Chorégies d’Orange : une spectaculaire résurrection

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© Phiippe Gromelle

« Mefistofele » d’Arrigo BoitoUn moment menacées de pure et simple disparition, les Chorégies d’Orange ont été heureusement sauvées et renaissent aujourd’hui en un « Mefistofele » que Jean-Louis Grinda, son metteur en scène, et Nathalie Stutzmann, la chef d’orchestre, portent à incandescence. La vénérable institution croulait sous les dettes, les subventions étaient menacées, les banques se montraient réticentes, le public lui-même se faisait hésitant : faillite et fermeture ? Beaucoup ne s’y sont pas résignés et tout a fini par s’arranger : les 149e Chorégies ont bel et bien lieu !Quelle émotion pour le spectateur quand il pénètre au cœur du théâtre antique construit au 1er siècle avant Jésus-Christ sous le règne d’Auguste. C’est un de ces lieux « où souffle l’esprit » ! Théâtralement, c’est aussi fabuleux que redoutable : un mur de scène d’une hauteur de 37 mètres, avec dans une niche centrale, une statue d’Auguste de presque 4 mètres. Un plateau d’une largeur de 61 mètres et d’une profondeur de 16 mètres. Des gradins en amphithéâtre pour plus de 8000 spectateurs.
Jean-Louis Grinda, qui en est aussi le directeur, désireux de sortir d’un certain « ronron » (on prend les mêmes et on recommence), y a programmé le « Mefistofele » d’Arrigo Boito. Celui-ci est surtout connu pour ses livrets d’« Otello » et de « Falstaff », les deux derniers opéras de Verdi. La composition de « Mefistofele » lui a valu pas mal de moments difficiles. Il rêvait d’une « œuvre d’art totale » à la Wagner. Un rêve vain ! A sa création à Milan (1868), l’opéra est trop long (presque six heures), déséquilibré dans son récit et sa partition, mal dirigé (par lui-même). L’échec est retentissant. Boito retravaille l’œuvre encore et encore, de version révisée (1875) en version définitive (1881), enfin convaincante à ses yeux et à ceux du public. Un autre problème, pour les spectateurs d’aujourd’hui, est la concurrence du « Faust » de Gounod et de « La Damnation de Faust » de Berlioz.
Jean-Louis Grinda a gagné son pari : « Mefistofele » a été ovationné ! Metteur en scène, il n’a pas lésiné sur les effectifs, additionnant les chœurs des Opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Nice, et le Chœur d’enfants de l’Académie de Musique Rainier III de Monaco. Sans oublier évidemment l’Orchestre Philharmonique de Radio France en grande formation.
Mais on le sait, la masse ne fait pas nécessairement l’effet. Cette fois oui ! Jean-Louis Grinda s’est emparé des lieux, habitant le plateau et le mur de scène. La représentation est une splendeur visuelle grâce aux multiples costumes des choristes et figurants (bataillon d’anges, défilé carnavalesque, échassiers). 600 costumes, qui ont exigé la présence de 31 habilleuses, maquilleuses et perruquières. Mais de nouveau, rétorquera-t-on, l’agitation colorée ne garantit pas l’animation d’une œuvre. Qu’on se rassure : rien de gratuit dans ce déferlement. Les tableaux successifs correspondent aux atmosphères du livret, les amplifient à la juste proportion disproportionnée des lieux. Les chœurs, dans leurs surgissements et leurs chants, sont une des raisons du succès de l’entreprise.
Mais l’essentiel évidemment vient des solistes qui, bien mis en place et dirigés, ont réussi à donner à vivre leurs péripéties existentielles dans l’intimité comme dans le déferlement, dans les tonalités vocales et scéniques de leurs personnages : Erwin Schrott-Mefistofele, Jean-François Borras-Faust et Béatrice Uria-Monzon-Marguerite et Hélène.
Celle qui a tenu tout cela sous une baguette aussi nuancée que précise, c’est Nathalie Stutzmann : consacrée comme contralto, elle s’impose comme chef d’orchestre. A Orange, la « résurrection » de Faust est aussi celle des Chorégies.
Stéphane Gilbart
Orange, le 9 juillet 2018

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