"D'Aix à Versailles, de l'Eglise à l'Opéra"

par

Itinéraires d'André Campra,
sous la direction de Catherine Cessac

Campra est-il méconnu, pire, mal aimé ? C'est ce que semble défendre Catherine Cessac dans l'introduction à cet important ouvrage collectif consacré au musicien provençal. Il est pourtant bien enregistré, même sur You Tube. Il est vrai qu'il n’existe aucune grande monographie à l'heure actuelle : Lully, Couperin ou Rameau sont mieux servis sans doute. Voilà pourquoi le présent livre vient à point. Patronné par le Centre de musique baroque de Versailles qui publie les actes d'un colloque tenu en 2010 à Aix-en-Provence, il tente de faire le tour d'une oeuvre assez considérable : une vingtaine d'opéras, trois messes, plus de cent motets, et d'innombrables airs français et italiens. Les contributions sont nombreuses et différenciées, mais toutes intéressantes. L'homme (1660-1744) est cerné tout d'abord. Musicien quasi officiel à la fin du règne de Louis XIV et sous Philippe d'Orléans (dont incidemment nous apprenons qu'il fut compositeur), Campra apporta à la musique française sa sensibilité méridionale qui vint rajeunir la sévérité de la tragédie lyrique de Lully. Mort à 83 ans, il eut une vie privée assez mouvementée et plutôt libertine, à l'instar de son protecteur le Régent. L'analyse des œuvres vise les deux centres d'intérêt : la musique dramatique et la musique sacrée. Les opéras sont étudiés sous l'aspect musical bien sûr, mais aussi dramaturgique, Campra ayant porté beaucoup d'intérêt à la mise en scène de ses tragédies (danses, décors, dessins). Son plus grand succès, L'Europe galante (1697) se voit ainsi approché dans tous ses détails et même avec un regard politique. Tout comme Les Fêtes vénitiennes, Achille et Déidamie, Tancrède et Camille. Les auteurs soulignent aussi la profondeur psychologique des rôles, en particulier des personnages féminins telle Clorinde. Des études sur Idoménée et le pastiche Télémaque soulignent le sens du tragique, plus "moderne" que chez Lully. L'importance de la danse, essentielle dans l'opéra français, n'est pas en reste et fait l'objet d'une belle contribution de Raphaëlle Legrand, comprenant tableaux et exemples musicaux. L'influence italienne est rappelée (acte III "Orfeo nell'inferi" du Carnaval de Venise ) car son introduction joue un rôle capital dans l'évolution de la musique en France. Quant à la musique religieuse, très abondante (messes, cantates, et surtout le Requiem, longtemps l'oeuvre la plus connue du musicien), elle fait l'objet de plusieurs articles. Tiraillé entre l'Eglise et l'Opéra, Campra fera preuve d'autorité vis-à-vis des deux pouvoirs, avec une première tentative d'indépendance de l'artiste. La musique devient passion plutôt qu'obligation : en cela, Campra s'affirme déjà bien moderne pour l'époque. Cet ouvrage campe un compositeur qui représente bien plus qu'une figure de transition entre Lully et Rameau, comme la postérité le crut trop longtemps. Petit bémol, il ne contient ni bibiographie ni discographie.
Bruno Peeters
Itinéraires d'André Campra, sous la direction de Catherine Cessac, 2012, Editions Mardaga, Wavre, 439 p.

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