Concours Reine Elisabeth : quatre profils passionnants!

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Coup d’envoi de la demi-finale ce dimanche, à Flagey toujours. 24 candidats retenus pour cette seconde épreuve répartie sur trois journées. Chaque candidat interprète un programme de 25 minutes choisi par le jury parmi les deux proposés.
En cette première soirée, un seul véritable coup de cœur avec Hyesang Park qui nous avait déjà impressionné mercredi soir. Même si elle semble retomber dans un style académique, quelques partitions méritent notre entière satisfaction. Elle commence par une lecture trop opératique de Music for a while de Purcell. Technique et anglais excellents, vibrato pur, belles dynamiques et des pianissimi exceptionnels. Elle change de style dans Ich trage meine Minne de Richard Strauss où l’on apprécie tant son allemand que la structure générale aboutie. De très beaux aigus contrôlés avec une facilité évidente. Plus introvertie, elle offre une lecture aboutie de Ne poy, krasavitsa, pri mne de Rachmaninov. Ici encore, la prononciation est excellente mais, surtout, quel timbre ! Avec des petits de danse, elle se lance dans une partition plus exotique de Fernando Obradors (Chiquitita la novia). Très à l’aise sur scène, son chant est relativement souple et libre. On retrouve l’artiste de mercredi. Une candidate à la justesse exceptionnelle, elle enchaîne directement l’air de Musetta dans La Bohème de Puccini. Elle se libère trop mais semble convaincue de ce qu’elle fait, dans l’esprit du personnage. Avant de terminer par une lecture exceptionnelle de "Quel gardo il cavaliere – So anch’io la virtu magica" (Don Pasquale), elle nous emmène dans ses terres avec une très belle partition du Isang Yun (Gopunguisang). Belles couleurs dans des registres contrastés. Accompagnée par la très attentive Hyoungyin Park, la candidate coréenne offre l’une des plus belles prestations de la soirée dans un programme très diversifié où une œuvre française aurait été intéressante.
C’est Charles Dekeyser qui avait la lourde tâche de terminer la soirée après cette talentueuse candidate. Malgré une très belle technique et une puissance sonore incroyable, la basse ne nous convainc pas dans l’entièreté de son programme. Dommage de ne pas l’avoir entendu dans une œuvre dynamique. Voilà un chanteur de talent qui serait exceptionnel s’il se libérait davantage. Dans eIn questa tomba oscurae (Guiseppe Carpani, Beethoven), son énergie est appréciée, notamment dans la partie centrale. Quelques imperfections dans la justesse. On le sent plus investi dans "Nacht. Straβe vor Gretchens Tür" de Conradin Kreutzer mais il retombe vite dans un ton trop linéaire. Très bel allemand et une énergie prodigieuse. Petite déception avec Du bist die Ruh de Schubert malgré une magnifique exploration des nuances douces et quelques beaux aigus. Dans les deux pièces de Mozart ("In diesen heil’gen Hallen", Die Zauberflöte – "Io ti lascio, o cara, addio"), on perçoit la même énergie, le même ton et la même conduite des phrases. Style un peu rigide qui ne convient pas toujours à Mozart. Même remarque pour l’air de Don Quichotte de Massenet malgré de beaux contrastes. Il conclut sa prestation par une belle lecture de "Etremo addio – Il lacerato spirito" (Simon Boccanegra, Verdi). Excellente idée de terminer par cet air redoutable. Belle maîtrise de la forme, une technique plus souple et des contrastes saisissants. Belle prestation générale qui pourrait être davantage intéressante avec des partitions plus démonstratives du talent du candidat. Sa pianiste, Polina Bogdanova, l’accompagne avec une finesse et une écoute remarquables

En première partie, Sarah Laulan nous proposait une prestation particulièrement théâtrale.Très beau timbre et un français compréhensible pour Le Galop de Duparc. Discours bien mené, intelligemment construit et une énergie redoutable. Déception avec Wie rafft ich mich auf in der Nacht de Brahms. Partition qui lui convient moins, le registre aigu n’est pas toujours abouti tandis que la musicienne semble incertaine. Un peu tendu, son vibrato n’est pas homogène dans cette partition. "Merknet sviet dnievnoï – Nocht, spuskaisa skoreï" du Prince Igor de Borodin est beaucoup plus construit. Excellente technique, un soutien exceptionnel et quelques idées musicales intéressantes. Même progression pour Je nommerai ton front de Poulenc où elle se libère davantage d’un académisme environnant. Plus convaincante et plus construite qu’auparavant, Sarah Laulan poursuit avec une lecture trop peu imagée de "Hence Iris, hence away" (Semele, Haendel). Si elle propose une approche très classique, c’est ici que son jeu théâtral aurait été intéressant, malgré une belle structure proche du style. Belle lecture de Kolybel’naja de Shostakovich où le style change radicalement pour le mieux. Partition bien imaginée, de manière introspective où les phrases sont menées avec intelligence. Elle est davantage à l’aise dans "Afraid, afraid" (The Medium, Menotti). Beau timbre et souplesse pour cette partition qui lui convient. Belle prestation générale, d’un niveau relativement élevé. Il ne manque que quelques idées musicales supplémentaires pour que la prestation soit idéale. Nathanaël Gouin (pianiste) l’accompagne avec un jeu souple et musical.
La Canadienne Meghan Lindsay propose une prestation digne d’une grande musicienne mais manque pour le coup de liberté dans son jeu. La seule partition où elle semble libérée est Lucio Silla, "In un instante – Parto, m’affretto" de Mozart. On apprécie sa technique excellente avec un vibrato contrôlé. Musicienne qui démontre des facilités techniques évidentes, elle maîtrise le tempo qu’elle ne perd à aucun moment, comme l’énergie. Elle perd, en revanche, de clarté dans la prononciation. Avec partition, elle interprète un extrait de la Cantate BWV 202, "Weichet nur, betrübte Schatten". Ici, elle donne l’impression d’être à côté de la partition. Malgré un beau timbre, des nuances et contrastes travaillés et un langage pur, elle ne convainc pas totalement. Petits soucis de justesse dans les parties plus rapides. Toujours avec partition, elle propose de très belles couleurs dans "Lua descolorida" de La Pasion segun San Marcos d’Osvaldo Golijov. Travail saisissant sur les vocalises tandis qu’elle démontre énormément de choses dans cette œuvre : technique, justesse, prononciation, contrastes, forme, structure... chantant de manière affectée avec des aigus magnifiques. Elle termine par une très belle lecture de "Och, jaky zal ?" (Prodana Nevesta, Smetana). Libérée de la partition, son langage est plus souple, plus musical et expressif. En dehors de Mozart, il manque ici une partition plus engageante. Finalement, sa prestation pourtant de haut niveau, manque de souplesse et de liberté mais montre toutes les qualités que possède la soprano. C’est Daniel Blumenthal qui l’accompagne avec un jeu toujours aussi passionnant.
Soirée de haut niveau avec des candidats particulièrement intéressants, aux profils différents mais possédant chacun un style et une dynamique. Dommage que les candidats ne se libèrent pas davantage, tombant souvent dans le contrôle et par conséquent, dans l’ennui…

Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Flagey, le 18 mai 2014

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