Charles E. Ives : Essais avant une sonate et autres textes

par
Ives

Charles Ives, un écolo avant l'heure ?
Enfin une nouvelle traduction complètement révisée des Essays before a Sonata de Charles Ives ; une première traduction avait été publiée par la même maison Contrechamps en 1986. Le texte anglais original était publié en 1920, en même temps que la partition, publiée à frais d'auteurs, de la deuxième sonate pour piano Concord, Mass., 1840-1900.
Cet important texte de 87 pages est structuré en six parties : un prologue et un long épilogue qui encadrent quatre chapitres sur les philosophes transcendantalistes Ralph Emerson (1803-1882), Hawthorne (1804-1864), les Alcotts, Amos Alcott (1799-1888) et sa fille, Louisa Alcott (1832-1888), l'auteur des quatre filles du Docteur March et David Thoreau (1817-1862); ce sont eux qui ont donné leur nom aux quatre mouvements de la sonate de Ives.
Concord est le nom du petit village du Massachussetts, à une vingtaine de miles de Boston, où vivaient ces philosophes.
On résume peut-être le mieux leur philosophie en citant Emerson : Notre époque regarde vers le passé. Elle bâtit le tombeau des ancêtres. Elle fait de l'histoire, de la critique, elle écrit des biographies. Les générations passées regardaient Dieu et la nature face à face; Nous à travers leurs yeux. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous aussi entretenir une relation originale avec l'univers ? Pourquoi n'aurions-nous pas une poésie et une philosophie puisées en nous-mêmes et non dans la tradition ? Dans cette logique, ils imaginaient une société de gens libéraux, intelligents et cultivés, dont les relations les uns avec les autres devaient permettre de mener une vie plus saine et plus simple que dans le cadre compétitif et contraignant de nos institutions. Initialement, ils prônaient un retour à la nature et au travail de la terre, par opposition à une vie urbaine marquée par une mécanisation aliénante et des relations de concurrence effrénée, comme l'ajoute Philippe Albèra dans son introduction.
Très proches de leur philosophie transcendantaliste, Ives considérait la musique comme un élément du langage spirituel de la nature dont l'homme est une partie intégrante. Par elle, l'humain devient divin. On comprend ainsi mieux ses compositions. En famille, Ives vivait dans une superposition de musiques de tonalités et de rythmes différents chantés dans les différentes pièces de sa maison. Dans sa ville natale de Danbury, il entendait plusieurs fanfares se rejoindre. Son imaginaire musical s'est développé ainsi dans une direction qui n'était pas celle des modèles traditionnels, ce qui mène à la modernité intrinsèque si particulière de son œuvre.
Par son mélange d'éléments philosophiques et musicologiques, le texte est difficile et exigeant, mais aussi éclairant et passionnant ! Ajoutons une intéressante synthèse de Philippe Albèra a en introduction et trois autres écrits de Ives (La musique et son futur, Quelques impressions en "quarts de ton" et des extraits de ses "Memos") et l'on a un ouvrage indispensable pour celui qui veut approfondir sa connaissance d'un compositeur majeur du début du XXème siècle et plus particulièrement d'un des chefs-d'œuvre de la musique américaine, cette fameuse Concord Sonata, si bien rendue par le pianiste canadien Marc-André Hamelin, l'américain Steven Mayer ou le russe Alexei Lubimov, parmi d'autres.
2016, Genève, Contrechamps éditions, 208 pages, 18 €
Traductions : Carlo Russi, Vincent Barras, Viviana Alberti, Dennis Collins et Sook Ji

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