construit une atmosphère très particulière et très imposante. Elle est aussi importante pour les percussions. Messiaen a toujours accordé une attention particulière aux percussions, et cela se ressent beaucoup dans cette œuvre. Tout d’abord avec la présence des deux solistes, l’un au xylorimba et l’autre au glockenspiel, mais surtout par le rôle qui leur est attribué dans la construction de l’ambiance générale.