Concours Reine Elisabeth : Un triomphe pour Sheva Tehova

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Surprise et déception pour cette dernière après-midi d'épreuves avant la finale. Trois ténors se sont succédés avant l'excellente prouesse de Sheva Tehoval.
Junghoon Kim débute difficilement sa prestation avec le « Benedictus » de la Messe BWV 232. D'énormes problèmes techniques dans la justesse comme dans l'émission vocale. La partie centrale affiche une légère amélioration qui retombe vite dans l'incertitude. Le visage collé à la partition, il semble la déchiffrer sur place. Il n'est plus le même lorsqu'il interprète « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » (Die Zauberflöte, Mozart). Quelques belles notes mais une justesse approximative ainsi que des aigus surpuissants. Le candidat chante Mozart comme les compositeurs romantiques et ne propose pas clairement une personnalité. Mêmes remarques avec « Cujus animam » du Stabat mater de Rossini. Technique pas toujours en place et hésitante. L'artiste privilégie la puissance et malheureusement pas le raffinement de la partition. Un beau timbre émane de sa prestation, souvent mis à mal par la technique un peu légère. Intonation peu claire pour la Chanson triste de Duparc. Manque de conduite dans les phrases et structure générale tant musicale que rythmique peu convaincante. Il est plus à l'aise dans « Tombe degl'avi miei – Fra poco a me recovero » (Lucia Di Lammermoor, Donizetti). Son un peu dur et trop peu de contrastes alors qu'il n'explore que très peu les nuances douces. Ce manque de finesse se perçoit moins dans « Kuda, kuda » de l'opéra Evgeny Onegin de Tchaikovsky. L'intonation n'est pas parfaite mais le style est intéressant et bien conduit. Cette prestation, en deçà du niveau espéré, est accompagnée avec énergie par Nino Pavlenichvili.
Prestation légèrement meilleure pour Kang Wang. Malheureusement, il propose un programme peu varié avec seulement trois œuvres. Il débute avec une succession lieder de Beethoven (An die ferne geliebte op.98) sur le même ton et la même énergie. Quelques belles couleurs, un allemand correct mais un manque de projection dans la salle. La technique n'est pas irréprochable tandis que la technique n'est pas toujours aboutie. Il faut dire que ces lieder ne sont pas vraiment démonstratifs, choix qui ne convient pas ici. Il poursuit avec une lecture sans réelle énergie de « Recondita armonia » (Tosca, Puccini). Des contrastes intéressants avec une belle puissance sonore. La forme est construite mais il manque une certaine forme de sincérité. Mêmes remarques pour « L'amour, l'amour – Ah, lève-toi soleil » (Roméo et Juliette, Gounod). Le français n'est pas du tout clair tandis que les aigus sont un peu durs. Une bonne construction générale mais une émission vocale en surpuissance. C'est Philippe Riga qui l'accompagne et qui semble d'ailleurs diriger du piano la prestation du candidat.
Seung Jick Kim relève le niveau général après la pause. La Chanson triste de Duparc est moins dans la puissance et plus dans le raffinement. L'intonation est meilleure mais assez claire. Forme conduite avec intelligence avant la partition peu démonstrative de Mozart (« Amici miei dopo eccessi – Il moi tesoro intanto, Don Giovanni, Mozart). Une technique avancée mais sans véritables contrastes, à l'inverse de « Pays merveilleux – O, paradis sorti de l'ombre » (L'Africaine, Meyerbeer). L'intonation est meilleure ici mais on apprécie surtout l'investissement du candidat. De très beaux aigus et un beau timbre à l'instar de Heimliche Aufforderung de Richard Strauss. C'est un candidat musicien qui s'offre à nous tandis que son allemand est bon. Même progression avec « La fleur que tu m'avais jetée » (Carmen, Bizet). Affecté, il démontre ici une puissance remarquable et un travail conséquent sur la respiration. De très belles phrases pour Nebbie de Respighi. On ne s'ennuie à aucun moment alors que tous les registres sont mesurés et contrôlés. Il termine par une œuvre très intéressante, Prélude de Landon Ronald. Le style y est plus léger tout en restant élégant. Technique excellente et meilleur construction du programme pour ce candidat accompagné par le piano attentif de Hyoungjin Park.
Un triomphe pour la plus jeune candidate du concours, Sheva Tehoval. Accompagnée cette fois par Daniel Blumenthal, elle propose un programme cohérent et exécuté remarquablement. Elle débute par « Tornami a vagheggiar » (Alcina, Haendel). Même si elle semble à nouveau tendue, elle conduit l'oeuvre avec maturité et finesse. Contrastes saisissants avant un Schubert pur (Auf dem Wasser zu singen et Die junge Nonne). Discours intelligemment mené et une intonation parfaite. Dans la seconde pièce, elle semble plus tendue mais se libère au fur et à mesure de l’œuvre pour nous offrir de très belles dynamiques. Excellente lecture de C et Fêtes galantes de Poulenc. La première est comme un souffle et caresse l'oreille avec une finesse remarquable. Tempo impressionnant pour Fêtes galantes où le texte, difficilement audible par la rapidité, est clair et amusant. Rien à dire sur « Solitudini amiche – Zeffiretti lusinghieri » (Idomeneo, Mozart) en dehors d'un ton agréable et une construction passionnante sans vulgarisation. Elle termine par l'air de Marguerite de Gounod avec un français parfait, une voix souple et passionnante. Un triomphe mérité pour cette jeune candidate qu'on espère voir en finale !
Ayrton Desimpelaere, 
Bruxelles, Flagey, le 20 mai 2014

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