Concours Reine Elisabeth : début des demi-finales

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Après l'épreuve de présélection basée sur des enregistrements vidéos, les candidats ont proposé en première épreuve publique deux pièces au choix (airs d'opéra, d'oratorio, Lieder ou mélodies) de langue et d'époque différentes. Il leur est demandé maintenant de présenter au jury deux programmes de récital cohérents d'une vingtaine de minutes comprenant au maximum deux pièces du même compositeur. Chaque candidat interprète avec accompagnement de piano le récital choisi par le jury.

C'est à la mezzo-soprano allemande Vero Miller que revenait le difficile honneur d'ouvrir cette épreuve en présence de la Reine Mathilde qui assure le Haut Patronage du Concours et qui, pour l'occasion, était accompagnée de la Princesse Eléonore. La demi-finaliste confirme les qualités vocales qu'on lui connaît : large tessiture qu'elle gère habilement, parfaite maîtrise technique, remarquable diction tant en italien qu'en allemand et en anglais, style idoine tant dans Haendel que Schumann, Verdi, Leoncavallo et Menotti ; elle a fait choix d'un répertoire où elle peut donner libre cours au dramatisme et à la véhémence, davantage qu'à l'émotion et au clair-obscur.
Petite déception avec le baryton canadien Iain MacNeil si brillant en début de semaine. Dans Mozart (Figaro), le propos est incarné d'emblée, servi par un très beau timbre et une ductilité tant émotionnelle que vocale. Un peu limite dans l'aigu du Song of travel de Vaughan Williams, il traduit une belle concentration dans les Knaben Wunderhorn de Mahler qu'on aimerait entendre avec orchestre tant les timbres de la voix s'accordent à ceux de l'orchestre; pour Erlkönig de Schubert, il opte pour une vision tragique et s'y tient.
La basse chinoise Ao Li nous revient alors, confirmant sans peine les grandes qualités qui avaient soulevé l'enthousiasme du public et le nôtre. Ici, tout prend sens et se développe sur une puissance vocale et une gestique naturelles dans tous les registres émotionnels. Le Winterreise de Schubert est étonnant de poésie et son Philippe II est d'une noblesse qui s'impose d'évidence. Entretemps, on avait pu écouter un Tchaikovski ("Réconciliation") où il se joue de la langue et de la gravité et un Mozart (Bartolo) incarné et véloce. Un petit tour sur Google est édifiant quant à l'expérience de ce jeune artiste.
On gardera surtout le souvenir du baryton argentin German Enrique Alcantara pour la Romance à la lune de Miquel Ortega où toutes les nuances émotionnelles sont portées à leur aboutissement. Et l'ensemble du programme proposé est soigné, maîtrisé même si, dans Fauré (Les Berceaux) on souhaiterait le comprendre davantage et si dans Wagner (Wolfram) il affiche un legato et un romantisme inattendus.
La soprano coréenne Sooyeon Lee a gardé le sourire et le timbre de cristal évoqués plus tôt. Mais cela convient-il à tous les répertoires ? La réponse est dans la question. Haendel (Morgana dans Alcina) est très éthéré, Mahler et le Lied de Strauss souriants, Zaïde peine à maîtriser les aigus même si certains moments sont très touchants, mais quand elle rejoint Fiakermilli (Arabella), elle est dans son élément comme dans La Fille du Régiment des premières épreuves. Une belle voix très fruitée toutefois.
Manifestement plus à l'aise qu'en début de semaine, la baryton ukrainien Danylo Matviienko reste fidèle à ses options stylistiques servies par une voix intrinsèquement belle et d'une infinie richesse de nuances. Que ce soit dans Donizetti (Torquato), Glière (Romances), Medtner ou Sviridov, il traduit un grand pouvoir dramatique dans les différents registres. C'est avec Guglielmo (Cosi) qu'il surprend par une aisance inattendue dans ce registre plus désinvolte.

C'est la soprano espagnole Rocio Pérez qui ouvrait la soirée. Elle opte résolument pour la virtuosité. Mais pour Gilda, elle adopte un tempo prudent qui pourtant ne lui évite pas quelques délicatesses avec la justesse comme on l'avait relevé en début de semaine. La voix est claire et assurée dans Oscar du Bal masqué puis elle s'embarque dans le long et  périlleux air d'Ophélie (Hamlet d'Ambroise Thomas) où elle peine à maîtrise la structure élaborée de l'oeuvre qu'elle parsème de cris dont on ne saisit pas toujours le sens.
Le récital de la soprano coréenne Irina Jae-Eun Park est plus diversifié alliant une mélodie de Bachelet, Paminan de Mozart, un air de Fernando Obradors, un Lied de Viktor Ullman et Liù de Turandot. La voix puissante et corsée, la belle technique qui permet l'aisance dans les aigus et de belles intentions expressives sont autant d'atouts mais, comme précédemment, on regrette l'omniprésence d'un vibrato qui les entrave.
La soprano allemande Felicitas Frische offre à travers son programme un beau legato, un timbre rond et velouté et une impressionnante puissance vocale qui s'imposent d'emblée dans Oh! quand je dors de Liszt. Son Schubert, bien construit (Die Junge Nonne), est développé avec beaucoup de classe et de justes crescendi qui soutiennent bien son propos. La soprano colle au texte, ce qui se confirmera dans Strauss (September), Mozart (Comtesse) et Magda de La Rondine. Un des rares beaux aigus de la session.
Vient ensuite la soprano coréenne Soo Yeon Lim confirme les qualités de naturel et de brillance qu'elle a affichées précédemment. La voix est au service du texte, ce qui n'est pas négligeable. Tant dans Chausson (La Cigale) que dans Strauss (Zerbinetta) et Mozart (Suzanna), elle développe une aisance et une grande palette d'émotions qui peuvent s'appuyer sur sa voix ronde et son talent de comédienne qui s'engagent sans souci et sans peur dans de périlleuses vocalises.
La mezzo française Eva Zaïcik récemment "Victoire de la Musique classique" et familières des répertoires défendus par les Rousset, Christie et Versailles, montre ici son talent dans un registre bien différent : Debussy (La Chevelure), Vivaldi (Zanaida d'Argippo), Tchaikovski (Pauline de La Dame de Pique), Mahler (Kindertotenlieder), Gounod (Siébel de Faust), Berio (Folk Songs). Tout au long de sa prestation, elle donnera à goûter à travers tous les styles une diction soignée, une présence naturelle avec une voix agile, fluide et bien gérée, une belle intelligence du phrasé, un juste vibrato sans gestique inutile. Sourire et simplicité.
Pour clôturer cette première journée, on retrouve le contre-ténor coréen Sunghoon Choi dans les Fêtes Galantes de Debussy où il crée une belle atmosphère, habitant les mots. Am Bach im Frühling de Schubert est rond, sensible, intelligent. Le contre-ténor n'a peut-être pas encore la carrure d'un Jules César (Haendel) proposé tout en finesse là où l'on souhaiterait davantage d'assertivité. Ici encore, dans le baroque, le piano prend un peu trop de place.
Bernadette Beyne et Michelle Debra
Bruxelles, Flagey, Studio 4, le 4 mai 2018  

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