Cav oui, Pag non

par

Cavalleria Rusticana
(Mascagni)
Pagliacci
(Leoncavallo)

Les deux emblèmes de la "Giovane Scuola", parus en 1890 et en 1892, ont immédiatement conquis le public, et sont devenus, pour toujours, les symboles du naturalisme italien : le vérisme. Leur succès se comprend tout à fait, leur couplage aussi. Même si les langages sont un peu différents (Mascagni plus mélodique, Leoncavallo plus violent), ils sont bien proches, tant par le sujet que par l'expression musicale. C'est surtout la personnalisation des caractères de ces personnages issus du peuple, et l'intensité de leurs sentiments - à fleur de peau, peut-être - qui assurent l'immortalité au diptyque sicilien. En coproduction avec le Royal Opera House Covent Garden, qui l'avait créé en décembre 2015, La Monnaie vient de le reprendre, après 15 ans d'absence, avec une belle distribution, sous la direction experte d'Evelino Pido, et avec une mise en scène de Damiano Michieletto. Celui-ci avait enchanté le public belge dans un pétillant Elixir d'amour au Cirque Royal, en septembre 2015. Le miracle ne s'est pas trop reproduit.  Comme José Cura à l'Opéra Royal de Wallonie,  le metteur en scène italien a eu l'idée de mélanger les deux opéras, mais il va beaucoup moins loin : la fusion n'est qu'anecdotique, et s'oublie au lieu de rester gravée dans la mémoire. L'intégralité du spectacle s'articule autour d'une scène tournante, représentant la place du village, une cuisine, une boulangerie, un dressing, ou une scène de théâtre. Tout cela tourne souvent trop vite, sans grand effet. Au niveau visuel sont à retenir la procession pascale de Cavalleria, avec sa Vierge Marie clignotante et animée, fustigeant Santuzza la pécheresse, ou la jolie scène finale de Pagliacci, très XVIIIème siècle. La direction d'acteurs est soignée, et Santuzza, Alfio, Canio ou Nedda sont fort bien caractérisés. Mais l'auditeur est plus gâté que le spectateur. Eva-Maria Westbroek livre une magnifique incarnation de Santuzza, d'une belle puissance tout en restant très féminine. Et quelle projection ! Si le Turiddu de Teodor Ilincai, clair et sonore, était bienvenu, il faut souligner le dramatisme de Dimitri Platanias en Alfio, et surtout la Mamma Lucia d'Elena Zilio, actrice incomparable et chanteuse superbe. Interprètes complètement différents pour Pagliacci, moins spectaculaires sans doute, mais ne déméritant pas du tout. Scott Hendricks a bien inauguré en Tonio, par un Prologue didactique et précis. Le duo Nedda-Silvio a peut-être paru bien long, mais les voix d'Ainhoa Arteta et de Gabriele Nani l'ont sauvé de l'ennui. Le Canio de Carlo Ventre avait belle allure et son "Recitar ! - Vesti la giubba" a été rendu comme il le fallait, et, bien entendu, fort applaudi. Dans les deux opéras, les choeurs de La Monnaie, dirigés par Martino Faggiani, se sont distingués, ainsi que l'Académie des choeurs et choeurs d'enfants et de jeunes de la Monnaie, sous la direction de Benoît Giaux : tous, très bien en place, ont livré un travail formidable. La direction d'Evelino Pido, n'a pas particulièrement brillé par son raffinement, surtout chez Leoncavallo, et certaines scènes ont ainsi manqué d'intensité, comme le duo d'amour et la scène finale de Pagliacci. Mais les deux intermezzi, toujours attendus, ont ravi, bien sûr.
Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, le 6 mars 2018

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.