Claudio Abbado nous a quittés

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L'annonce ne manque pas d'endeuiller le monde musical qui, avec la disparition du Maestro perd un grand musicien, un grand humaniste, un grand chef d'orchestre, une personnalité qui, par son exemple, aura apporté sa pierre à la construction d'un monde meilleur. L'élégance de son geste, la noblesse de son art, l'esprit de compagnonnage qui l'a guidé tout au long de sa route resteront marqués dans l' esprit de chacun. Proche du parti communiste sans jamais en faire partie -une question de liberté de pensée- il portera la musique dans les usines et les prisons; sensible à l'idée du "passeur", il créera et dirigera, en 1978 déjà, l'Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne qui deviendra l'Orchestre de Chambre d'Europe; et puis, ce sera l'Orchestre des Jeunes Gustav Mahler (1985), un compositeur qui l'accompagnera toute sa vie. Et pourtant, c'est à l'écoute du 2e des Nocturnes de Debussy, Fêtes, à La Scala sous la direction d'Antonio Guarneri qu'il décide de son métier. Il a alors sept ans; son père est violoniste et sa mère pianiste. Il commence ses études au Conservatoire de Milan, suit les cours de Carlo Zchhi à Sienne et se rend ensuite à Vienne pour travailler avec Hans Swarowsky. Mais la pratique n'est-elle pas encore le meilleur enseignement? Il rejoint les choeurs de l'Orchestre Philharmonique de Vienne où il est dirigé par les plus grands : Hermann Scherchen, Josef Krips, Bruno Walter, Karl Böhm, Herbert von Karajan,... il y a pire ! Il a 25 ans lorsqu'il remporte le prestigieux Concours Koussevitzky à Tanglewood et travaille avec Leonard Bernstein. En 1967, il fait son entrée dans les grandes maisons Decca et Deutsche Grammophon. La carrière est lancée mais pour Abbado, son art restera un artisanat de chaque instant : il se protégera des feux médiatiques pour mieux vivre l'essence de son art auprès des plus grandes phalanges. De 1978 à 1986, il est chef principal du London Symphony Orchestra; de 1986 à 1991, directeur général de l'opéra de Vienne avec l'Orchestre Philharmonique de Vienne; en 1989, il est choisi à l'unanimité par les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Berlin pour succéder à Herbert von Karajan décédé la même année; en août 2003, il ressuscite l'Orchestre du Festival de Lucerne -fondé par Arturo Toscanini en 1938 et qui s'était éteint en 1993- sur la base du Mahler Chamber Orchestra, auquel il intégre des solistes prestigieux et des musiciens des meilleurs orchestres d'Europe. La devise : "Musiquer ensemble" aimait-il répéter. S'il dirigeait "le grand répertoire" et plus particulièrement Mahler dont il était un maître incontesté, Claudio Abbado fut aussi le défenseur de la musique de son temps : Nono, Rihm, Ligeti précédés par la Seconde Ecole de Vienne; il ne négligeait pas le regard vers le passé et éprouvait un profond respect pour les découvreurs de la musique ancienne. Plus récemment, il avait accepté la direction artistique de l'Orchestre Mozart de Bologne jouant sur instruments anciens et avec qui il venait d'enregistrer la 2e Symphonie et les Ouvertures "Manfred" et "Genoveva" de Schumann (Joker de Crescendo).
En 2000, on apprend que le Maestro est atteint d'un cancer à l'estomac. Le choc est immense lorsqu'il apparaît à la télévision dirigeant le Requiem de Verdi : il n'a plus que la peau sur les os. Mais la conviction est intense, on est submergé par l'émotion. En 2002, il quitte le Philharmonique de Berlin et laisse la place à Sir Simon Rattle. La musique mate la maladie et désormais, les apparitions du Maestro nous donnent à entendre une musique encore plus intense, au plus profond de l'intériorité. Abbado semble avoir réalisé son rêve. Son dernier concert, il l'a donné le 24 août dernier au Festival de Lucerne. Il dirigeait la Symphonie Inachevée de Schubert et la 9e de Bruckner. Depuis, on annonçait l'annulation de ses concerts "pour raison de santé". On semblait comprendre. Mais lorsque la nouvelle nous est parvenue ce matin, elle nous a fracassés. Maestro, vous nous manquez déjà. Terriblement.

© Fred Toulet / Salle Pleyel
© Fred Toulet / Salle Pleyel

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