Curiosité opératique

par

Antonio CALDARA (c.1671 - 1736)
Morte e sepoltura di Christo
Maria Grazia SCHIAVO (Maria Maddalena), Silvia FRIGATO (Maria di Giacobbe), Martina BELLI (Giuseppe d'Arimatea), Anicio ZORZI GIUSTINIANI (Nicodemo), Ugo GUAGLIARDO (Centurione), STAVANGER SYMPHONY ORCHESTRA, Fabio BIONDI violon et dir.
2014-DDD-2 CD-124'37-Texte de présentation en français, anglais, allemand-texte en italien et anglais-chanté en italien- GLOSSA GCD 923403

Né à Venise vers 1670, mort à Vienne le 28 décembre 1736, Antonio Caldara apparaît aujourd'hui comme un des grands maîtres du XVIIIe siècle musical. Par les postes qu'il a occupés déjà, dans sa ville natale, puis à Mantoue (1699-1707), Rome (1705 et 1708), Barcelone (1705) , Rome de nouveau en 1716 avant de devenir la même année vice-maître de chapelle à la Cour de l'Empereur Charles IV, à Vienne, le titulaire étant Fux. Par l'importance de son catalogue aussi, qui nous paraît effarant aujourd'hui : plus de 200 motets et quelques 500 madrigaux, airs et canons ; plus de 90 opéras (souvent sur des livrets de Zeno ou Métastase), environ 30 oratorios, dont ce « Morte et Sepoltura di Christo » composé sur un texte de Francesco Fozio et datant de 1724 – la grande période créatrice de Caldara... Certes quand il passe de l'opéra à l'oratorio, Caldara ne change pas d'encre. Après des pages anciennes comme « Maddalena ai piedi di Cristo » ( dirigé par René Jacobs) ou la « Conversion de Clovis » (de Martin Gester) déjà fortement marqués par la scène, la « Morte e sepultura di Christo » nous en offre une nouvelle démonstration. D'autant plus intéressante qu'il s'agit là d'une expression tout à fait singulière de piété. De même que l'on visite avec une curiosité attendrie les sanctuaires espagnols saturés d'ex-votos et de décorations, on peut découvrir avec le même intérêt ces déplorations où cinq des protagonistes de la Passions du Christ pleurent sa crucifixion ( Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques, Joseph d'Arimathie, Nicodème et un Centurion) regrettent leur péché, expriment leur désespoir et leur confiance. Car elles nous renseignent à la fois sur le penchant de l'impérial commanditaire pour l'art du contrepoint, sur l'habitude du public germanique pour les « Passions » avec récitant, autant que sur l'acclimatation à Vienne de l'exhubérant tempérament italien ou l'influence esthétique de la Contre réforme encore sensible. Elles prouvent également que la « conversation » belcantiste  (avec des arias telles « Languire, morire », « Cari marmi » ou « Con te favello » où la voix épouse étroitement le chant de l'instrument soliste – basson, trombone, violon ou violoncelle) sait se mettre au service de l'expression mystique aussi bien que de celle des passions humaines. Aujourd'hui, où l'esthétique religieuse tend au dépouillement le plus sévère, de tels épanchements peuvent paraître étrangers à la ferveur religieuse. Mais par un mouvement inverse, il nous invite également à une fascinante exploration spacio temporelle. Les interprètes féminines -Maria Grazia Schiavo, soprano qui incarne le rôle délicat de Maria Maddalena, Silvia Frigato, soprano également qui prête son souple soprano à Maria di Giacobbe et Martina Belli, alto au somptueux timbre fauve qui donne à Giuseppe ( Joseph d'Arimathie) une ampleur inattendue, bénéficient d'une écriture destinée à ces chanteurs d'élite que furent les castrats. Les interprètes masculins peinent à rivaliser - l'un, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani un peu trop « précieux » et véhément sans raison, l'autre, Ugo Guarliardo très plébéien, mais il est vrai qu'il tient le rôle du ...Centurion. La direction de Fabio Biondi égal -en fougue- à lui-même, a choisi d'insérer des mouvements de « Sinfonia » signés Fux, Vivaldi ou Caldara. Ces « ajouts » intempestifs, quoique judicieusement assortis au climat des arias voisines nous offrent certes de belles harmonies mais sans nécessité impérieuse sinon peut-être celle d'allonger la sauce. La beauté extravertie et l'intérêt de cet oratorio se suffisent pleinement à eux-même. Prise de son un peu massive et tout aussi exubérante.
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 9 - Livret 8 - Répertoire 9 - Interprétation 8

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