Concours Reine Elisabeth, samedi soir

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Comme en début de semaine, la soprano française Axelle Fanyo fait choix de l'outrance. Elle se permet d'imposer sa vision, profondément investie, d'autant que son bagage technique la libère de toute contrainte de cet ordre. Elle n'est pas dans la séduction mais elle est drôle, espiègle, et ses options se nourrissent sans doute aussi de sa formation de musicologue en Sorbonne.Elle surprend dans le Erlkönig de Schubert où elle incarne les trois rôles de sa voix superbe. Même si elle nous semble très violente dans La Clémence de Titus (Vitellia), elle est excellente dans l'expressionnisme schoenbergien. Elle revient à l'hyper-expressivité spontanée pour La Dame de Monte Carlo de Francis Poulenc. Axelle Fanyo ne laisse personne indifférent. En termes familiers, avec elle, "ça passe ou ça casse" mais, quoiqu'il arrive à Bruxelles, on la retrouvera à la fin de ce mois au Concours de Montréal... A suivre.
La première de deux Belges retenues à ce stade du Concours est la soprano Charlotte Wajnberg qui ne nous séduit pas davantage aujourd'hui qu'en début de semaine. Le ton est emprunté, le vibrato omniprésent ; dans Musetta de La Bohême, on retrouve les glissandi à l'ancienne et l'élocution est sophistiquée dans L'enfant prodigue de Debussy. Le ton se fera plus simple dans Le Téléphone de Menotti dont elle donne "Hello Margaret", le meilleur moment de sa prestation remarquablement soutenue d'un bout à l'autre par Aaron Wajnberg au piano.
La soprano française Dania El Zein confirme le souvenir de la large tessiture et des facilités vocales dont elle témoignait en première épreuve. Elle propose aujourd'hui deux airs de folie (Platée de Rameau et Ophélie dans Hamlet d'Ambroise Thomas déjà proposé par Rocio Pérez). Avec Rameau, on retrouve le baroque français mais elle ne peut convaincre : elle emballe le tempo et ne maîtrise plus sa voix. Mozart est traduit dans un style semblable à Rameau et l'intonation s'y perd parfois. Le Nachstück de Schubert est intimiste et sensible, le phrasé bien galbé et la mi-voix séduisante. Dans le redoutable rôle d'Ophélie, elle architecture bien le déroulé de l'oeuvre et peut s'appuyer sur une excellente diction.
Et voici venu le tour du benjamin de la session, le ténor roumain George Ionut Virban, 23 ans, qui propose d'abord le "Deposuit potentes" du Magnificat de Jean-Sébastien Bach un peu hors style, suivi d'un An Chloé de Mozart naturel, aéré, souriant mais en délicatesse avec la justesse. Son Don Ottavio (Don Giovanni) témoigne d'un beau timbre de ténor et il le détaille avec beaucoup de soin mais il doit encore en mûrir les nuances expressives. Dans le Des Grieux de Massenet, les accidents de justesse se multiplient et dans "Una furtiva lachrima" de Donizetti, les intentions sont belles mais encore au-dessus de ses moyens.
Contraste avec la prestation de l'Allemand Samuel Hasselhorn, artiste accompli s'il en est. Le baryton a choisi sa voie. Malgré des études en partie à Paris, il propose ici un récital de Lieder de Schumann (Tragödie, Die beiden Grenadiere), Wolf (Benedeit die sel'ge Mutter, Seemanns Abschied), Schubert (Gebet während der Schlacht) et Brahms (O Tod, wie bitter bist du) où il s'exprime dans sa langue maternelle. Le baryton s'impose, on est au concert et pas n'importe lequel. Au-delà de sa voix, le jeune homme dispose d'un talent  exceptionnel : intelligence sensible, maturité émotionnelle et finesse artistique se déploient naturellement dans tout ce qu'il choisit d'aborder. Un futur Fischer-Dieskau...
Pour ceux qui n'y résisteraient pas, précisons qu'il succédera à Axelle Fanyo et Irina Jae Eun Park le 29 mai après-midi au Concours de Montréal !
La soirée se clôturait par la prestation de la soprano Marianne Croux, l'autre Belge de ces demi-finales. Le timbre est corsé, la voix charnue, les silences sont musique, les aigus pas criards -ce qui mérite d'être relevé ! Il y a du bois dans cette voix qui lorgne vers le mezzo, prête à traduire les élans de la passion et du drame. Elle nous fait découvrir une mélodie de Nadia Boulanger dont elle rend avec finesse les appels nuancés de l'âme solitaire. Dans Haendel, Respighi, Strauss et Wolf, Marianne Croux vit intensément ce qu'elle chante et partage sans compter.
Bernadette Beyne et Michelle Debra
Bruxelles, Flagey, Studio 4, samedi 5 mai, 20h    

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