Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

Alexis Kossenko, Rameau, Walckiers et la passion du patrimoine musical

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Alexis Kossenko est au pupitre d’une distribution d’exception, du Choeur de Chambre de Namur et de ses musiciens de l’orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie pour une intégrale de Zoroastre, tragédie de Jean-Philippe Rameau dans sa version originale de 1749. Cette parution est l’occasion d’échanger avec ce musicien passionné et passionnant. 

Votre nouvel enregistrement est consacré au Zoroastre de Rameau. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette partition après Achante et Céphise que vous aviez précédemment enregistrés ?

Tout  d’abord, mon amour inconditionnel pour Rameau, dont le langage m’est désormais familier... même si je suis toujours émerveillé et abasourdi par son audace, son inépuisable invention. D’une manière plus large, dans le cadre de notre partenariat avec le Centre  de Musique de Baroque de Versailles, nous avons réfléchi aux ouvrages à aborder tout au long de notre résidence ; œuvres qui me tiennent à cœur bien sûr, mais aussi pour une bonne part celles qui attendent dans l'ombre leur résurrection. C’était le cas d'Achante et Céphise,  ce sera le cas du Carnaval du Parnasse de Mondonville en mars prochain. En ce qui concerne Zoroastre, la situation est assez différente : le titre est bien connu, l’ouvrage a été enregistré plusieurs fois… mais toujours dans sa seconde version,  celle de 1756. La partition de la création en 1749 restait donc à découvrir ! De plus, après Achante et Céphise qui est une Pastorale Héroïque (dont dénuée d’action, certes), je souhaitais aborder une vraie tragédie lyrique -genre dans lequel Rameau aiguise à l’extrême son efficacité dramatique. 

Quelles  sont les spécificités de Zoroastre dans l'œuvre de Rameau ?  

Zoroastre a une particularité importante dans l'œuvre de Rameau : c’est le premier ouvrage à supprimer le prologue, cet acte avant l’acte dont la fonction était, à l’origine, de rendre hommage au roi. Dans l’histoire des prologues, on peut trouver toutes les nuances, bien sûr : on peut se rappeler le « Louis, Louis, Louis… est le plus grand des rois » très flagorneur (et un rien ironique ?) de Charpentier dans Le Malade Imaginaire (Molière essayait sans doute de rentrer en grâce auprès de Roi après sa brouille avec Lully). Certains compositeurs y explicitent un parallèle flatteur entre le monarque et le héros de la tragédie ; d'autres ont habilement réussi une mise en abîme justifiant le spectacle ; certains, enfin, s’émancipent quelque peu de leur devoir envers le roi et en  font un acte introductif déjà lié à la trame dramatique. Dans Zoroastre, on entre de plain-pied dans l’action ; Cahuzac nous avertit que l’ouverture, qui dépeint le combat du Bien contre le Mal, « tient lieu de prologue ». Cette rupture avec l’usage établira  bientôt un nouveau modèle. Il est amusant de constater que deux ans plus tard, avec Achante et Céphise dont le prétexte était une naissance royale, il fera un petit pas en arrière en plaçant l’éloge au roi « Vive la race de nos rois »... dans le choeur final!

De plus, on note l’abandon des sujets médiévaux ou antiques au profit d’un intérêt pour les intrigues évoquant l’orient -souvent reflétées par des noms en Z : Zoroastre, Zaïs, Zélide, Zélidie, Zaïde, Zémire, Zélisca, Zélindor, Zulima, etc… 

Enfin, une caractéristique de l'œuvre est d’être éminemment influencée par les idées maçonniques -elle est même assez manichéenne. La destinée du prophète Zoroastre (Zarathoustra) est de sauver le monde et « d’éclairer l’univers » en dépit d’ailleurs des réticences d’un peuple résigné à vivre en esclavage*. Rameau travaille avec art l’idée de lumière, allant jusqu’à l’éblouissement surnaturel provoqué par la modulation, sans préparation, de sol majeur à mi majeur. Mais je soupçonne que c’est dans l’évocation des scènes maléfiques, d’une durée et d’une intensité exceptionnelles, qu’il prend le plus de plaisir. Les enchaînements serrés de récits, airs, danses et choeur de l’Acte IV, du sacrifice jusqu’à la danse de victoire des troupes d’Abramane, qui mène instruments et voix au bord de la rupture dans un rythme infernal, est un enivrant tourbillon aussi sadique que jubilatoire. 

Ce  nouvel enregistrement est, comme le souligne la notice de présentation, une recréation de la version originale de 1749. Quelles sont les caractéristiques de cette version originale par rapport à la version plus connue de 1756 ? 

Dans la version originale, l’intrigue amoureuse est assez secondaire ; c’est le combat de la Lumière contre les Ténèbres, l’aspect philosophique, l’aspect moral, qui absorbe toute l’énergie du librettiste et du compositeur. L’essentiel des reproches que l’on fit  aux auteurs portait là-dessus, et c'est ce point qu’ils s’attacheront à corriger dans les remaniements de 1756, en donnant plus de substances aux personnages, notamment féminins : Amélite, et surtout Erinice. Il faut cependant considérer ce défaut sous deux angles, et le relativiser : tout d’abord celui de l’audace, car je trouve justement intéressant, et fort peu consensuel, de faire passer la philosophie avant la romance -et on a tout de même de sublimes duos d’amour entre Amélite et Zoroastre ! Et puis, ce que le  disque ou la version de concert nous font oublier, c’est que tout l’Acte IV tourne autour d’Erinice, même si elle se tait -les nombreuses didascalies laissent imaginer que ces scènes peuvent être d’une incroyable efficacité théâtrale, justement parce qu’elle  est là, forte d’une présence d’autant plus brûlante pendant le sacrifice qu’elle est muette, tandis que la Vengeance et les forces obscures lui offrent un sabbat digne d’un film d’horreur. 

Le public, qui avait aussi besoin de temps pour digérer cette somme de nouveautés, fera honneur à la version de 1756 ; c’est une des raisons qui ont conduit les interprètes modernes à préférer cette version. Ça peut se discuter, comme on voit ! Et de toutes  façons, avec trois actes sur cinq entièrement refaits, il y avait une telle quantité de musique géniale inédite qu’on n’avait pas le droit de la laisser dans l’ombre.  

Le Jubilee Quartet, Schubert mais au-delà 

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La scène britannique est une constante pépinière pour les quatuors. Le Jubilee Quartet est ainsi l’une des formations les plus intéressantes du moment et la parution d’un nouvel album consacré à Schubert est l’occasion d’échanger avec des musiciens bien dans leur temps. 

Vous faites paraître un album consacré à deux quatuors de Schubert (Quatuor à cordes n°10  et 15). Votre précédent et premier album était consacré à Haydn. Pourquoi ce choix de Schubert après Haydn ?

Le Quatuor Jubilee a établi ses bases sonores sur des compositions de Haydn. Lorsque nous avons commencé à travailler sur les quatuors de Schubert, nous avons découvert une autre dimension à notre son et nous avons été tellement fascinés par ce que Schubert nous offrait que nous avons commencé à étudier un quatuor après l'autre.L'enregistrement de ces quatuors était une démarche logique pour nous.

Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement ces deux quatuors de Schubert ?

Nous avons enregistré quatre quatuors de Schubert. Nous avons associé ces quatuors en mi bémol majeur et celui en sol majeur, de sorte que le deuxième disque qui sortira en 2023 proposera le Quartettsatz et La jeune fille et la mort poursuivra l’aventure avec deux œuvres en tonalité mineure.

Posez-vous les bases d'un enregistrement complet des quatuors de Schubert ?

 J'espère qu'un jour nous aurons l'intégrale des quatuors de Schubert, il y en a beaucoup qui ne sont malheureusement pas joués aussi souvent, et c'est vraiment dommage.

Rencontre avec la percussionniste française Adélaïde Ferrière

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Jeune percussionniste française, Adélaïde Ferrière est incontournable dans le monde actuel de la percussion. En 2017, elle est la toute première percussionniste à être récompensée d’une Victoire de la Musique classique. En 2020, elle enregistre son premier CD en solo, « Joker Découverte » dans notre magazine. Et cette année, elle a participé en tant que soliste au disque Des Canyons aux Étoiles de Messiaen,récompensé d’un Millésime 2022. Rencontre avec une percussionniste que rien ne semble arrêter !

Ces derniers mois, vous vous êtes produite dans toute la France et au-delà. Quel bilan pouvez-vous tirer de ces nombreuses représentations ?

En effet, l’été a été plutôt chargé ! J’ai eu la chance de me produire en soliste dans de nombreux concerts ainsi qu’avec le Trio Xenakis, à l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur. Voyager d’un bout à l’autre de la France et même dépasser ses frontières afin d’y donner des concerts à un rythme assez effréné, c’est quelque chose de très grisant. J’ai pu développer de très beaux projets et tout s’est très bien déroulé.

Je suis très contente de remarquer que les percussionnistes sont de plus en plus demandés lors de concerts de musique classique ou de festivals. On rentre enfin “officiellement” dans le monde de la musique classique, au même niveau que les violonistes ou les pianistes.

Parallèlement, vous avez aussi développé d’autres projets tel qu’une sortie digitale d’une transcription au marimba de la Chaconne de Bach/Busoni. Pourquoi avoir choisi cette partition dans cette transcription ? Qu’est-ce que le marimba lui apporte ?

La Chaconne de Bach est une œuvre qui a été très souvent arrangée par d'autres compositeurs, comme Busoni bien sûr, mais aussi Brahms ou encore Schumann. J’avais donc un choix assez large. Ce qui m’a poussée vers la transcription de Busoni, ce sont les développements qu’il a apportés à l’harmonie. Celle-ci est plus massive que l’originale, et se prête très bien à une interprétation au marimba.

Pour moi, le marimba apporte une autre écoute à cette Chaconne. En effet, la transcription de Busoni, destinée au piano, est plus verticale lorsqu’elle est interprétée au marimba à cause de l’absence de pédale sur l’instrument. Cette œuvre dans sa version originale pour violon de JS Bach est d’ailleurs très célèbre dans le répertoire pour marimba et est souvent jouée.

Nous avons aussi pu apprécier la sortie du disque  Des Canyons aux Étoiles consacré à l'œuvre éponyme de Messiaen. Que représente cette pièce pour vous ?

Des Canyons aux Étoiles est pour moi une pièce incontournable du répertoire du XXe. Cette œuvre magistrale d’une heure et demie construit une atmosphère très particulière et très imposante. Elle est aussi importante pour les percussions. Messiaen a toujours accordé une attention particulière aux percussions, et cela se ressent beaucoup dans cette œuvre. Tout d’abord avec la présence des deux solistes, l’un au xylorimba et l’autre au glockenspiel, mais surtout par le rôle qui leur est attribué dans la construction de l’ambiance générale.

Pierre Bartholomée  au Namur Concert Hall

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Pierre Bartholomée, légende de la création et de la vie musicale en Belgique, est à l’honneur  au Namur Concert Hall.  Son Requiem et sa nouvelle composition OUR(UR) seront interprétés par le Chœur de Chambre de Namur.  Alex Quitin et Thimothée Grandjean, reporters de l’IMEP  rencontrent Pierre Bartholomée en prélude à ce concert commémoratif, l’un des évènements du mois.  

En 2019, vous avez composé un Requiem, pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette œuvre ?

C'est en 2006 que j'ai composé ce Requiem, à la demande de Guy Janssens, pour l'ensemble Laudantes. La création a eu lieu au Conservatoire de Bruxelles en 2007 et ce premier concert a été immédiatement suivi de deux autres, l'un à la Collégiale de Nivelles, l'autre dans une très jolie église dont je ne retrouve pas le nom mais qui se situe à Sint-Truiden. Ce troisième concert a été enregistré pour le label Cyprès qui l'a publié pour clôturer la série que Guy Janssens et le Laudantes consort ont consacrée à l'histoire du Requiem, de Ockeghem à nos jours. 

Mon Requiem est une œuvre de relativement grande dimension. Il est construit en 7 parties -Prélude, Kyrie, Dies Irae, Urupfu, Sanctus, Agnus Dei, Épilogue. Il y a trois langues : le latin, le français et le rwandais. La partie centrale, Urupfu (la Mort), se réfère aux événements tragiques du Rwanda, en 1994. Elle fait appel à un poème original de Charles Karemano, écrivain rwandais, et elle contient des extraits d'une lettre, écrite en français, par une très jeune Rwandaise au destin tragique. J'y ai aussi introduit un Hostias et un Libera nos. L'Épilogue se conclut sur un vers du poète belge Henry Bauchau avec qui j'ai eu le privilège de travailler pour mes deux premiers opéras, OEdipe sur la route et La Lumière Antigone

La structure de votre Requiem diffère de celle qu’on peut apercevoir chez Verdi ou Mozart par exemple. Vous êtes vous inspiré d’un modèle particulier pour composer votre propre Requiem ?

Tout en respectant les termes de la commande qui m'avait été faite, j'ai voulu que cette oeuvre soit une sorte d'interrogation du requiem par lui-même. On y retrouve des éléments importants de la tradition liturgique romaine mais la mise en perspective avec le drame rwandais y introduit une dimension forcément particulière qui, conjuguée à l'interrogation qui m'habite depuis de longues années sur l'évolution et le destin de la musique d'inspiration religieuse, le situe probablement en marge des principaux modèles connus. 

À l'occasion d’une collaboration avec le Chœur de Chambre de Namur, vous avez composé une œuvre complémentaire à ce Requiem, OUR(UR). Pouvez-vous nous expliquer le lien entre les deux pièces ?

Je pense que le seul lien entre ces deux pièces est que c'est moi qui en suis l'auteur. Encore que l'on ne sache jamais vraiment ce qui nous pousse à écrire ou composer telle chose plutôt que telle autre. 

 

Claire Bodin et Jérôme Gay, à propos du Festival et du label  Présence Compositrices

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Alors que le Festival “Présences Compositrices” prend ses quartiers à Toulon, jusqu’au 22 novembre, Présence Compositrices se décline désormais en label dont la première parution est dédiée à des œuvres de Marie Jaëll par Célia Oneto Bensaid. Cette série d’évènements et cette sortie discographique sont une occasion d’échanger avec  Claire Bodin, directrice Centre Présence Compositrices et Jérôme Gay, directeur label Présence Compositrices.

Qu’est-ce qui vous a poussé à initier ce label Présences compositrices ? 

Claire Bodin :  la création de ce label, dont j’ai souhaité confier la direction à Jérôme Gay, est une suite logique aux actions que je mène en faveur des compositrices depuis 2006 et particulièrement depuis la création de notre festival en 2011.  Il a fallu tout ce temps pour y arriver, mais en réalité il faisait partie du projet global dont je rêvais depuis bien longtemps ! 

Depuis 2011 j’ai eu de très nombreuses demandes d’artistes qui se désespéraient de découvrir et monter spécialement pour le festival de très belles œuvres qu’il ne leur était quasiment jamais donné de rejouer, faute d’intérêt des programmateurs et programmatrices pour ce pan de l’histoire de la musique. Très souvent, elles me demandaient si nous ne pourrions pas les aider à enregistrer. Pendant des années, la mort dans l’âme, j’ai dû leur répondre que nous n’en avions pas les moyens…mais que peut-être un jour…

Les choses ont (un peu) changé du côté de celles et ceux qui programment et l’existence du label va contribuer à les faire avancer car les œuvres pourront être écoutées, ce qui est rassurant quand on doute de leur intérêt et qualité. 

Enregistrer va aussi créer une « histoire » des belles œuvres des compositrices qui, pour certaines, ont été parfois déjà enregistrées, mais quelquefois pas dans de bonnes conditions. Comme pour les compositeurs, avoir plusieurs versions d’une même œuvre est toujours intéressant. Jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, beaucoup des enregistrements existants émanaient de maisons de disques étrangères ; nous sommes heureux de promouvoir un label français sur ce sujet qui a été si longtemps ignoré par le secteur de la musique classique dans notre pays. 

Pour ce qui est des œuvres inédites, comme ce sera le cas par exemple pour notre deuxième disque, cela va élargir encore plus les horizons ; il y a une matière très riche à découvrir, ce n’est que le début !  

Jérôme Gay  : Ce label est lié à la grande expertise du Centre Présence Compositrices. Certaines œuvres que nous souhaitons enregistrer ont été jouées en concert lors du festival. D’autres n’ont pas encore été jouées. Et c’est toujours la qualité des œuvres qui nous donne envie de les enregistrer. 

Nous avons des centaines d’œuvres devant nous à enregistrer. Le retard est encore énorme, et il reste beaucoup de travail, car on a défriché un tout petit pourcentage de ce qui existe. 

Clare Hammond : à propos d’Hélène de Montgeroult

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La pianiste Clara Hammond construit une discographie exigeante et passionnante. Après un album consacré au thème des Variations à travers le regard d'une sélection de compositeurs du XXe siècle, elle nous propose un album intégralement dévolu à des partitions de la compositrice Hélène de Montgeroult.

Votre nouvel album est consacré à 29 Études de la compositrice Hélène de Montgeroult. Qu’est-ce qui vous a orienté vers les œuvres de cette musicienne ? 

En 2019, alors que je me produisais en France, j’ai été présentée au musicologue Jérôme Dorival. Il a consacré sa vie à faire revivre la musique d’Hélène de Montgeroult et il m’a montré certaines de ses partitions. J’ai été immédiatement frappée par la grande qualité de cette musique et par la vision de cette compositrice. Son style a des décennies d’avance sur son temps ; elle semble beaucoup plus proche, dans l’esprit, de la musique de Mendelssohn et de Schumann que de ses contemporains. Jérôme l’a décrite comme le « chaînon manquant entre Mozart et Chopin » - je suis entièrement d’accord ! Sa musique jette une toute nouvelle perspective sur la transition du classique au romantique en musique.

Qu’est-ce qui fait les particularités stylistiques et musicales à ces 29 Études tirées du Cours complet pour l’enseignement du forte-piano ?  

Montgeroult répond à une multitude d’influences dans ses études, ne serait-ce que Haendel et Jean-Sébastien Bach. Son langage harmonique et les textures qu’elle utilise sont étonnamment avancés pour l’époque. En particulier, elle souligne l’importance de créer une ligne cantabile au clavier, à une époque où ce n’était pas une préoccupation centrale pour d’autres compositeurs.

De nombreuses études semblent présager des Romances sans paroles de Mendelssohn, des œuvres de Schubert, Schumann et de Brahms, ainsi que des Études et des Nocturnes de Chopin. Nous n’avons aucune preuve concrète que ces compositeurs connaissaient son œuvre. Pourtant, ces pièces forment un lien si naturel entre leur style et celui des générations précédentes qu’il est difficile de croire qu’ils l’ignoraient complètement.

Est-ce que ces œuvres ont eu une influence sur l’écriture pour le clavier ? Dans le texte du booklet, que vous signez, vous énoncez que ces œuvres de Hélène de Montgeroult ouvrent sur Mendelssohn, Brahms et Reger. 

Nous voyons de fortes similitudes stylistiques dans les études de Montgeroult avec la musique de ces compositeurs, mais il n’y a pas de lien historique direct. Fanny et Félix Mendelssohn ont étudié avec une disciple de Montgeroult à Paris, la pianiste Marie Bigot, et l’on sait que Félix a rencontré Montgeroult en personne en 1825. Pourtant, comme il ne mentionne pas son œuvre dans sa correspondance, on ne peut pas être sûr qu’il connaissait sa musique. Il y a des indices selon lesquels Friedrich Wieck, le père de Clara Schumann, aurait utilisé ses études dans son enseignement. Il est donc possible que les Schumann aient connu sa musique ; mais, encore une fois, nous n’avons aucune preuve.

Olivier Vernet se confie sur son récent enregistrement des « douze pièces » pour orgue de César Franck

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À l’occasion de l’anniversaire César Franck paraissent une série d’enregistrements consacrés à son œuvre d’orgue et dont nos colonnes se feront très prochainement l’écho : parallèlement à un album chez Musique en Wallonie (Joris Verdin, Cindy Castillo, Bart Verheyen), la discographie vient d’être abondée par Michel Bouvard (La Dolce Volta),  Jean-Luc Thellin (BY Classique), et Olivier Vernet (Ligia) sur le prestigieux Cavaillé-Coll de Caen. Après plus de trente ans à pratiquer et approfondir ces douze pièces emblématiques, le titulaire du Grand Orgue de la Cathédrale de Monaco a bien voulu répondre à nos questions.

Après le Cavaillé-Coll de Saint-François-de-Sales pour sa première intégrale des « Douze Pièces » chez Erato, Marie-Claire Alain retint pour sa seconde celui de l’Abbaye aux Hommes de Caen, quelques années avant la rénovation achevée en 1999. En 2002, Susan Landale sélectionna également ce site pour y enregistrer une partie de son intégrale chez Calliope (Grande Pièce Symphonique, Final, Trois Chorals). Le choix d’un orgue est affaire de compromis, selon son esthétique sonore, ses possibilités à la console, son état de conservation… Pour aborder Franck, quels sont les atouts et les contraintes de ce prestigieux Cavaillé-Coll normand ? Y-a-t-il des jeux ou combinaisons qui vous séduisent à cette tribune ? Au-delà de la cohérence, un seul instrument peut-il dominer tous les enjeux fixés par ces pièces ? Laquelle sonne le mieux à Caen ?

Lorsque l’on évoque l’œuvre d’orgue de César Franck, on pense bien sûr à l’orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde à Paris. Un instrument qu’il aimait beaucoup et qui a incontestablement été le vecteur idéal de sa pensée musicale. Ses caractéristiques techniques le rendaient unique avec la composition des claviers de grand-orgue et de positif similaire, complétés d’un récit lointain, mystérieux et intensément expressif. Les témoignages d’époque que nous en avons sont unanimes à dire que c’était un chef-d’œuvre d’équilibre et de poésie. Cet orgue a été profondément remanié au XXe siècle sous l’influence de Charles Tournemire et de Jean Langlais puis par leurs successeurs. Si son esthétique sonore d’aujourd’hui est très modifiée, il n’en reste pas moins l’un des plus beaux instruments de la capitale. Il nous est donc impossible d’affirmer que l’orgue actuel de Sainte-Clotilde est l’orgue idoine pour Franck. Puisqu’il m’a fallu chercher une solution ailleurs, mon choix s’est porté sur le grand Cavaillé-Coll de l’Abbaye aux Hommes de Caen. Je connaissais l’instrument pour y avoir enregistré il y a quelques temps un disque Widor. Marcel Dupré, qui l’a souvent joué, le qualifiait "d’orgue à la Guillaume le Conquérant". L’intérieur de l’Abbatiale est un prodige de l’architecture romane normande et son chœur gothique abrite le tombeau de Guillaume depuis 1087. L’orgue construit en 1885 possède 50 jeux sur trois claviers et un pédalier. La palette sonore est d’une richesse inouïe ;  la profondeur, le raffinement et la poésie des différents registres font de cet orgue un chef-d’œuvre absolu. Tout y est renversant, du petit bourdon solo au tutti éclatant, en passant par les flûtes harmoniques, le grand fond d’orgue, les anches solistes… J’ai joué beaucoup de grands Cavaillé-Coll. Tous sont d’une grande beauté ; je pense en particulier à Saint-Sernin à Toulouse, mais aussi Rouen, Lyon, ou encore les Cavaillé-Coll du pays basque espagnol. Loin de moi l’idée d’un faire un classement, mais je vous assure que les sensations aux claviers de Caen sont inégalables et vous marquent à vie !

Alors, certes, nous sommes loin des particularités de l’orgue de Sainte-Clotilde. C’est un orgue « viril », puissant, avec un récit très présent et dont le maniement de la boite expressive est difficile. Mais la musique de Franck y sonne admirablement bien pour peu qu’on prenne soin de la registrer avec art. Les Trois Chorals sonnent incontestablement d’une manière noble et majestueuse dans toute leur dimension.

On connait la boutade « mieux vaut avoir l’âge de ses artères que l’âge de César Franck ». Les Chorals datent de l’année de sa mort, mais il n’avait pas quarante ans lorsqu’il écrivit la Fantaisie ou la Prière. À supposer que ces opus drainent la réputation d’une musique austère, dogmatique, sempiternelle, quels conseils d’écoute donneriez-vous aux mélomanes qui veulent la découvrir sans préjugé ? Un cheminement privilégié dans ces deux heures et demie, une disposition ou une préparation d’écoute particulières ? Comment sensibiliser l'auditeur à un tel parcours ?

La musique d’orgue de Franck n’a pas grand-chose à voir avec celle de ses contemporains. Mis à part certains aspects du Final qui affiche quelques accents du dédicataire de la pièce, Lefébure-Wély, vous ne trouverez pas d’expression de joie éclatante, d’effets faciles, ou d’expression de virtuosité pure. Autant dans les œuvres de la première période que dans les pièces tardives, Franck s’attache nourrir son langage d’harmonies riches, puissantes ; son discours musical est toujours d’une extrême fluidité, teinté de retenue. Pas de déferlement de notes ou de tutti intempestifs. Techniquement parlant, nous sommes loin des difficultés que l’on trouve dans ses œuvres de piano ou de musique de chambre. Si les mécaniques de Cavaillé-Coll permettent un jeu souple et virtuose que Vierne et Widor requerront dans leurs Symphonies par exemple, Franck ne lance pas de défis techniques aux organistes. Il n’en reste pas moins que bon nombre de ses œuvres demandent concentration, inspiration et endurance, comme la Grande Pièce Symphonique, la Prière ou les Trois Chorals.

Je ne pense pas qu’il faille se lancer dans l’écoute intégrale et d’affilée des 12 pièces pour orgue. Il faut plutôt se promener dans le corpus à son rythme et à sa convenance. Les Trois pièces du Trocadéro sont puissantes et faciles d’accès. Puis les Six pièces en commençant par Prélude, fugue et variation. Les Trois Chorals sont peut-être à écouter en dernier, comme la lecture d’un testament.

Quelle est la place de la maturité interprétative pour jouer cet ensemble ? Vous incluez ces pièces en concert depuis une trentaine d’années. Hormis la célébration du bicentenaire du compositeur, y-a-t-il d’autres facteurs qui vous ont décidé à lui faire enfin rejoindre votre discographie par la grande porte ?

Cette musique m’a demandé beaucoup de temps pour l’assimiler, musicalement parlant. Plus que pour certains répertoires, il faut aller bien au-delà des notes pour restituer la « substantifique moelle » de cette œuvre qui ne se livre pas facilement au premier abord. Je pense en particulier à la Prière que j’ai redoutée très longtemps. La conduite de la pensée musicale dans les Chorals est souvent mise à l’épreuve, et il faut avoir une grande hauteur de vue pour ne pas se perdre dans des détails qui pourraient briser le rythme et l’unité de l’œuvre.

L’âge aidant, je joue effectivement cette musique depuis très longtemps en concert. Bien entendu les Trois Chorals, les Trois pièces du Trocadéro, et plus épisodiquement les Six pièces. Je souhaitais depuis longtemps enregistrer tout ce répertoire que j’aime tant, mais je ne m’étais pas fixé d’échéance. Je me heurtais surtout au choix de l’instrument idéal et n’arrivais pas à me décider : Toulouse, Rouen, Bécon, Epernay, ou les Cavaillé-Coll du pays basque espagnol ?

Julien Chauvin, Mozart évidemment 

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L'infatigable et dynamique Julien Chauvin est l’un des artistes qui dynamite l’univers de la musique classique. Avec son Concert de loge, il fait paraître chez Alpha un album consacré à Mozart pour lequel il est rejoint par rien moins que le légendaire Andreas Staier. Julien Chauvin répond aux questions de Crescendo Magazine 

Vous faites paraître le volume n°2 d’un projet nommé “Simply Mozart”. Pourquoi ce titre à la fois évident et énigmatique ? 

La musique de Mozart, sur le papier et à l’écoute, semble simple, facile d’accès et intuitive, alors que parfois, il a eu de grandes difficultés à écrire certaines œuvres. Cette apparente simplicité est liée au fait qu’après une longue série de disques consacrés à Joseph Haydn, nous souhaitions aborder « simplement » la musique de Mozart sous les micros...

Ce programme comporte une ouverture, un concerto et une symphonie. Pourquoi le choix de ces trois œuvres ? 

Dans la continuité de cette apparente simplicité, l’envie était de donner un programme complet, et qui abordait 3 genres que Mozart a abordés sans relâche toute sa vie : l’opéra, la symphonie et le concerto. Ainsi, on perçoit mieux comment Mozart organise le discours, à quel instrument il confie les différents « affects », et comment il sculpte les sonorités particulières des instruments à cordes et à vents.

Vous dirigez la Symphonie n°40 de Mozart, tube des tubes du compositeur, mais également l’une des œuvres dont l’interprétation est marquée par tant de légendaires versions. Comment se prépare-t-on à un enregistrement ? 

En oubliant les légendes justement. Je n'écoute jamais les versions existantes des oeuvres que j’enregistre, et je serais bien incapable de dire quelles sont celles qui sont légendaires pour cette oeuvre… La préparation, c’est une balance entre ce qu’on souhaite transmettre quand on lit le matériau musical, à la table, et ce qui ressort du cœur des musiciens au moment des répétitions. Je pense qu’il est très important de laisser une part d’improvisation et de flou quant à certains choix musicaux. Car finalement, tout va s’imbriquer au moment des répétitions, et de multiples paramètres peuvent jouer : la texture instrumentale, les nuances, le tempo, le rubato de certains musiciens, et bien sûr le timbre très particulier des instruments anciens...

Max Volbers, virtuose de la flûte à bec 

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Le jeune flûtiste Max Volbers est le récipiendaire du  prestigieux Deutscher Musikwettbewerb 2021. Dans le cadre de l’accompagnement exemplaire que cette institution met en place pour les jeunes artistes, il fait paraître un disque “feu d’artifice” qui explore toutes les potentialités de cet instrument. Il répond aux questions de Crescendo-Magazine. 

Vous êtes le lauréat du Deutscher Musikwettbewerb 2021. Que représente ce prix pour vous ? 

 En fait, beaucoup de choses : nous parlons depuis Frans Brüggen -c'est-à-dire depuis longtemps- du fait que la flûte à bec est "arrivée" dans la vie des concerts, qu'elle est prise au sérieux, qu'elle est bien plus qu'un instrument pour les enfants. Le fait que nous devons toujours répéter cela comme un moulin à prières, même après d'innombrables concerts, enregistrements de CD, apparitions à la télévision de nombreux joueurs exceptionnels de différentes générations, montre que nous avons encore un bon bout de chemin à parcourir. À cet égard, c'est un peu comme si la flûte à bec avait également remporté ce concours. En effet, la particularité du concours est qu'à partir de la 3e épreuve, tous les jurys spécialisés se réunissent pour former un grand jury. Vous jouez donc la finale devant 30 jurés qui viennent tous de directions musicales et d'instruments très différents. J'ai donc pu convaincre des musiciens très différents avec mon instrument et son répertoire, dont la plupart ne connaissaient pas la flûte à bec. Et c'est vraiment un sentiment très agréable. 

Ce qui est génial avec ce prix, c'est qu'il est lié à un si bon suivi, on est supervisé et soutenu intensivement pendant plusieurs années et, enfin, l'enregistrement du CD fait également partie du prix.

 Il s'agit de votre premier enregistrement. Comment avez-vous conçu le programme et choisi les œuvres ? 

 Au début, on s'assoit vraiment devant une feuille blanche et on commence à rassembler des idées. J'ai su assez rapidement que je voulais me concentrer sur les différents processus d'arrangement et explorer de nouvelles œuvres sur mon premier CD. Une fois que cela a été clair, j'ai tout de suite su quelle pièce je voulais absolument enregistrer, à savoir le Concerto Pasticcio de Bach que j'avais joué pour la première fois lors de mon récital de fin d’études. J'ai réfléchi aux différents chemins vers le nouveau répertoire que je voulais emprunter, qui étaient les suivants : Pasticcio (comme je l'ai dit, je le savais déjà), la paraphrase, la variation, la diminution (une technique d'ornementation particulière qui a connu son essor au 17e siècle), le remaniement pour un autre instrument, la commande d'une nouvelle pièce. J'ai dressé une longue liste de morceaux qui, selon moi, pourraient convenir, et qui sont finalement devenus les neuf morceaux que nous avons enregistrés ensemble. J'ai estimé qu'il était important de donner également un exemple de transcription réelle du XVIIIe siècle, à savoir la Suite de Charles Dieupart. Il a écrit à l'origine les Six suites pour clavecin, mais elles ont également été publiées à la même époque (probablement pour des raisons commerciales et peut-être à l'insu et sans le consentement de Dieupart) pour flûte à bec et/ou violon et basse continue. La musique de Dieupart, soit dit en passant, a grandement influencé Jean-Sébastien Bach ; nous savons qu'il a copié les suites et en a incorporé une partie dans ses Suites anglaises. Au final, j'avais une grande liste de pièces qui aurait pu être enregistrée sur quatre ou cinq CD - beaucoup trop de musique. Il a été assez difficile d'en faire une sélection finale. Il était important pour moi que, malgré toutes les différences stylistiques entre les pièces, le résultat soit un programme qui semble logique. Presque comme une histoire qui serait cohérente en elle-même. 

Jean-Louis Beaumadier et la flûte piccolo 

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Éminent représentant de la flûte, Jean-Louis Beaumadier est un virtuose du piccolo. Avec cet instrument, il a parcouru le monde, jouant sous la direction des plus grands chefs tout en contribuant salutairement à faire connaître le répertoire pour son instrument. Alors qu’il fait paraître chez Calliope un album intitulé “Viva Piccolo”, il répond à nos questions   

Vous êtes connu pour votre action pour faire connaître la flûte piccolo. Qu’est-ce qui vous a attiré vers cet instrument ? 

Lorsque j'étais jeune, mes grands-parents ont acheté pour moi  une flûte en argent d'occasion à la veuve d'un flûtiste, et en prime cette dame a ajouté un vieux piccolo  ! C’était un instrument en ébène de la marque française  Bonneville. Cet instrument en bois, avait un son merveilleux et j'avais grand plaisir à y jouer les classiques de la flûte, Bach, Telemann ,Mozart, notamment grâce au magnifique registre grave qu'il avait !

Je suis entré à l'Orchestre National de France avec cet instrument, mais j'ai dû rapidement en changer à cause de la justesse de l'orchestre auquel il n'était pas adapté. J'ai pris alors un instrument de la marque américaine Haynes. Ces productions sont directement inspirées par l'ancienne facture française, et j'ai tenté de retrouver le son d'origine de mon premier piccolo, en quelque sorte un son bio ...

 S’il existe une école française de la flûte mondialement réputée, qu’est est-il d’une école française de la flûte piccolo ?  Quelles en seraient les caractéristiques ? 

De nos jours, avec les échanges internationaux, les concours, les Master-classes, les  styles de jeu ont tendance à se standardiser. Cependant, la caractéristique de l'école française demeure la clarté de l'articulation ! Et d'après moi, il en est de même pour le piccolo.

 Votre nouvel album se nomme “Viva Piccolo”. Il semble être une vitrine musicale de toutes les potentialités de la flûte piccolo. Comment l’avez-vous conçu ? Comment avez-vous choisi les œuvres proposées ? 

Cette question nous ramène directement au duo que je forme avec Véronique Poltz. En effet, les choix sont collectifs puisque Véronique a arrangé personnellement plusieurs pièces de l’album. Ces choix sont éminemment musicaux : ce récital dans  sa version concert commence par les classiques, se poursuit par la musique française et se termine par des pièces plus romantiques. Mais nous avons dû nous adapter pour le disque  en commençant  par les romantiques. Nous avons souhaité enregistrer un album qui nous ressemble : à la portée du plus grand nombre, mais riche de puissantes pièces musicales souvent très  émouvantes. Dans la période troublée du monde contemporain, nous souhaitons  offrir un  baume musical divertissant et doux.