Colloque “Henri Rabaud et son temps”

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La musique lyrique française en 1914
Dans le cadre de la production de Mârouf, savetier du Caire de Rabaud, l’Opéra-Comique organisait, selon son excellente habitude, un colloque étalé sur deux jours, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française, dans la si jolie salle Bizet du bâtiment de la place Boieldieu. Colloque qui rassembla une bonne cinquantaine de mélomanes passionnés.

A tout seigneur tout honneur, Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Palazzetto et ancien pensionnaire de la Villa Médicis, ouvrit les débats par une introduction consacrée au fameux Prix de Rome, habile digest du volume qu’il publia aux éditions Symétrie. Ecrire la fugue et le choeur liminaires, comment composer la cantate, la vie à la Villa, la composition des “envois de Rome” : le Routard du Prix de Rome. Le tout entrelardé de lectures de correspondances entre Rabaud et son camarade Max d’Ollone.
Claire Paolacci s’intéressa ensuite aux relations de répertoire entre l’Opéra de Paris et l’Opéra-Comique, mettant en évidence la figure de Jacques Rouché, directeur omniprésent, ou la timide ouverture au cinéma à laquelle Rabaud collabora avec Le Miracle des loups (dont on projeta un extrait) et Le Joueur d’échecs. La présence active dans l’assemblée de Michel Rabaud, petit-fils du compositeur, a rehaussé l’intérêt de la communication, l’enrichissant de ses commentaires précieux et authentiques. Succédant à Fauré, Henri Rabaud fut aussi directeur du Conservatoire de 1920 à 1941 : Marguerite Sablonnière nous l’évoqua dans un exposé fort intéressant concernant la discipline, les quotas d’élèves étrangers ou… de femmes, les relations avec la radio naissante ou celles avec les conservatoires voisins dont celui de Bruxelles. L’après-midi, Michel Rabaud nous parla du nationalisme et du folklore dans l’opéra français de l’époque, de Patrie! de Paladilhe et des opéras tardifs de Saint-Saëns jusqu’au Pelléas et Mélisande de Debussy ou Rolande et le mauvais garçon de son grand-père. Il insista sur sa très importante carrière de chef d’orchestre à l’Opéra de Paris et aussi à Boston. Gilles Saint-Arroman nous entretint d’une figure bien différente : Vincent d’Indy et son regard sur la musique lyrique de son époque. D’Indy critique, mais aussi compositeur d’opéras (L’Etranger vient d’être enregistré). Et pour terminer ce premier jour : l’opérette. Christophe Mirambeau nous parla de ce répertoire, alors encore proche de l’opéra-comique, mais qui allait bientôt succomber aux sirènes de la comédie musicale.
Le lendemain matin, Aurélien Poidevin examina le contexte économique de la politique culturelle des années 1920-30, avec la désaffection du public envers le répertoire traditionnel, établissant un intéressant parallèle avec la crise de notre XXIe siècle suite à l’actuelle dématérialisation de la musique. Il mit en évidence le Front populaire et son fameux ministre Jean Zay. Aussi pointue, Michaela Niccolai s’attarda sur la mise en scène en prenant comme exemple La Fille de Roland, opéra de Rabaud (1904). Photos, dessins de décors, gravures et esquisses du livret de scène, tout cela était passionnant, en prise directe avec l’époque. Nathalie Otto-Witwicki se concentrera, elle, sur la partition même de Mârouf, distribuant des photocopies de passages dénotant par exemple l’influence wagnérienne, ce qui n’apparaît pas trop à l’écoute. Tableaux au format excel bien réalisés, destinés à une étude approfondie à venir, mettant en parallèle, acte par acte, la scène, le motif musical, l’harmonie, le ressort dramatique et la durée. Elle mit en valeur la “science de la vitesse théâtrale” dont Rabaud fait preuve tout au long de son opéra, et qui justifie en grande partie son succès.
Enfin, Catherine Lorent s’est lancée dans k’audacieuse comparaison entre deux contemporains de Rabaud : Paul Dukas et Florent Schmitt. Encadré en arche par les fanfares de La Péri et du Camp de Pompée, son exposé brossa, au travers de l’oeuvre de ces deux musiciens, un panorama complet de la musique française en 1904, prenant pour exemple un concert du 23 avril où fut joué, sous la direction des auteurs, Istar de d’Indy, La Tragédie de Salomé de Schmitt, La Péri de Dukas, et Adélaïde de Ravel : quelle époque ! Tous deux restés célèbres par une seule oeuvre, Dukas le philosophe et Schmitt le polémiste représentent bien la richesse inouïe de ce temps.
Le colloque finit par deux interventions sur Reynaldo Hahn, dont Stephan Etcharry éclaira l’antique aura de Nausicaa et Philippe Blay la fièvre du Marchand de Venise, oeuvres anachroniques sans doute mais symboles des derniers feux d’une certaine tradition française.
Il reste à espérer que ces événements, colloques et représentations de Mârouf, contribueront à la redécouverte d’autres oeuvres de Rabaud, tels sa scène pour baryton et orchestre sur Job, ses musiques de film, l’opéra L’Appel de la mer (sur le même sujet que Riders to the Sea de Vaughan Williams) ou son quatuor à cordes.
Bruno Peeters
Paris, Opéra-Comique, salle Bizet, les 23 et 24 mai 2013.
Le prochain colloque se tiendra autour de la production de Lakmé de Delibes, les 16 et 17 janvier 2014

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